Avant que ÇA FINISSE MAL


Avant que ÇA FINISSE MAL

L’expérience démontre que les partys de bureau, à l’occasion des fêtes comme Noël, peuvent créer diverses situations. Si dans la majorité des cas, ces rencontres se terminent bien et les gens en ressortent satisfaits, d’autres fois, il en va tout autrement. Peut-on éviter les dérapages qui font regretter d’y avoir été présent ?

Kathleen Côté

Ça y est ! Il fallait que ça survienne un jour ou l’autre. Entre deux-mille projets, une réorganisation au sein de l’entreprise, la préparation de journée annuelle en SST sans compter le retour à l’école de mes trois enfants, des funérailles, en plus de cette course après la montre, je devais penser à rédiger ma chronique dans les délais prescrits. Au secours ! Vite un sujet ! Une source d’inspiration ! Un déclic ! Pourtant, il y a tellement de choses à dire au sujet de la SST ! De mon côté, c’était plutôt faire place au vide, au silence, au manque d’inspiration et à l’impression que rien ne serait à la hauteur peu importe mes bonnes intentions.

On m’a ensuite glissé doucement à l’oreille ce que je refusais d’entendre : « ah, tu vis le symptôme de la page blanche. ». Ce fameux syndrome qui frappe comme la misère sur le pauvre monde, ce mal qui te prend quand tu es trop sollicitée pour arrêter et penser. Ou encore celui qui survient quand tu penses trop pour rien. J’avais, au départ, pensé rédiger ma chronique suivant ma très brève rencontre avec l’auteure Kim Thuy lors de son lancement de livre Vu à la librairie de Verdun en juin dernier. Eh oui, elle m’avait balancé devant tous que ça devait me faire mal, pointant de son index mon clivage à vif causé par ce coup de soleil mémorable chopé par une belle journée chaude d’été. J’imagine que ça valait la peine de le souligner devant toutes ses adulatrices. Après tout, j’avais fait du bénévolat toute la journée en « oubliant », bien sûr, d’appliquer ma crème solaire à cet endroit inusité que j’ai découvert être plus important qu’à priori. Bon, une anecdote qui aurait pu m’inspirer, par exemple, comment planifier sécuritairement sa journée de travail, conduire une analyse de risque sur le terrain pour appliquer les mesures correctives, comment ne pas tourner les coins ronds en SST pour prévenir un accident, cordonnier mal chaussé, etc. Eh bien non, nulle inspiration, car la mémoire humaine est sélective : elle ne garde que les informations potentiellement utiles et mon hippocampe s’en va probablement à la dérive ces derniers temps. Finalement, on est venu à mon secours à minuit moins une. On me propose d’écrire sur les fameux partys de Nowel (ou ce fameux rituel de passage initiatique) puisqu’on me fait réaliser que la parution de la chronique est planifiée en décembre, soit pour le temps des Fêtes. On me partage quelques anecdotes. Je me laisse séduire par la proposition. Oui, les partys de Noël. Un autre sujet tabou du monde du travail et on peut facilement apporter un point de vue SST sur ces fêtes qui se veulent une reconnaissance de l’employeur envers ses employés. Les partys de bureau… il faut réfléchir, car j’en ai quelques-uns à mon actif depuis toutes ces années dans le monde du travail. Des bons, des moins bons, des mauvais, des absences justifiées – atchhoummm-je-suishum-grippée-pour-vrai-oui-oui –. Mon rapport avec les activités de Noël est partagé. Activité à laquelle vous êtes conviés ou contraints de vous joindre, mais auquel vous ne voulez pas vraiment participer. Celle qui vous permet de découvrir vos collègues avinés, celle qui met en évidence les dérapages et l’attrait de collègues envers d’autres collègues le temps d’une soirée pendant que leur conjoint reste sagement à la maison avec les enfants. Ou, encore, celle qui se veut festive, mais qui aussitôt tourne au vinaigre, celle de l’occasion d’une séance de team building, mais qui tombe à plat ou, encore, celle où vous chantez vraiment très mal – et sobre – une chanson de Beau Dommage devant plus de 200 personnes. Qui moi? Vraiment? Bon, il y a eu des vidéos qui ont circulé alors je peux difficilement nier que ce n’était pas moi à ce stade-ci.

