Culture de SST – Qu’en est-il au Québec?


Culture de SST – Qu’en est-il au Québec?

Les croyances en matière d’accidents de travail prennent toutes sortes de teintes.

Jean Cadieux
Michel Pérusse

À une extrémité, certains sont d’avis que les accidents sont inévitables. À l’autre extrémité, il y a ceux qui affirment que tous les accidents peuvent être prévenus. Certains croient que la seule prévention possible est la vigilance individuelle des personnes exposées alors que d’autres, au contraire, considèrent que c’est l’engagement et la vigilance de toute l’organisation qui constitue la véritable prévention.

Ce sont précisément ces croyances et ces attitudes qui donnent sa couleur à la culture organisationnelle en matière de santé et de sécurité au travail (SST). Dans les articles précédents (1, 2), il a été question de divers niveaux de culture SST, de différents stades de maturité de cette culture. Des références ont aussi été faites à la norme BNQ21000 en matière de développement durable, qui parle entre autres de SST. L’objectif du présent article est donc de présenter brièvement cette norme, et d’expliquer les niveaux de maturité en matière de SST à l’intérieur de cette norme.

La norme BNQ 21 000

Publiée en 2012, la norme BNQ21000, développée par le Bureau de la Normalisation du Québec (BNQ), traite de la gestion du développement durable. Elle a été créée afin d’aider les entreprises du Québec à prendre le virage du développement durable (DD). C’est une norme d’apprentissage du DD où on y apprend à marcher avant de courir. Le cœur de ce référentiel consiste en une grille d’autoévaluation qui traite de 21 enjeux du DD pour les entreprises, dont un pour la SST et bientôt un pour le mieux-être. Les 21 enjeux se divisent en quatre thèmes. On y retrouve bien sûr les trois grands volets habituels du DD, soit le volet environnemental, le volet social et le volet économique. L’une des nouveautés de cette norme, c’est le quatrième volet, à savoir les enjeux moraux, notamment l’éthique et la gouvernance.

L’organisation qui entreprend de s’autoévaluer réalise par le fait même un quadruple bilan. Dans la grille d’autoévaluation, chacun des 21 enjeux est décliné en cinq niveaux de maturité. Ces niveaux tiennent compte de l’attitude de l’organisation face à l’enjeu sous évaluation, de l’impact de cette attitude sur l’attention que l’organisation porte à l’enjeu, et de la résultante sur la culture organisationnelle.

A) Une démarche d’autodiagnostic

La grille d’autoévaluation a été conçue et développée dans un esprit d’apprentissage. C’est pourquoi la matrice qui accompagne chacun des enjeux comporte les critères qui permettent à l’organisation d’identifier à quel niveau de maturité elle se situe.

Une fois la grille d’autoévaluation complétée, il est possible pour un expert, à partir de ce portrait, de coacher une organisation pour l’aider dans sa progression. Tel un professeur de golf qui, après avoir analysé trois ou quatre élans de son élève, s’attaquera aux bases avant d’adresser les techniques avancées, il en va de même pour la gestion. Plus précisément, les mots à utiliser et les actions à poser pour faire progresser une entreprise globalement réactive n’ont rien à voir avec ceux à utiliser face à une organisation accommodante qui désire évoluer vers le stade proactif.

Plus une organisation progresse dans les cinq niveaux des 21 enjeux, et plus elle évolue en maturité, plus elle mesure et apprend, plus elle abandonne le monologue pour le dialogue, plus elle forme et innove, et plus elle apprend à impliquer et à synchroniser ses différentes parties prenantes internes et externes. Une description détaillée des cinq niveaux de maturité serait beaucoup trop lourde pour le présent article; après tout, le Manuel
de gestion (3) qui accompagne la norme compte 718  pages. On peut cependant en faire la description sommaire suivante :

