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DROGUES AU TRAVAIL

FACULTÉS AFFAIBLIES au travail

Robert Richards1

La récente législation sur le cannabis crée énormément de questionnements,  voire de confusions auprès des employeurs. Comment traiter ce dossier ? Quoi faire si un employé est intoxiqué au cannabis ou autres substances ? Quelles sont les responsabilités de l’employeur ?

Autant de questions et plusieurs autres auxquelles les conférenciers ont répondu lors d’une rencontre organisée par le Comité Inter-Entreprises du Montréal Métropolitain (CIEMM). Les conférenciers étaient Me Daniel Rochefort (1) et Claude A. Sarrazin (2) appuyés par les commentaires judicieux de Suzanne De Larochellière (3). Les moyens de consommation du cannabis sont très variés. On passe du produit sous un papier en roulé comme une cigarette, à la pipe et au produit qui peut être mangé sous forme de bonbons, de muffins, de biscuits ou autres.

En entreprise, on retrouve des consommateurs de cannabis, mais aussi de diverses autres drogues comme la cocaïne, les Speed, sans oublier l’alcool.

SST et consommation en entreprise

La consommation de substances réduisant les capacités intellectuelles et physiques présente un aspect légal important au niveau de la santé et de la sécurité du travail (SST). Une responsabilité de l’employeur, mais aussi sociale s’y retrouvent concernées.

Pour un employé qui consomme, le risque d’accident du travail grave, voire mortel pour lui ou pour les autres, est accru de trois fois souligne Claude Sarrazin. Par ailleurs, les risques sont très différents en fonction de l’emploi selon que l’on compare un travailleur opérant une machinerie lourde, un pilote d’avion, un médecin ou un employé qui fait un travail de créativité devant un ordinateur dans un bureau (2).

Rôle de l’employeur

La Loi sur la santé et la sécurité du travail du Québec (LSST) indique que l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour que la SST soit appliquée dans son entreprise. Ceci inclut l’aspect des facultés affaiblies (1, 2). Des dispositions légales prévoient la responsabilité des personnes et des organisations (2).

• LSST : article 51 : l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique du travailleur.
Code civil du Québec : Article 2087 : l’employeur doit prendre les mesures appropriées à la nature du travail en vue de protéger la santé, la sécurité et la dignité du salarié.
Code criminel du Canada : Article 217.1: il incombe à quiconque dirige l’accomplissement d’un travail ou l’exécution d’une tâche ou est habilité à le faire de prendre les mesures voulues pour éviter qu’il n’en résulte de blessure corporelle pour autrui.

C’est donc l’ensemble de l’organisation qui doit s’impliquer. Tous, à  tous les niveaux peuvent être responsables d’une situation inadéquate pouvant causer un accident du travail. Cela implique tout le monde à partir de la direction jusqu’aux superviseurs et autres employés incluant leurs représentants syndicaux. Tout le monde doit être impliqué. Chacun a sa part de responsabilité.

Selon Me Rochefort, il est de la responsabilité :
• de l’employeur d’assurer la sécurité au travail;
• des superviseurs de retirer de son poste de travail un employé sous
l’influence d’une drogue ou d’alcool;
• des employés de se présenter au travail aptes à exécuter leurs tâches  de manière sécuritaire.

L’employeur peut interdire la consommation et la possession de cannabis sur les lieux de travail.

Par ailleurs, souligne Me Rochefort, si on retourne chez lui un employé intoxiqué, il est de la responsabilité de l’employeur et du superviseur qui retire le travailleur que ce soit fait sécuritairement et conformément à la loi. Par exemple, on fournit le transport par taxi et
on indique l’adresse de l’employé au chauffeur. Mais on ne laisse pas une personne intoxiquée utiliser son propre véhicule avec facultés affaiblies.

Cela s’adresse également aux sous-traitants œuvrant pour l’employeur pour lesquels il faut surveiller les problématiques de consommation.

Une intoxication qui coute cher

Il était connu de la part de l’employeur qu’un travailleur consommait régulièrement des drogues et que, dans le passé, il s’était déjà présenté quelques fois au travail sous l’influence d’une intoxication.

