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GESTION

Une prise en charge pérenne

Fidèle Ndjoulou1

Qu’est-ce qui fait qu’une entreprise se décide à prendre en charge la santé et la sécurité au travail (SST) de ses employés ? Et surtout, qu’est-ce qui fait que cette prise en charge (PCSST) se maintient dans le temps ?

Une thèse de doctorat en administration s’est penchée sur ces questions (1). Il s’agit d’une étude de cinq cas dans des entre­prises de différentes tailles œuvrant dans divers secteurs. Les résultats décrivent trois conditions de pérennisation de la PCSST dans les entreprises :
• engagement des dirigeants;
• participation des employés;
• dialogue social.

Dans les sections qui suivent, chaque condi­tion est définie et ses manifestations sont décrites avec des extraits d’entrevues tirés de la thèse.

Engagement des dirigeants

La première condition est un engagement au­thentique et solide des dirigeants en faveur de la SST. Quelle que soit l’ampleur des actions, internes ou externes, pour prendre en charge la SST, l’engagement des dirigeants est le prin­cipal facteur de pérennisation de la PCSST. Les employés peuvent bien vouloir implanter une telle démarche, les intervenants externes peu­vent bien agir de différentes manières, mais une PCSST pérenne dépend de l’engagement des dirigeants à démontrer leur leadeurship en SST. La mise en place d’une approche préventive n’est susceptible de produire des résultats que si elle est soutenue par la direction de l’entreprise (2).

L’engagement des dirigeants est une implica­tion active des cadres supérieurs pour motiver les cadres de tous les niveaux et montrer aux em­ployés qu’ils sont attachés à leur protection par des actions visibles (3). Les actions identifiées dans cette étude sont :

• établir et mettre en œuvre une politique de SST;
• investir des ressources humaines, financières et matérielles;
• responsabiliser toute la ligne hiérarchique en SST;
• intégrer la SST dans les pratiques d’affaires;
• suivre régulièrement les actions de préven­tion et d’amélioration continue.

Pour que cet engagement soit effectif, les dirigeants doivent démontrer quotidienne­ment leur leadeurship en SST en étant cohé­rents avec leurs discours et gestes.

Par exemple, dans l’une des entreprises étu­diées, un des dirigeants explique qu’un de leurs piliers, c’est de montrer la voie, c’est d’être un exemple. Et en SST, c’est tolérance zéro. Il faut vraiment montrer la voie en tant que dirigeant tant au niveau de notre équipement que de notre comportement. C’est dans tout, pour établir sa crédibilité un bon leadeur doit être un bon modèle. C’est un critère d’évaluation. Notre rôle est de montrer la voie par nos comportements et de servir de modèle. 

Le représentant des employés renchérit : les dirigeants soutiennent la prise en charge en respectant les règles. Quand ils font rentrer du monde dans l’usine, ils leur font observer les règles. Si moi je le fais, ils doivent le faire aussi, sinon le message ne passe pas. De telles actions déployées de manière continue encouragent la participa­tion des employés.

Participation des employés

La participation des employés est la deuxième condition d’une PCSST pérenne, selon les par­ticipants. Elle passe par la prise de décision et la détection des risques propres à leurs activités (4). Cette participation implique d’accepter et de respecter les règles de SST dans l’exécution du travail et d’utiliser des outils d’analyse du risque et de résolution des  problèmes. Les em­ployés identifient eux­-mêmes les problèmes de SST qu’ils résolvent directement en équipe ou qu’ils soumettent à leur hiérarchie si cela néces­site d’autres ressources. En vue d’y parvenir, les entreprises étudiées ont mobilisé leurs employés en organisant des activités de SST pour susciter leurs intérêts et adhésions afin de les responsa­biliser. Cette responsabilisation des employés vise le développement de leur autonomie dans l’appropriation de la PCSST. Divers outils ont été déployés par ces entreprises.