Qui dit party de Nowel dit suivre des règles d’un casseur de party. Chaque année, on reçoit notre lot de conseils prodigués par moult firmes d’avocats en droit du travail. Après tout, nous vivons dans un nouveau millénaire. Finis les débordements à la Madmen où on ne se posait pas trop de questions sur les conséquences de nos abus.

Donc, party rime avec obligation de l’employeur et des employés sans oublier l’omniprésence des médias sociaux, tous des sujets qui rappellent que George Orwell se soit révélé un grand visionnaire de notre époque à travers son roman 1984 qui fut publié en 1949.

Harcèlement moral et sexuel

Avez-vous entendu parler de l’affaire Suzanne Houle (1)? Histoire sordide, mais malheureusement réelle: lors d’une fête de Noël, l’employeur avait pris un glaçon dans un pichet d’eau, avait glissé sa main et le glaçon sous le chandail de la plaignante touchant ainsi son sein. Avant cet écart de conduite, l’employeur avait décidé de procéder à un échange de cadeaux entre employés ayant pour thème les objets érotiques. Avant de commettre son impair, ce patron avait, pour rigoler, décidé d’attacher les mains de son employée sur sa chaise pour ensuite descendre la fermeture éclair de son chemisier. On ne peut même pas accuser le populaire navet Fifty Shades of Grey d’y être pour quelque chose, car le cas s’est déroulé en 2007 soit huit ans avant ce Harlequin douteux. Parenthèse: une ex-directrice des ressources humaines nous racontait, avec délice, cette lecture de chevet érotique au travail. D’un point de vue sarcastique, je dirais que c’est probablement une conduite très professionnelle pour quelqu’un qui serait amené à enquêter des cas de harcèlement par ailleurs. Permettez-moi donc de douter de l’efficacité et de la transparence dans le traitement d’une quelconque plainte en la matière. Fin de ma parenthèse. Apparemment, avant 2015, certains trouvaient déjà que les menottes étaient de circonstances, même si vous n’étiez pas policier ou agent carcéral de profession. Dois-je préciser que la plainte a été accueillie par la feu Commission des normes du travail? Bref, ce patron ne doit certes pas être un grand admirateur de Koriass (2).

Comment l’employeur peut-il éviter ce type de dérapage? En encadrant les activités pour laisser peu de place aux initiatives mal avisées. L’employeur peut aussi rappeler clairement et précisément sa politique contre le harcèlement en milieu de travail quelques jours avant la soirée. Ce dernier pourrait encore désigner des personnes responsables de chapeauter les activités pour s’assurer que le programme de la soirée soit bien respecté. Après tout, aucun employeur ne voudrait gérer un cas semblable n’est-ce pas? Imaginez-vous si l’évènement avait été filmé puis s’était trouvé sur les médias sociaux? Belle gestion de crise de l’image corporative.

Code vestimentaire monsieur-madame

Madame

Parfois, la frontière entre le bon et le mauvais gout peut être mince. La classe et l’élégance sont à privilégier. Vouloir mettre le paquet pour épater la galerie vous expose non seulement à des ragots de toute sorte, mais c’est aussi sur cette impression que vous laisserez vos collègues professionnels. Bien sûr, avoir investi dans votre kit de bouées de sauvetage intégré peut être noble pour vous prémunir d’une noyade certaine, mais lorsque votre collègue y pose sa canne de Noël — oui, j’ai déjà été témoin de ce geste —, peut-être aurait-il été plus avisé d’opter pour une tenue plus sobre et professionnelle. Après tout, à moins de travailler dans un strip club sur la Main à Montréal, une tenue de ville ne s’improvise pas et le temps du CÉGEP est terminé. À retenir qu’il est démontré que plus une personne se dénude et plus les gens ont tendance à sous-évaluer son intelligence. En effet, une étude menée par une équipe de prestigieux psychologues américains de la Harvard conclut que plus un individu laisse paraitre de sa chair, moins il semble à même de se maitriser et plus il est enclin à laisser ses émotions le dominer (3).