Or ce matin là, déjà intoxiqué à son arrivée, ce travailleur avait consommé du cannabis pendant sa pause. Ayant omis de mettre en fonction le système de détection incendie, il en a résulté une explosion suite à un début d’incendie non détecté. Trois employés furent blessés dont un gravement et les couts de l’accident furent évalués à 7 millions de $. L’enquête a dévoilé que le superviseur savait qu’il y avait une problématique avec cet employé, mais qu’il n’avait pas cru bon d’aviser la direction. Suite à l’enquête, l’employé fut congédié ainsi que d’autres travailleurs consommateurs.

Responsabilité de l’employeur lors d’un party de Noël

À la fin du party de Noël pour les employés de bureau tenu dans un resto-bar, la plupart des employés partent, mais quelques-uns restent et continuent de consommer de l’alcool. Une des employées étant restée pour consommer subit un accident grave sur la route à son retour. L’employeur n’a pas été reconnu responsable, car il n’avait payé qu’un seul verre de vin lors du party. Mais cette employée est restée dans l’établissement alors que les autres avaient quitté. Elle avait continué de consommer après que la fête soit terminée.

Conduite de véhicule

De nombreux travailleurs doivent conduire un véhicule dans le cadre de leur travail. Camion neurs, chauffeurs de transport public, consultants, conseillers devant rencontrer des clients, conducteurs de machinerie lourdes, policiers et ambulanciers en sont des exemples.

La responsabilité de ces conducteurs dépasse l’aspect de la SST. Il faut aussi considérer la responsabilité criminelle, civile et sociale. Ainsi, en 2003, un col bleu de Montréal en état d’ébriété percute une camionnette avec sa niveleuse blessant les membres d’une famille qui y prennent place (2).

La législation provinciale, qui s’applique toujours dans le cadre de la conduite d’un véhicule pour le travail, considère le risque de conduire avec les facultés affaiblies suite à la consommation d’alcool ou d’une drogue, dont le cannabis. À tout ceci, s’ajoutent les dommages au niveau de la réputation d’une entreprise si un chauffeur d’un véhicule identifié au nom de cette entreprise est accusé de facultés affaiblies suite à un accident grave.

Trafiquants en entreprise

Dans les entreprises, peu importe le milieu de travail, il y a environ 10 à 12 % des individus qui sont des cas délinquants de consommation (2).

Certaines entreprises deviennent des milieux privilégiés pour le crime organisé qui s’y infiltre pour la vente des drogues (2). Il faut donc aussi surveiller les vendeurs directement dans l’entreprise. Un cas de revendeur a déjà été pris dans une usine avec plusieurs pilules d’amphétamines et un demi-kilo de cocaïne (2).

S’il est de la responsabilité de l’employé de se présenter apte à faire son travail, il y a aussi celle de l’employeur, donc de ses superviseurs, de détecter les employés sous influence de drogue et même intoxiqués par des médicaments affectant leurs facultés.

Suzanne De Larochellière (3) rappelle que la concentration de THC, la substance active de la marijuana, a plus que triplé depuis les années 70, passant de 5-6 % à 15-18 %.

En entreprises, des drogues comme les Speed, prétendues amphétamines, se présentent sous forme de pilules et la plupart du temps elles contiennent une combinaison d’autres drogues comme la méthamphétamine, l’ecstasy, le nexus, etc… dont les dosages et les compositions sont très variables, compte tenu des méthodes artisanales de préparation.

De plus, tout se vend sur Internet incluant des copies de médicaments comme le Fentanyl.

Rappelons que quand on achète d’un pusher, on n’est jamais certain de la qualité du produit. Il y en partout de ces pushers, incluant directement sur les lieux de travail, à l’abri de la surveillance policière et à l’insu du conjoint de l’employé ou de sa famille.

Certaines entreprises sont même devenues des milieux privilégiés pour le crime organisé qui y vend des produits (2).

À propos du cannabis thérapeutique

Suzanne De Larochellière mentionne que le Collège des médecins du Québec serait d’avis que le cannabis fumé n’est pas un médicament et qu’il reste du travail à faire avant de se prononcer sur son sujet. Il faudrait des études précisant des dosages précis pour prescrire. Aussi, on ignore encore les interactions avec la plupart des médicaments. Des consommateurs se sont tournés vers des médecins dans d’autres lieux comme en Ontario, et même sur le Web pour obtenir des prescriptions.