Les employés ont ainsi acquis le pouvoir d’agir sans attendre une directive, ce qui fait dire à l’un des dirigeants. Ça fait un gros changement, parce que c’est vraiment l’employé qui analyse avant de faire la tâche : est-ce que mon environnement est correct pour que je puisse faire la tâche ? Est-ce que j’ai besoin d’avoir des équipements spéciaux ? Est-ce que je dois avoir un périmètre de sécurité ? Et ainsi de suite. On se pose une série de questions. Là, c’est vraiment l’implication, c’est vraiment l’employé qui prend en charge la SST pour faire le travail qu’il s’apprête à faire. Cette opinion est partagée par le dirigeant d’une autre entreprise : sur le plancher, il y a de petits cartons et la personne qui est en train de faire un travail, qui se rend compte qu’il est accroché sur une table ou s’il constate quelque chose qui nécessite une amélioration, il documente, il note. Ce sont les employés
qui identifient le problème. L’analyse documentaire révèle aussi une procé­dure de SST qui indique les impératifs régis­sant le signalement d’un évènement suivant un incident ou un accident évité de justesse qui porte atteinte à la santé ou à la sécurité des employés.

Des situations similaires sont observées dans une autre entreprise. Un dirigeant constate que les employés ne sont plus gênés. Ils te disent, peu importe ton rang, ta position, que non, le comportement que tu viens de poser n’est pas bien. Il y a des exemples où tu vas aller sur le plancher sans lunettes, il va avoir quelqu’un qui va te le reprocher tout de suite.

La partie syndicale fait le même constat. Pour traverser ici, ce n’est plus comme avant. Si je fais une manœuvre non sécuritaire, les employés qui sont présents vont tout de suite me rappeler à l’ordre.

Importance du dialogue social

La troisième condition est le dialogue social au sein de l’entreprise incluant des interventions externes. Ce dialogue exprime la volonté des dirigeants et des employés de travailler en­semble sur les enjeux de la SST. Le travail d’équipe renforce la PCSST pérenne. Le dia­logue social se traduit par des consultations et les discussions, faites directement par les diri­geants avec les employés, ou indirectement, par le biais de leurs représentants, lors des réu­nions des CSS efficaces, par exemple. Il a éga­lement trait à la négociation et aux actions conjointes. Dans l’une des entreprises syndi­quées, les employés et les dirigeants cherchent toujours le consensus.

C’est un consensus, ce n’est pas imposé. Parfois, je présentais la procédure, mais la règle, on l’adoucissait, on la changeait, ou on la réécrivait. C’était vraiment un consensus. C’est un bel exercice. On marche la main dans la main, fait sa­voir un dirigeant.

Le représentant des employés rappelle que ce consensus est le fruit d’une longue marche. Le CSS, c’était vraiment la confrontation raconte­t­ il. C’était des confrontations syndicales et patronales. Et l’inspecteur a débarqué et est venu assister à tous les comités pendant trois à quatre mois, chaque vendredi du mois. À l’époque, c’était une réunion par mois pour
les délégués syndiqués. Il venait statuer sur le comité. Et il dit non, vous devez vous prendre en mains, vous devrez regarder une autre facette de réunion. Vous n’irez nulle part avec ça. Cet extrait montre l’importance du dialogue social considéré par l’Organisation internationale du travail (OIT) comme toutes formes de négociations et de discussions impliquant les représentants de la direction, des employés et dans une certaine
mesure du gouvernement. Le dialogue social s’institutionnalise aussi au sein des  établissements pérennes (5).

En plus des inspecteurs, d’autres interve­nants externes supportent pédagogiquement la pérennisation de la PCSST. Les participants des entreprises étudiées ont identifié les universités, les firmes­conseils, les associations sectorielles paritaires (ASP) et les mutuelles de prévention comme des intervenants externes. Ces entreprises sollicitent ces intervenants ex­ternes de différentes manières. Leurs actions consistent, entre autres, à donner de la forma­tion et à réaliser des audits.

D’après les participants, les intervenants ex­ternes les accompagnent dans la pérennisation de leur PCSST. Par exemple, un des dirigeants interviewés explique le soutien de l’Association sectorielle Fabrication d’équipement de trans­port et de machines (ASFETM) au processus de pérennisation de la PCSST enclenché dans son entreprise. Avec l’ASP, on a fait des sessions de formation des gestionnaires et des séminaires. Ça a été un beau geste. C’est pour voir les exigences de SST, les choses qui vous empêchent de les respecter. On
a décidé de travailler avec eux par rapport à ça. Ils nous soutiennent beaucoup dans différentes démarches qu’on demande. C’est sur appel. On demande souvent de la formation, de la consultation. Donc, on ne se gêne pas d’aller chercher l’aide dont on a besoin. Le représentant des employés confirme l’apport de l’ASP à la PCSST et ajoute l’exemple d’une firme-­conseil qui intervient également. Une firme de formation qui donne toutes les formations sur les charriots élévateurs, et le travail en hauteur. Toutes nos formations sont appuyées sur des connaissances de firmes extérieures. L’ASP a une belle palette d’analystes et de formation. Ainsi, les interventions externes soutiennent les dirigeants et les employés engagés dans la PCSST (6, 7, 8, 9, 10, 11, 12), ce qui contribue au dialogue social.