Monsieur

Si nous avons une tendance naturelle à critiquer plus facilement la tenue des femmes en général — ici je me garde de passer mes commentaires féministes face à cette réalité alarmante —, elle n’est pas exclusive à celles-ci. En effet, bien qu’on n’observe pas une tendance outrancière à découvrir sa poitrine ni miser sur son sex-appeal chez l’homme, reste qu’il doit éviter certains pièges. Messieurs, porter un T-shirt pour une soirée où la tenue de ville est requise n’est jamais une bonne idée. Encore moins si ce T-shirt arbore fièrement une feuille de marijuana peu importe le secteur d’activité où vous œuvrez. Vous envoyez un gros signal à votre cadre et à votre partenaire d’affaires que non seulement vous avez de la difficulté à vous adapter à votre environnement le temps d’une soirée, mais peut-être allez-vous leur lancer le signal (Cue) pour débuter l’année avec la mise en place d’un programme de dépistage exhaustif de drogue et alcool et vous serez évidemment le premier en liste des convocations. Optez donc pour une tenue de circonstance et adaptée, neutre et avec un bel agencement où la couleur rouge est à proscrire, c’est la convention. (Bleu = corporate, blanc = pureté voire neutralité, rouge = je pars en guerre jusqu’à tant que ça saigne). Comme le disent les Anglais: Fake it until you become it (faites semblant jusqu’à ce que vous le deveniez vraiment).

Ticket modérateur et le voleur de coupons

Le saviez-vous? L’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA-CRIA) révélait que seulement 40 % des travailleurs ont affirmé dans un sondage CROP en 2011 que leur employeur contrôlait leur consommation d’alcool lors du party de Noël (4).

Le ticket modérateur: c’est LE moyen par excellence pour démontrer que vous êtes un excellent employeur responsable. Celui qui imprime le numéro de Nez rouge et qui met les cartons sur toutes les tables. Celui qui donne des coupons de taxi pour assurer votre retour à l’hôtel ou à la maison de façon sécuritaire. Celui qui offre gracieusement deux tickets par personne pour des consommations gratuites en plus de fournir la bouteille de vin par table. Celui qui met des ivressomètres à la disposition des employés qui voudraient utiliser quand même leur voiture. Cet employeur qui a envoyé le mémo à tous ses employés avant le party pour annoncer la bonne nouvelle qu’est cette politique portant sur les partys de Nowel. Celui qui a rappelé qu’en cas de besoin, vous pouvez vous référer au Programme d’aide aux employés (PAE) pour soigner votre dépendance, s’il y a lieu, avant le party. Cet employeur qui fermera le bar au moins trois heures avant la fin de la soirée juste pour votre propre bien. Toutes ces méthodes susmentionnées peuvent être très efficaces. Cependant, il ne faut pas perdre de vue ce fameux voleur de ticket. Celui qui fait le tour des tables pendant que vous dansez pour ramasser en douce les coupons que vous y avez déposés? Lui, il faut savoir le démasquer avant que le party dérape ou qu’il devienne dangereux pour lui-même. Ceci dit, quelqu’un qui vomit de boisson sur votre table n’est vraiment pas apprécié et laisse un souvenir amer. Ah oui c’est vrai! Ça, c’était une anecdote d’un mariage d’une de mes cousines, pas de Noël. Ceci dit, l’employeur devrait exiger des barmen d’arrêter de servir de l’alcool à tout employé qui montre des signes d’ivresse avant d’en arriver là.