a. L’organisation peut se sentir peu concernée par un enjeu quel-conque. Dans cette situation, elle est généralement peu, voire pas du tout, informée. Pour aider ce type d’entreprises à progresser, les formations d’introduction offertes par les regroupements d’entreprises sont de premières actions qui valent leur pesant d’or, par exemple. Une entreprise ne peut pratiquement pas continuer longtemps à croire qu’elle n’est pas concernée par un enjeu donné; tôt ou tard la réalité, la législation, l’État ou le fisc la rattrapent, poussant ainsi l’organisation dans une crise sévère.
b. Le problème des entreprises réactives provient du fait que l’organisation passe d’une crise à l’autre et, par improvisation, par manque de temps et d’organisation, elle ne mesure rien, ce qui l’empêche de faire les apprentissages nécessaires. Or celui qui n’apprend pas est voué à commettre les mêmes erreurs à répétition. Pour se sortir de ce cercle vicieux, il faut se donner la discipline de mesurer, d’apprendre à déléguer et de commencer à formaliser et à structurer l’organisation et ses processus.
c. Les organisations accommodantes ont surmonté les crises, tous les processus de travail sont bien rodés et entrent en mode pilotage automatique, en quelque sorte. Cependant, ce calme relatif risque d’endormir la vigilance de l’entreprise, qui perd un peu contact avec son environnement qui, lui, continue à évoluer. Bref, c’est comme si la solution du stade précédent provoque le problème du stade actuel. Dans un monde qui bouge vite, les entreprises qui restent accommodantes trop longtemps risquent de rétrograder à une culture réactive. Pour continuer à progresser, elles doivent se remettre en marche. Dans un monde de plus en plus technologique, elles doivent passer de savoir produire à produire du savoir. Dans un tel contexte, l’implication active des employés est un remède indispensable.
d. L’organisation proactive a compris qu’elle doit constamment rester  à l’affut, demeurer alerte et éveillée. Comme on dit au hockey, ses pieds sont constamment en mouvement. Elle a compris que les vieilles solutions ne conviennent plus aux nouveaux problèmes et au contexte changeant. Elle doit cependant comprendre qu’avant d’impliquer les parties prenantes tels les employés, il faut les préparer à l’avance, surtout si elle sort d’une longue période accommodante durant laquelle chacun faisait sa petite affaire. Le piège qui guette l’organisation proactive c’est de miser uniquement sur un gestionnaire porteur de dossiers. Si ce gestionnaire part ou s’absente, l’organisation devient vulnérable. Il faut éviter que tout se centre sur un individu au lieu de l’organisation. Les économies d’énergie, par exemple, ne peuvent pas être l’affaire uniquement du coordonnateur à la gestion environnementale. Par contre, le fait de responsabiliser les employés les fait sortir de leurs pantoufles, et cela apporte des réticences qu’il faut d’abord résoudre. L’engagement à fond de la direction, l’embauche d’experts, les équipes de travail semi-autonomes, une bonne délégation et la confiance envers les employés sont de mises.
e. On dit des entreprises qui ont atteint le stade ultime de maturité qu’elles sont génératrices. Dans une autre terminologie, on les appelle les entreprises de classe mondiale. Celles-ci ont compris qu’on vit dans un monde de plus en plus interdépendant. Comme c’est le cas pour les employés, il faut aussi commencer à réseauter et à tisser des liens avec les fournisseurs, avec les clients et avec la communauté si on veut que tout le monde évolue au même rythme. Ce sont cette générosité et ce partage d’expériences et de bonnes idées qui confèrent à ces entreprises un très haut niveau d’acceptabilité sociale et d’intégration dans la communauté.

B) L’enjeu de la SST

La SST constitue l’un des cinq enjeux du volet social de la BNQ21000. Alors comment se traduisent les cinq niveaux de maturité en ce qui a trait à la SST ?

1. L’organisation dont l’attitude est peu concernée face à l’enjeu de la SST n’y porte aucune attention. Les couts des accidents sont comptabilisés dans la colonne des pertes, ou des couts inhérents à l’opération d’une entreprise. On y constate l’absence de quelque activité de prévention que ce soit. Lors d’un accident, on cherche LE coupable. On est alors en présence d’une culture du blâme, qui ne conduit à aucune forme de compréhension des racines profondes des problèmes, donc à aucun apprentissage organisationnel.

2. L’organisation réactive est souvent celle qui vient tout juste de subir un accident. Devant la possibilité de fermeture ou d’arrêt des opérations par la CNESST, l’attention augmente drastiquement, on monologue et on cherche à minimiser les efforts et les couts. C’est malheureux à dire, mais un accident grave est parfois le seul moyen de sortir de sa torpeur une organisation peu concernée. La culture prédominante ici en est une axée uniquement sur les résultats et la minimisation des pertes, c’est pourquoi on gère plutôt les conséquences que les causes.