Conclusion

Cette étude montre donc qu’une prise en charge pérenne de la SST par les entreprises
est possible si :
• les dirigeants s’y engagent ouvertement;
• les employés participent effectivement à cette PCSST;
• les dirigeants et les employés maintiennent un dialogue social permanent et régulier,
tout en sollicitant le soutien des intervenants externes pour les accompagner dans la voie
de la pérennisation de la PCSST.

Il est intéressant de constater que ce sont, dans une certaine mesure, les mêmes conditions qui prévalent à l’intégration de la SST à la culture de l’organisation. Ou même à l’amé­lioration continue de l’organisation dans un certain nombre de domaines, comme la qualité ou le développement durable. Alors la pro­chaine grande question qui se pose : comment se fait-­il qu’il n’y ait pas plus d’entreprises qui remplissent ces conditions ?


1 – Fidèele Ndjoulou – D.B.A., CONSULTANT EN SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL
[Ndjoulou.fidele@gmail.com]

Références bibliographiques

    1. Ndjoulou, Fidèle. Pérennisation de la prise en charge de la santé et de la sécurité au travail par les entreprises. Thèse de doctorat en administration (DBA), École de gestion, Université de Sherbrooke, 2018.
    2. Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail. Enquête européenne des entreprises sur les risques nouveaux et émergents, Bilbao, EU-OSHA, 2010.
    3. Organisation internationale du travail. Encyclopédie de sécurité et de santé au travail. Genève : Bureau international du Travail, 2000.
    4. Mathieu, Stéphane. Les référentiels de progrès : 100 questions pour comprendre et agir.
      Paris : Agence française de normalisation, 2007.
    5. Amossé, Thomas. Le dialogue social en entreprise : une intensification de l’activité institutionnelle, des salariés faiblement engagés. Dares, vol. 39, no1, 2006, p 1-8.
    6. Berthelette, Diane. Les déterminants de l’implantation et des résultats des programmes de santé et sécurité du travail. In Harrisson, Denis et Legendre, Camille (dir), Santé, sécurité et transformation du travail : Réflexions et recherches sur le risque professionnel Québec : Presses de l’Université du Québec, 2002, p. 107 -128.
    7. Organisation internationale du travail. Convention n° 81 concernant l’inspection du travail dans l’industrie et le commerce. Genève : 30 session de la conférence internationale du travail, 1947.
    8. Organisation internationale du travail. Convention n° 155 sur la sécurité et la santé des travailleurs. Genève : 67e session de la conférence internationale du travail, 1981.
    9. Piore, Michael. J. et Schrank, Andrew. Trading up : An Embryonic Model for Easing the Human Costs of Free Market. Boston Review, vol. 31, no 5, 2006, p 11-14.
    10. Piore, Michael. J. et Schrank, Andrew. Le renouveau de l’inspection du travail dans le monde latin. Revue internationale du Travail, vol. 147, no1, 2008, p 1-26.
    11. Pires, Roberto. Vers un respect durable de la législation : résultats des modèles d’inspection du travail au Brésil. Revue internationale du travail, vol. 147, no 2-3, 2008, p. 219 – 252
    12. Yassi, Annalee ; Lockhart, Karen ; Sykes, Mona ; Buck, Brad ; Stime Bjorn et Spiegel. Jerry. M. Effectiveness of Joint Health and Safety Committees : A Realist Review. American Journal of Industrial Medicine, vol. 56 no 4, 2013, p 424-438.

Remerciements

L’auteur remercie les professeurs Michel Pérusse et Lise Desmarais pour leur supervision, les entreprises pour leur participation à l’étude ainsi que le Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC) et l’École de Gestion de l’Université de Sherbrooke pour le financement.