Jeux brise-glace

Allez, ce soir on joue! Oui on va rigoler, tirer! Tiens, prends trois épingles que tu mets sur toi. Si tu parles boulot, alors ton collègue peut te voler une épingle. Tu perds si tu n’as plus d’épingles. Hum, non, mais quel jeu passionnant? Des heures et des heures de plaisir. Il nous fait découvrir toutes sortes de choses:
1. ton incapacité de parler d’autre chose que de boulot à tes collègues;
2. que certains aiment piger tes épingles qui sont évidemment facilement accessibles: «je suis désolé, je n’ai pas voulu t’accrocher, mais…»;
3. que finalement tu sais pourquoi tu ne parles que de boulot avec certains collègues, car le niveau de conversation n’est guère intéressant: «non, mais as-tu écouté le dernier épisode de Nu et célibataire quand le mec s’est fait piquer là où ça fait mal par un maringouin pendant qu’il draguait la fille?».

Il y a aussi ce jeu où il faut apporter des objets pour gagner des points. Cette table qui cumulera le plus de points et qui gagnera un prix. Dans l’action, on demande, bien sûr, un soutien-gorge rouge. Si ces jeux précédemment décrits sont ceux que j’ai personnellement dû subir il y a jadis, je lisais récemment un article qui mentionnait qu’en 2009, une multinationale basée à Toronto (dont on a volontairement tu le nom) organisait un prix du public pour «l’homme le plus attirant», «la femme la plus attrayante», «les plus belles jambes», à la fois chez l’homme et la femme (5). Il me semble que ces types de jeux peuvent vite tourner au vinaigre avec quelques verres en trop. Les jeux douteux ne semblent donc pas exclusifs aux PME. Pour un employeur, exercer un petit contrôle qualité sur les jeux organisés pourrait éviter de bien mauvaises surprises le lendemain. Après le lean manufacturing, le lean management, voici le lean conneries.

En conclusion, comme le party de Noël devient une extension du milieu de travail et qu’il est organisé par le bureau, l’employeur est tenu aux mêmes obligations que si les employés étaient au travail. C’est un pensez-y-bien du point de vue santé et sécurité du travail. Vaut mieux prévenir que guérir. Alors, chers professionnels de la SST, sachez organiser un beau party responsable. Enfin, je profite de l’occasion pour vous offrir mes meilleurs vœux pour un joyeux Noël et une nouvelle année marquée par le bonheur et la santé. À l’année prochaine!


Références bibliographiques

1. Suzanne Houle c. 9022-3363 Québec inc. (Le Pub St-Donat enr.), (2007) C.R.T., Québec, 0348.

2. [http://urbania.ca/210104/je-connais-une-fille/] Natural Born Féministe.

3. [http://www.atlantico.fr/decryptage/etude-scientifiquecerveau-perception-capacites-personnes-fonction-physiquenudite-237307.html#7ibQC1KqbYcL8DaE.99] 2011  American Psychological Association, 0022-3514/11/$12.00 DOI: 10.1037/ a0025883, More Than a Body: Mind Perception and the Nature of Objectification.

4. [http://affaires.lapresse.ca/cv/201312/11/01-4719786-partyde-noel-lemployeur-a-des-responsabilites.php].

5. [http://www.droit-inc.com/article4911-Les-dangers-du-partyde-Noel].

Et pour en savoir plus

1. Les dangers du party de Noël [http://www.droit-inc.com/ article4911-Les-dangers-du-party-de-Noel].

2. Party de Noël: obligation de l’employeur et des employés [http://langlois.ca/party-de-noel-obligation-de-lemployeuret-des-employes/].

3. Et si vous vous blessiez lors de votre «party de bureau»? [http://blogue.soquij.qc.ca/2014/12/10/blessiez-lors-partybureau/].

4. Party de bureau: quelles sont les responsabilités de l’employeur? [http://www.portailrh.org/vigiert/fiche.aspx?p=628686].

5. Sept règles d’étiquette pour votre party de bureau [http://www. espresso-jobs.com/blogue/conseils-demploi/2014/11/25/ 7-regles-detiquette-pour-votre-party-de-bureau/].