3. L’organisation accommodante s’est sortie du stade de réaction par la formalisation, la mesure systématique et la formation en SST. On constate une plus grande sensibilité aux questions de SST. L’attention augmente, car les regards sont davantage organisés et aiguisés. Par contre, on est encore sous l’impression que le simple respect des lois et règlements va résoudre tous les problèmes, donc on n’en fait pas plus. Ce sont là les caractéristiques d’une culture de mesure et de conformité. Tel que déjà mentionné dans un article précédent (1), c’est l’équivalent de ce que Bradley (4) appelle le stade dépendant ; l’entreprise dépend de l’État pour se faire dire quoi faire.

4. L’organisation proactive en SST va au-delà du simple respect des lois et règlements. Elle n’attend plus de se faire dire quoi faire, elle prend des initiatives. C’est l’équivalent du stade indépendant dans la courbe de Bradley. Elle instaure un dialogue social permanent avec ses employés et avec des ressources et intervenants externes, et elle se fixe des objectifs collectifs, par exemple d’obtenir la certification de son système de gestion de la SST (SGSST). En fait, elle travaille à relais avec ses employés, en partageant le pouvoir, en les responsabilisant. Le niveau d’attention portée aux questions de SST augmente drastiquement, ne serait-ce que par le nombre de personnes impliquées. On a alors affaire ici à une culture d’amélioration continue.

5. Enfin, l’organisation génératrice déborde de son organisation et amène même ses fournisseurs et ses clients à progresser. Dans ce genre d’organisation, faire de la SST est devenu aussi naturel que de respirer. Depuis longtemps la SST n’est plus une priorité, mais bien une valeur. On l’appelle génératrice pour au moins trois raisons :

a. d’abord parce qu’elle fait rayonner ses valeurs autour d’elle, dans sa communauté et dans toute sa chaine logistique, par exemple ;

b. ensuite, parce qu’après avoir responsabilisé et impliqué ses parties prenantes internes, elle implique maintenant ses parties prenantes externes ;

c. enfin, parce qu’elle génère de nouvelles façons de bien gérer et qu’elle innove constam ment dans l’attention qu’elle porte à la SST. La culture génératrice en est donc une qui favorise l’innovation et la créativité.

Quelques constats

Depuis sa publication, au moins une cinquantaine d’organisations de toutes tailles et tous secteurs d’activité ont procédé à l’exercice d’autoévaluation dans le cadre de l’implantation de la norme. Il en ressort sommairement que, au Québec, le niveau
de maturité global moyen est celui de Réactif +. Donc tout juste mieux que le niveau réactif, mais encore loin de l’accommodant. Bien entendu, les résultats varient en fonction des secteurs d’activité concernés. Ainsi, les minières constituent le secteur globalement le plus avancé, se positionnant entre le stade accommodant et le stade proactif. Il faut dire que les entreprises de ce secteur sont hautement règlementées et surveillées par des parties prenantes externes telles que l’État, les marchés et des organisations comme Greenpeace.

L’attitude des entreprises face à la présente norme semble être la même que leur attitude face aux normes en matière de SGSST. En somme, elles se demandent s’il est utile d’obtenir une certification. Peut-on se contenter d’appliquer les pratiques préconisées par la norme ? Ce qui compte, c’est la bonne performance en matière de SST, alors, la certification représente-t-elle une valeur ajoutée ? Le fait de subir un audit dans le cadre de l’exercice de certification confère-t-il plus de sérieux à l’ensemble du système de gestion ?

On peut débattre encore longtemps de l’utilité ou de la nécessité des certifications. Précisons que pour l’instant il n’y a pas de certification rattachée à la norme BNQ 21000, mais une réflexion et des travaux sont en cours pour en faire une norme certifiable, notamment par le Conseil des Industries durables. Au final, toutefois, ce n’est pas tant l’objectif  initial que les auteurs de la norme se sont fixés qui compte, mais bien ce que les gens en font. Ce qui est intéressant de constater c’est que grâce au Manuel de gestion du développement durable (3) en appui à la norme, plusieurs gestionnaires utilisent la norme à titre de tableau de bord de gestion pour baliser l’avancement de leurs travaux sur les 21 enjeux.

Conclusion

Un tel exercice d’introspection est plus que nécessaire. Car il est inquiétant, voire désolant, de constater que, en moyenne, l’attention consacrée à la SST soit à peine mieux que le niveau réactif. Heureusement, les gestionnaires qui font cet exercice d’autoévaluation prennent conscience des lacunes de leurs systèmes de gestion, et généralement il s’ensuit un début de prise en charge plus sérieuse de la SST. Ce genre de prise de conscience est la plupart du temps salutaire. Il n’en demeure pas moins que, au final, il reste encore beaucoup de travail à faire.