Employeurs : ACCOMMODEZ


Employeurs : ACCOMMODEZ

Historiquement, l’employeur n’avait pas l’obligation d’accommoder le travailleur qui conserve des limitations fonctionnelles à la suite d’une lésion professionnelle. Toutefois, depuis juin 2014, la Cour Supérieure a renversé ce courant jurisprudentiel majoritaire et désormais, le travailleur handicapé bénéficie du droit d’être accommodé par son employeur.

Virginie Maloney

Le hic: ce nouveau courant jurisprudentiel est-il réellement à l’avantage du travailleur?

Jugement CSST c. Caron (1)

Cette affaire, qui relève pratiquement de la saga judiciaire, démontre bien les nombreuses difficultés en réadaptation professionnelle qu’un travailleur accidenté peut subir dans le cours d’un dossier CNESST (2). Le travailleur, monsieur Caron, avait 25 ans d’ancienneté lorsqu’il est victime d’un accident de travail qui lui cause des limitations fonctionnelles permanentes. La CSST conclut qu’il est capable de retourner à son emploi. Or, c’est l’employeur qui conteste la capacité de travail et qui a gain de cause devant la Commission des lésions professionnelles (3). Ce faisant, celle-ci conclut à son incapacité de retour au travail et retourne le dossier en réadaptation professionnelle. L’employeur soumet alors qu’il n’a pas d’emploi convenable disponible pour le travailleur et met fin au lien d’emploi. Le travailleur invoque donc être victime de discrimination en raison de son handicap et prétend que son employeur ne respecte pas son devoir de favoriser un retour au travail. La Commission des lésions professionnelles, suivant le courant jurisprudentiel fortement majoritaire, pour ne pas dire unanime, décide qu’un travailleur accidenté ne peut se prévaloir des dispositions relativement à la protection des travailleurs contre la discrimination sur la base du handicap.

La Cour Supérieure renverse ce jugement et conclut plutôt qu’un travailleur accidenté peut alléguer son droit à l’accommodement raisonnable (4). Le principe d’accommodement s’applique même aux litiges découlant de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) (5).

En juin 2015, la Cour d’appel confirme la position de la Cour Supérieure et se prononce: l’employeur doit accommoder le travailleur qui conserve des limitations fonctionnelles à la suite d’un accident de travail. Cette révolution en matière de réadaptation cause bien des tourments aux principaux acteurs en santé et sécurité, que ce soit l’employeur, le travailleur ou la CNESST.

Le raisonnement de la Cour d’appel tombe sous le sens: pourquoi un travailleur handicapé dans sa vie personnelle bénéficie des protections de la Charte des droits et libertés de la personne (6) quant au devoir d’accommodement, alors qu’un travailleur victime d’un accident de travail ne pourrait pas en bénéficier?

Jusqu’à cet important jugement, tout le processus de réadaptation professionnelle prévu dans la LATMP faisait office de mesure d’accommodement de l’employeur. Par contre, le travailleur limité physiquement en raison de son accident de travail se voyait bien souvent perdre son emploi, et ce, même s’il bénéficiait d’une ancienneté appréciable. En effet, la LATMP n’obligeait pas un employeur à offrir au travailleur un emploi adapté. Il arrivait donc fréquemment que les limitations soient plutôt un prétexte pour mettre fin à l’emploi d’un travailleur.

Accommodement et emploi adapté?

Auparavant, lorsque les limitations fonctionnelles du travailleur l’empêchaient de retourner à son emploi prélésionnel, la CNESST et l’employeur vérifiaient alors la possibilité de trouver un emploi équivalent ou un emploi convenable au sein de l’employeur. Un principe important à retenir des enseignements de la Commission des lésions professionnelles: cet emploi convenable doit exister réellement et ne doit pas être fait sur mesure ou modifié. De cette manière, le travailleur est assuré de se faire offrir un emploi qui est réaliste et qu’il pourra occuper ailleurs advenant le cas où l’employeur cesserait ses occupations. La démarche, qu’elle soit au sein de l’employeur, ou à l’extérieur de l’établissement, doit normalement être similaire.

Par contre et depuis le jugement Caron, il est désormais impératif que l’employeur adapte l’emploi prélésionnel, l’emploi équivalent ou l’emploi convenable. Ainsi, un certain flou juridique demeure quant à la question de l’emploi convenable. On entrevoit une certaine ouverture des tribunaux à la nomination d’un emploi convenable adapté (7).

Indirectement, le travailleur handicapé se retrouve vulnérable et exposé advenant le cas où il perdrait son emploi dans les mois suivants. Il se retrouverait donc avec un titre d’emploi convenable qu’il ne peut réellement occuper. Nonobstant cette possibilité, le travailleur se retrouve également à perdre les bénéfices du service de la réadaptation professionnelle offert par la CNESST, qui pourrait lui trouver un emploi beaucoup plus convenable. Dès que l’employeur offre un tel emploi au sein de son établissement, le travailleur ne peut pas le refuser et préférer en choisir un autre.

Retour au travail progressif

L’obligation d’accommodement vise également les mesures de retour au travail et permet au travailleur de porter plainte à l’encontre de son employeur en cas de non-respect. En effet, si le retour au travail est prescrit de manière progressive, le non-respect constitue désormais une sanction. En outre, l’employeur qui refuse de permettre un retour au travail progressif est considéré octroyant une sanction au travailleur, ce qui découle également du jugement de la Cour d’appel.

En conséquence, celui-ci peut porter plainte, comme cela a été constaté dans la décision St-Pierre et Fortress Specialty Cellulose inc. (8). Dans cette affaire, le tribunal confirme que depuis la décision Caron, l’employeur doit non seulement accommoder et faciliter le retour au travail, mais le manquement à cette obligation constitue une sanction susceptible d’être indemnisée. Il s’agit donc d’une nouvelle application du jugement de la Cour d’appel à l’avantage du travailleur.

En conclusion

Ce nouveau courant jurisprudentiel soulève bien des maux de tête auprès des intervenants et semble parfois pénaliser autant les travailleurs que les employeurs. C’est probablement la raison pour laquelle une autorisation de pourvoi à la Cour Suprême du Canada a été logée. Le dénouement de cette histoire n’a pas fini de faire des vagues!


Références bibliographiques

  1. Commission de la santé et de la sécurité au travail c. Caron 2015 QCCA 1048.
  2. Depuis janvier 2016, la CSST est fusionnée avec la Commission des normes du travail et la Commission de l’équité salariale, pour former la «Commission des normes, de l’équité, de la santé et la sécurité au travail» ou «CNESST». Lors des faits en litige, la CNESST n’était pas encore constituée et nous référons donc plutôt à la «CSST».
  3. Centre Miriam c. Caron 2009 QCCLP 7677. Cette décision a été confirmée en révision pour cause.
  4. Caron c. Commission des lésions professionnelles 2014 QCCS 2580.
  5. L.R.Q. c. A-3.001.
  6. Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. c. C-12.
  7. Voir la décision Cheng et Aliments McCain (division Wong Wing) 2015 QCCLP 4826.
  8. St-Pierre et Fortress Specialty Cellulose inc. 2015 QCCLP 4954.

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