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MOT DU RÉDACTEUR SCIENTIFIQUE

Application de valeurs limites d’exposition multiples – Le cas du Manganèse

Maximilien Debia1

Chers lecteurs, voici un nouveau mot sur les valeurs limites d’exposition professionnelle (VLEP) après mon mot du rédacteur scientifique intitulé Chrome hexavalent et ses composés : Nouvelles recom­mandations (1). Cette fois-ci, ce n’est pas tant le niveau retenu pour la norme qui sera abordée, mais plutôt les recommandations multiples pour une même substance selon les fractions granulométriques. Par exemple, pour le manganèse, élémentaire et composés inorganiques, l’American Conference of Governmental Industrial Hygienists (ACGIH) recommande une TLV-TWA pour la fraction respirable de 0,02 mg/m³ et une TLV-TWA de 0,1 mg/m³ pour la fraction inhalable. Plusieurs autres substances sont concernées, essentiellement des métaux. Pour le cadmium
et ses composés, l’ACGIH propose une TLV-TWA de 0,002 mg/m³ pour la fraction respirable et une TLV-TWA de 0,01 mg/m³ pour les poussières totales cette fois-ci. Pour le cuivre, l’ACGIH rapporte une TLV-TWA de 0,2 mg/m³ pour le cuivre présent en milieu de travail sous forme de fumées et une TLV-TWA de 1 mg/m³ pour le cuivre présent
sous forme de poussières et brouillards.

Donc, comment appliquer ces recommandations multiples pour le même contaminant et combiner différentes fractions lors de l’échantillonnage ? L’intervenant devra-t-il mesurer et s’assurer de respecter deux valeurs ou seulement l’une d’elles ?

Pour comprendre ces différentes recommandations, il faut remonter dans l’historique d’établissement des normes. Les références aux fractions totales et l’utilisation
des terminologies dusts et fumes étaient communes dans les années 50 et 70 pour  distinguer les situations de travail exposant les travailleurs à différents types de contaminants. En même temps, un premier critère sélectif, la notion de poussières respirables, est apparu afin de tenir compte de la zone de dépôt des particules dans le poumon. L’ACGIH propose la notion de poussières respirables pour la silice cristalline quartz dès 1968. C’est seulement plus récemment (1995) que les notions de fractions inhalable, thoracique et respirable faisant référence à des courbes d’efficacité de collecte ont été adoptées par l’International Organization for Standardiz­ation (ISO) (2). Par la suite, certaines mises à jour et recommandations ont été formulées par le comité des TLV
de l’ACGIH. Par exemple, pour le manganèse, élémentaire et composés inorganiques, ce n’est qu’en 2009, que l’ACGIH a établi une recommandation pour la fraction inhalable.

Il est aussi nécessaire de bien lire les documents-critères de l’ACGIH afin d’appliquer adéquatement ses recommandations. Pour le manganèse, l’ACGIH indique que si une TLV-TWA pour la fraction inhalable est utilisée par l’hygiéniste industriel, elle ne devrait l’être qu’en addition de la TLV-TWA applicable pour la fraction respirable (3).

L’application de cette fraction inhalable ne serait importante que dans certaines situations où le diamètre aérodynamique massique moyen des aérosols générés dans le milieu de travail dépasserait 4 μm ou lorsque les travailleurs seraient exposés à des composés inorganiques du manganèse ayant une grande solubilité dans l’eau. Le facteur de 5 entre les deux recommandations de l’ACGIH (0,02 vs 0,1 mg/m³) est basé sur des évaluations terrain qui rapportent un ratio moyen de 5:1 entre les mesures des fractions inhalable et respirable. L’ACGIH reconnait que ce ratio peut varier largement selon les milieux allant de 1:1 lors d’activité de soudage à 10:1 dans l’industrie de l’alliage de
fer. En Europe, le Scientific Committee on Occupational Exposure Limits (SCOEL) indique  que la mesure biologiquement la plus appropriée pour évaluer l’exposition au manganèse
en lien avec l’effet critique retenu (changement neuro-fonctionnel) est l’aérosol respirable plutôt que total ou inhalable. L’organisme recommande tout de même de retenir les deux valeurs tout en reconnaissant que le jugement professionnel pourrait être utilisé pour  ssélectionner la fraction la plus appropriée (4). À noter que les valeurs du SCOEL sont respectivement 2,5 fois et 2 fois plus élevées que celles recommandées par l’ACGIH.

Dans une méta-analyse concernant les VLEP du manganèse publiée récemment, les auteurs recommandent aussi, en se basant sur différentes publications, deux VLEP différentes pour les fractions respirable et inhalable (5). Par ailleurs, notons que les valeurs recommandées par Bevan et al. (2017) sont respectivement 2,5 fois et 2 fois plus élevées que celles recommandées par l’ACGIH.

Alors que devrait-on faire pour maitriser adéquatement l’exposition à des substances avec des valeurs d’exposition admissibles multiples au Québec ? L’analyse des différents documents indique que, par défaut, les organismes recommandent de s’assurer de respecter les deux valeurs tout en indiquant que l’expérience professionnelle pourrait mener à choisir l’une ou l’autre des valeurs. L’ACGIH demande en revanche de mesurer systématiquement la fraction respirable et les organismes reconnaissent que cette fraction serait la mesure biologiquement la plus appropriée. Cette dernière information l’importance
devrait être communiquée aux intervenants. Dans le contexte d’une révision de l’annexe 1 du RSST et d’une adoption possible, des recommandations de l’ACGIH, une révision des données scientifiques pour chaque substance possédant des VLEP multiples devrait donc être faite. Des notations pourraient ainsi être apportées en soutien aux normes d’exposition afin d’aider les hygiénistes industriels dans leur évaluation.


1 – MAximilien Debia- RÉDACTEUR SCIENTIFIQUE, [maximilien.debia@umontreal.ca]

Références bibliographiques

  1. Debia, M. (2018) Chrome hexavalent et ses composés : Nouvelles recommandations. Travail & Santé 34, N2, S-2.
  2. ISO 7708 (1995) Air quality — Particle size fraction definitions for health-related sampling. International Organization for Standardization, 9 p.
  3. ACGIH (2013) Manganese, elemental and inorganic compounds. Documentation of the Threshold Limit Values and Biological Exposure Indices. American Conference of
    Governmental Industrial Hygienists (ACGIH), 18 p.
  4. SCOEL. (2011) Recommendation from the Scientific Committee on Occupational Exposure Limits for manganese and inorganic manganese compounds. SCOEL/SUM/127.
    European Commission, Employment, Social Affairs and Inclusion. 23 p.
  5. Bevan, R., L. Ashdown, D. McGough, A. Huici-Montagud, and L. Levy : Setting evidence-based occupational exposure limits for manganese. NeuroToxicology 58:238-248 (2017).