CONFORT DES HARNAIS DE SÉCURITÉ


CONFORT DES HARNAIS DE SÉCURITÉ

En 2014, quatorze travailleurs  sont morts des suites d’une chute de hauteur, ce qui représente  un quart des décès au travail  et en fait la deuxième cause  cette année-là (1).

Bertrand Galy
André Lan

La stratégie de protection contre les chutes de hauteur consiste dans un premier temps à éliminer le risque à la source: dans la mesure du possible il faut éviter les travaux en hauteur. Si cela n’est pas envisageable, il faut s’orienter vers des protections collectives comme les garde-corps ou filets. Enfin, en dernier recours, des équipements de protection individuelle (ÉPI) sont fournis aux travailleurs (2). Les ÉPI contre les chutes de hauteur intègrent plusieurs composantes, dont nécessairement un harnais de sécurité. Les harnais sont utilisés dans divers milieux professionnels, pour des tâches extrêmement variées, et sont très courants dans le milieu de la construction.

De manière générale, un ÉPI devrait répondre à trois critères: efficacité, fiabilité et convivialité. L’efficacité est la réalisation des fonctions sans nuire à l’intégrité physique, à la santé ou à la sécurité de l’utilisateur. La fiabilité est atteinte lorsque l’ÉPI exerce ses fonctions correctement, quelles que soient les conditions de travail, les conditions environnementales, l’usure ou les facteurs humains. La convivialité englobe le niveau de facilité d’apprentissage, d’utilisation et d’intégration à la tâche de l’équipement de protection ainsi que le confort lorsqu’il n’est pas utilisé, c’est-à-dire lors de l’exécution normale de la tâche. Cet article présente les exigences prescrites par la norme sur les harnais, qui se concentre essentiellement sur les critères d’efficacité et de fiabilité. Il sera aussi question de l’importance du confort, qui correspond au critère de convivialité.

Harnais conforme à la norme CSA Z259.10

Selon le code de sécurité pour les travaux de construction (3), un harnais doit être conforme à la norme CAN/CSA Z259.10 (4) qui défi nit un harnais de sécurité comme un « dispositif de retenue du corps doté de bretelles d’épaule, de bretelles pectorales et de sangles de cuisse ». La norme exige que les sangles porteuses de charges soient faites de matières synthétiques, mais non de polyoléfines. Les sangles doivent avoir une largeur minimale de 41 mm et une résistance à la rupture de 22 kN. L’anneau dorsal en D est généralement métallique, mais il existe des harnais avec des boucles souples. Depuis 2006, un harnais doit être muni d’indicateurs d’arrêt de chute qui s’activent pour signaler de façon permanente et clairement visible qu’il a arrêté une chute. Enfin, il existe différentes classes de harnais et leurs principales utilisations sont présentées au Tableau 1. La classe A est le harnais de base pour l’arrêt de chute ; les autres classes sont D, E, L et P, mais doivent obligatoirement répondre aux exigences de la classe A. Plusieurs essais de résistance sont prescrits par la norme. Outre les bretelles d’épaules, la bretelle pectorale et les sangles de cuisse, il est mentionné que les harnais de classe A « devraient être équipés d’une sangle sous-pelvienne ». Ceci ne constitue cependant pas une exigence de la norme.

La norme définit donc les exigences en termes de matériaux et de résistance pour la fabrication des harnais, mais ne prescrit rien concernant le positionnement des sangles. Cette partie est laissée à la discrétion du fabricant. Ainsi, si la norme se concentre surtout sur l’efficacité et la fiabilité des harnais, la notion de convivialité est presque absente. Seul l’indicateur d’arrêt de chute est un élément de convivialité, dans le sens où il indique de manière simple au travailleur que le harnais ne doit plus être utilisé. Le critère de convivialité, en particulier le confort, favorise le port de l’équipement alors que le bénéfice qu’on en retire n’est apparent que lors d’un accident, qui est généralement peu probable (5) (6) (7).

Confort des harnais

Depuis 1998, 39 rapports d’enquête d’accident contenant le mot-clé « harnais » ont été publiés par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Quatre de ces rapports ont été écartés, car ils étaient non pertinents, trois ont été écartés, car l’enquête révélait qu’il n’y avait aucune protection antichute. L’analyse des 32 rapports restants montre que la chute est survenue dans 21 cas (66 %), car le harnais n’était pas porté, et dans 11 cas (34 %) où le harnais était porté, mais le point d’attache était inaccessible ou inefficace. Sur ces 32 accidents, 26 ont entrainé le décès du travailleur. Dans la majorité des cas, la chute est survenue, car le harnais n’était pas porté alors qu’il était à la disposition du travailleur. Le problème est donc que le travailleur ne porte pas son harnais alors qu’il devrait le faire.

Plusieurs projets de recherche portant sur les harnais ont été menés au National Institute of Occupational Safety and Health (NIOSH) au cours des dernières années. Une partie des travaux a notamment porté sur la taille et l’ajustement des harnais aux morphotypes modernes des deux sexes (8) (9) (10) (11). La plupart des harnais actuellement sur le marché ont été conçus à partir de bases de données anthropométriques de l’armée américaine, datant des années 70 et 80. Néanmoins les nouveaux modèles de harnais, mieux adaptés aux morphotypes actuels et développés sur la base des études citées en référence commencent à arriver sur le marché.

