De l’amiante en bijouterie ?

De l’amiante en bijouterie ?

On associe généralement l’amiante à un composant des matériaux de construction.  C’est donc avec une certaine curiosité scientifique que nous avons traité le cas d’un bijoutier atteint  d’une maladie liée à l’amiante d’origine professionnelle.

Capucine Ouellet

Pour arriver à cibler les canaux d’exposition à l’amiante en bijouterie, nous avions plusieurs informations médicales et professionnelles concernant ce bijoutier qui a développé une maladie à déclaration obligatoire (MADO). Nous avons aussi consulté la littérature, peu abondante et peu récente, pour faire des liens avec des cas documentés et pour cibler comment un bijoutier peut s’exposer à l’amiante.

D’après nos recherches, l’amiante dans le secteur de la bijouterie a longtemps été présent dans les produits et outils suivants:
• Les moules utilisés pour la fonte à cire perdue étaient confectionnés en mélangeant manuellement une poudre d’amiante, du plâtre de Paris et de l’eau. Dans deux études répertoriées, cette pâte contenait entre 25% et 45 % d’amiante chrysotile (1, 2). Ces moules étaient taillés avant de durcir puis, une fois secs, pouvaient être frottés pour enlever les défauts superficiels.
• Les plaques sur lesquelles la soudure des bijoux était effectuée étaient en amiante. Elles servaient à protéger la table contre la chaleur de la flamme, mais pouvaient avec le temps se désagréger et libérer des fibres d’amiante. Il arrivait aussi aux bijoutiers de devoir couper les plaques d’amiante (3). Leur utilisation a graduellement été remplacée par des plaques en céramique à partir de la fin des années 1970 (3).
• Des perruques de soudage en amiante étaient utilisées (4). Il s’agit d’un grillage irrégulier posé sur la plaque de soudage sur lequel le bijou à souder est lui aussi posé. La flamme peut ainsi se promener tout autour du bijou de façon relativement uniforme, pour bien le chauffer. Des fils de fer tordus peuvent maintenant être utilisés.
• Des supports en amiante pouvaient être utilisés pour y déposer les bijoux encore chauds (4, 5). Il semble que la présence d’amiante dans ces supports soit encore possible de nos jours (5).
• Des gants en amiante, et parfois même des tabliers composés d’amiante, pouvaient être utilisés pour manipuler les moules chauds sortant du four après la coulée de métaux (4, 5). Ces vêtements contre la chaleur sont pour la plupart remplacés par d’autres vêtements ou instruments (ex. : des pinces pour remplacer les gants), mais il pourrait en persister dans certaines entreprises (5).
• Du soudage avec des baguettes contenant de l’amiante a également pu être effectué par le passé.

Dans trois études répertoriées (1, 2, 3), on mentionne également le balayage des planchers poussiéreux, l’absence de ventilation adéquate dans les locaux de travail souvent exigus et l’absence de protection respiratoire. Ces déterminants ont pu favoriser l’exposition des bijoutiers à l’amiante.

Le secteur d’activité des bijouteries n’est pas reconnu pour l’exposition des travailleurs à l’amiante (1, 3). De plus, toutes les études ne relèvent pas d’association entre les causes de mortalité des bijoutiers et l’amiante (6).

Enquête et analyse dans deux bijouteries

Nous avons par la suite visité les deux établissements toujours ouverts, où le bijoutier ayant développé la MADO en question avait déjà travaillé. Les représentants d’entreprise ont été interrogés sur l’utilisation des divers produits et outils pouvant contenir de l’amiante. Pour se faire, la liste mentionnée ci-haut concernant l’amiante dans le secteur de la bijouterie présent dans les produits et outils a été utilisée.

L’une des deux bijouteries visitées a affirmé ne plus utiliser de tels produits et outils, l’autre a affirmé ne l’avoir jamais fait. Des observations sur place et l’étude des fiches signalétiques ont permis de vérifier ces faits. L’objectif de notre enquête était donc atteint: nous avons pu nous assurer que les employés actuellement à l’emploi de ces deux bijouteries ne sont plus exposés à l’amiante.

Si cela est une bonne nouvelle pour les jeunes bijoutiers, il reste que les bijoutiers d’expérience ont pu être exposés par le passé. En effet, une des bijouteries visitées avait, par le passé, utilisé des supports, des plaques et des gants en amiante et avait réalisé des moules à l’aide d’une pâte composée d’amiante. Ces produits et outils n’étaient plus utilisés depuis plus de dix ans. Trois bijoutiers de carrière toujours à l’emploi de cette entreprise ont toutefois pu par le passé être exposés à l’amiante.

Conclusion

Le métier de bijoutier en est un hautement qualifié et requiert beaucoup de minutie. Les bons bijoutiers sont maintenus longtemps en poste. Certains d’entre eux sont encore aujourd’hui sur le marché du travail et ont pu être exposés à l’amiante par le passé. D’autres cas de MADO amiante dans le secteur de la bijouterie pourraient donc survenir.

Étant donné (a) que la bijouterie n’est pas un secteur d’activité reconnu pour l’exposition à l’amiante, (b) que plusieurs médecins ne sont pas familiers avec tous les métiers ayant un potentiel d’exposition à l’amiante; donc pouvant facilement écarter ce diagnostic chez les bijoutiers et que (c) les maladies étant associées à l’exposition à l’amiante peuvent prendre plusieurs années à se développer (même 40 ans pour un mésothéliome), il nous apparaissait important de diffuser ce lien de causalité probable aux médecins, aux travailleurs de l’industrie et aux intervenants en santé au travail.

Finalement, la présence d’amiante dans cette industrie semble presque disparue. Dans un but préventif, il faut demeurer vigilant en ce qui concerne les gants et les supports à bijoux pouvant contenir de l’amiante, d’autant plus que des produits de remplacement sont facilement disponibles.


Références bibliographiques

1. Kern DG, Hanley KT, Roggli VL (1992). Malignant Mesothelioma in the Jewelry Industry. American Journal of Industrial Medicine 21:409-416.

2. Kern DG, Frumkin H (1988). Asbestos-Related Disease in the Jewelry Industry: Report of Two Cases. American Journal of Industrial Medicine 13:407-410.

3. Dossing M, Langer SW (1994). Asbestos-Induced Lung Injury Among Danish Jewelry Workers. American Journal of Industrial Medicine 26:755-758.

4. Peltier A., Elcabache J.M., Guillemin C., Aguillon J.P., Le Quang X (1994). Pollution dans les ateliers de fabrication de bijoux. Institut national de recherche et de sécurité (INRS). ND 1971. CND – Hygiène et sécurité du travail, 157. pp. 411-421.

5. Officiel prévention santé et sécurité au travail (janvier 2013). La prévention des risques professionnels dans les bijouteries et joailleries. Sur le site de Officiel prévention santé et sécurité au travail. Consulté le 23 octobre 2015. [http://www.officiel-prevention.com/formation/ fiches-metier/detail_dossier_CHSCT.php?rub=89&ssrub=206&dossi d=454].

 6. Dubrow R, Gute DM (1987). Cause-Specific Mortality Among Rhode Island Jewelry Workers. American Journal of Industrial Medicine 12:579-593.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]