Avec une ordonnance vient l’option de requérir un droit de produire pour soi-même ou de faire produire pour soi par un tiers. On peut alors faire produire par quelqu’un d’autre. Le crime organisé y a décelé une excellente opportunité d’affaires. En 2018, on est passé d’environ 3000 à 7 – 8000 permis de produire à des fins médicales du cannabis chez soi ou dans un lieu de leur son choix plutôt que de le prendre du gouvernement (3).

Dépistage en milieu de travail

La Loi n’accorde pas à l’employeur le droit au test de dépistage obligatoire aléatoire ou systématique. Il y a toutefois, trois exceptions, précise Me Rochefort :

• motifs raisonnables de croire que l’employé a des facultés affaiblies (symptômes);
• implication dans un accident ou un incident grave;
• retour au travail après un traitement pour toxicomanie ou alcoolisme.

Mais on ne peut pas procéder au test de dépistage s’il n’y a pas de motif raisonnable de facultés affaiblies.

Moyens d’action pour détecter la drogue

Les moyens d’action pour détecter les consommateurs de drogues en milieu de travail sont de trois niveaux.
Préventif : la prévention inclut la formation pour donner des outils d’intervention par l’identification des symptômes apparaissant chez une personne intoxiquée. Souvent le superviseur ne connait ni les drogues ni les symptômes apparents liés à leur consommation.
Sensibilisation : il doit y avoir une politique claire de la part de l’employeur. Il faut répéter cette politique par divers moyens comme des affiches, des dépliants, etc. La possession de drogues et d’alcool en milieu de travail doit être interdite.
Répression : ultimement on arrive à la répression. Quand on sait qu’il y a une problématique, on doit agir. On peut effectuer un dépistage lorsque cela est permis puis mener une enquête et mettre en application des conséquences qui sont de rigueur.

Pour l’enquête, il est possible, entre autres, de faire des analyses de la présence de drogues sur des outils de travail comme un marteau, une pince, un clavier ou un volant de véhicule. Cela permet d’identifier à la fois les substances et de confirmer l’utilisation par les personnes.

On doit assumer qu’il y a des cas partout et que ce fléau touche toutes les couches de la société, autant les professionnels dans les bureaux que des ouvriers, hommes et femmes de tous âges. Même un employé modèle pendant 20  ans peut un jour tomber au rang de consommateur pour différentes raisons.

Politique

L’employeur doit mettre en place une politique concernant la consommation de substances ou sur les facultés affaiblies au travail qui devrait contenir (1) :
• une définition des termes consommation et d’abus de substances et facultés affaiblies;
• des précisions sur les personnes visées par la politique ou le programme;
• un énoncé sur le droit à la confidentialité des employés;
• une disposition relative à la formation offerte aux employés (par ex., un programme de sensibilisation pour un milieu de travail sans alcool ni drogue, une formation sur la prévention et la résilience);
• une disposition relative à une formation offerte aux employés, aux superviseurs et autres sur la détection des comportements avec facultés affaiblies;
• une disposition relative à l’aide offerte aux consommateurs de substances;
• un aperçu de la façon dont on s’attaquera aux problèmes de consommation de substances et de facultés affaiblies sur le lieu de travail;
• si nécessaire, des précisions sur les circonstances en vertu desquelles des tests de dépistage de drogues ou d’alcool seront effectués;
• une disposition prévoyant des mesures disciplinaires.

Communication

Les politiques et moyens d’action doivent être connus de tous. La communication devient un outil essentiel pour lutter contre ce fléau. L’important c’est d’être vigilant sans oublier qu’il y a beaucoup de moyens de consommation. Une formation, qui représente un moyen
de communication, devient alors essentielle. Divers indices comme les odeurs, les comportements, les changements d’attitude, les réactions des gens, leur façon de nous regarder sont autant d’éléments à considérer pour détecter un consommateur.

La communication doit être permanente et utiliser divers moyens. Des affiches, des rappels, des notes, des conférences, des rencontres et tout autre moyen comme une table d’échange d’informations doivent rappeler les éléments de la politique de l’entreprise qui prône la tolérance zéro.