Lors du choix du harnais, outre les besoins pour la tâche à réaliser et la conformité à la norme, le critère de confort doit être considéré. Parmi les justifications avancées par les travailleurs ne portant pas leur harnais, trois reviennent souvent : ils sont trop lourds, ils tiennent trop chaud, et ils gênent l’exécution de la tâche (12). Il n’y a pas de modèle de harnais universel, convenant à l’ensemble de morphotypes. Chaque travailleur doit donc essayer les différents harnais et choisir celui qui lui parait le plus confortable, sans hésiter à faire des mouvements similaires à ceux correspondant à sa tâche de travail. Des harnais confortables auront pour effet d’améliorer la productivité, car ils interfèreront moins avec la tâche à réaliser (12).

Le harnais doit être conforme à la norme, confortable, mais également bien ajusté afin d’être sécuritaire pour la suspension survenant après la chute. D’un point de vue physiologique, lors de la suspension dans le harnais, la pression des sangles sur les cuisses limite l’afflux sanguin vers le cœur. En conséquence, le cœur se met à accélérer pour alimenter les membres supérieurs et le cerveau, mais si l’afflux sanguin est trop restreint, la perte de conscience surviendra rapidement. Suite à l’évanouissement, le rythme cardiaque sera réduit, ce qui risque de faire tomber l’approvisionnement en oxygène sous un seuil critique et peut entrainer la mort.

Plusieurs études ont montré que le temps de suspension supportable était relativement court. Notamment une recherche menée au NIOSH a montré qu’idéalement, le temps de secours devrait être inférieur à neuf minutes pour éviter que plus de 5 % des travailleurs ne souffrent d’un traumatisme de suspension (13). L’angle de suspension, le point de suspension (dorsal ou ventral), le morphotype de la personne et l’ajustement du harnais ont tous une influence sur le temps de suspension sans symptômes de traumatisme de suspension (14). Ainsi, un harnais confortable, adapté à la morphologie du travailleur et bien ajusté, sera non seulement plus volontiers porté, mais également plus sécuritaire en cas de chute. Un plan de secours adapté à chaque situation de travail devrait être prévu afin de secourir les travailleurs ayant chuté en moins de neuf minutes.


Références bibliographiques

1. Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail. Statistiques Annuelles 2014. 2015, 160 p.

2. Branchtein, Michael. «Lifeline Design: Calculation of the Tensions». In International Society for Fall Protection Symposium, Las Vegas, 2013.

3. S-2.1, r.4. Code de sécurité pour les travaux de construction du Québec. Les Publications du Québec, 2016.

4. CAN/CSA Z259.10 Harnais de sécurité. Norme nationale du Canada. Association canadienne de normalisation. Mississauga, Ontario. 2012.

5. Arteau, Jean et Denis Giguère. «Proposed Method to Test Harness for Strength and Human Factors Criteria». Dans Fundamentals of Fall Protection, sous la dir. de Sulowski, A.C. Toronto: International Society for Fall Protection, 1991, p. 363 390.

6. Arteau, J. et A. Lan. «Les câbles de secours horizontaux analysés sous l’angle de l’efficacité, de la fiabilité et du confort», Colloque international du Comité Recherche de l’AISS, Strasbourg: Presses Universitaires de Nancy. 1993, p 345-347.

7. Beauchamp, Yves, Jean Arteau et Martin Borsseau. «Evaluation of a Lineman’s Belt Equipped with a Retractable Lanyard Fall Arresting System», Advances in Applied Ergonomics, Istamboul, 1996, p 88-92.

8. Hsiao, Hongwei, Jennifer Whitestone, et Tsui-Ying Kau. «Evaluation of Fall Arrest Harness Sizing Schemes». Human Factors, vol. 49, n° 3, juin 2007, p. 447-464.

9. Hsiao, Hongwei, Martin Friess , Bruce Bradtmiller & F. James Rohlf. «Development of Sizing Structure for Fall Arrest Harness Design». Ergonomics, vol. 52, n° 9, Septembre 2009, p. 1128 – 1143.

10. Hsiao, Hongwei, Jennifer Whitestone, Stacie Taylor, Mary Godby, Jinhua Guan. «Harness Sizing and Strap Length Configurations». Human factors, vol. 51, n° 4, Août 2009, p. 497-518.

11.Hsiao, Hongwei. «Anthropometric Procedures for Protective Equipment Sizing and Design». Human factors, vol. 55, n° 1, Février 2013, p. 6-35.

12.Thompson, Tim. «Workers Not Always Using Their Fall Protection Equipment? Here’s how companies can improve workers’safety harness compliance», Occupational Health and Safety, Avril 2016, p. 11-13.

13.Hsiao, Hongwei, Nina Turner, Richard Whisler, and Joyce Zwiener. «Impact of Harness Fit on Suspension Tolerance». Human Factors, vol. 54, n° 3, Juin 2012, p. 346 – 357.

14.Querellou. 2008. «Syndrome du harnais». [http://www.matieres.fr/suspension_harnais/SYNDROME%201[1].1.pdf], visité le 2 septembre 2016.