Enquête

S’il y a des indices de consommation ou d’activités de trafic, une enquête par des personnes qualifiées pourrait s’avérer nécessaire. Cette enquête doit impliquer l’identification du ou des pushers, le lieu où est cachée la drogue en attente de la vente, leur modus operandi, etc. Différentes méthodes pourraient être utilisées en fonction du résultat visé par l’employeur. Pour régler une telle situation au Québec, il faut requérir à une entreprise spécialisée en enquêtes détentrice d’un permis du Bureau de Sécurité Privé (BSP).

Signes de facultés affaiblies (2)

Les signaux de facultés affaiblies sont nombreux. Parmi ceux-ci, on retrouve :
• des changements de personnalité ou un comportement imprévisible (p. ex., des conflits interpersonnels plus fréquents, une réaction excessive à la critique);
• des indices de facultés affaiblies au travail (p. ex., une odeur d’alcool ou de drogues, des yeux rouges ou vitreux, une démarche instable, de la difficulté à parler clairement,
un manque de coordination);
• des méthodes de travail non sécuritaires ou un accident/incident;
• un test de dépistage positif pour les drogues ou l’alcool;
• des retards répétés, des absences fréquentes, une baisse de productivité ou une diminution de la qualité du travail.

Parfois il y a des caches de drogues, par exemple, dans un contenant dissimulé sur le terrain de l’entreprise ou dans un casier non assigné à un employé. On suggère aux employeurs de verrouiller les casiers libres et non assignés afin de limiter les cachettes.

La collaboration avec les services de police est essentielle. On ne range pas la drogue qu’on a retrouvée sur les lieux de travail dans un tiroir de son bureau en attendant plus de développements. On prend une photo, simplement avec un cellulaire c’est suffisant, et l’on remet le tout aux policiers.

La prévention s’applique aussi en amont lors de l’embauche avec une vérification des antécédents. Cela est important pour limiter, entre autres, l’introduction de vendeurs qui sont généralement eux-mêmes des consommateurs.

Intervention auprès du travailleur ayant consommé

Une intervention s’impose quand un travailleur est soupçonné d’avoir consommé et de présenter des facultés affaiblies (2). On peut dès lors l’observer ou aller s’adresser à lui pour établir les symptômes présents et obtenir le motif raisonnable d’intervention.

Le travailleur devrait ensuite être convoqué discrètement, à l’écart des autres. Si l’employé le souhaite, la présence du représentant syndical, idéalement formé, est souhaitable, mais
ne devrait pas ralentir le processus. On doit garder en tête la possibilité d’aider un travailleur qui aurait un problème de consommation et de préserver sa confidentialité.
On débute l’entretien avec une mise en garde du genre :

J’ai décelé des signes qui me portent à croire que vous êtes intoxiqué alors que vous êtes au service de l’entreprise, mettant ainsi en danger votre propre sécurité ainsi que celle de vos collègues.

Conséquemment, je vous crois en contravention de la Poli­tique de l’entreprise relative à l’usage de drogue et d’alcool. Pour cette raison, je dois vous retirer de votre poste de travail et je compte sur votre collaboration.

Avez-­vous bien compris ce que je viens de vous dire ?

Au besoin, l’employé sera retiré du travail et raccompagné vers son domicile selon la procédure :
• par taxi;
• avec les coupons prévus à cet effet;
• on indique soi-même au chauffeur l’adresse de l’employé;
• l’employé peut choisir d’être raccompagné par une personne de son  choix. On suggère cependant d’éviter le raccompagnement par un autre employé.

Finalement, un rapport d’intervention sera rédigé, signé devant témoin par l’employé concerné.

Un combat sans fin

La lutte contre l’utilisation de drogues et d’alcool est un combat continu. Il ne faut jamais baisser les bras. Il y aura toujours des drogues et de l’alcool disponibles et des personnes qui développeront une dépendance. La culture d’entreprise doit prôner la tolérance zéro. Fournir de l’aide, développer un climat de saines habitudes et offrir de la prévention seront
vos alliés.

De plus, le droit évolue, la vie évolue et une politique doit être revue sur une base annuelle. Et surtout au niveau du cannabis, soyez prêts à une évolution de la jurisprudence (1).


1 – Robert Richards – CRIA [robert.richards@travailetsante.net]

Références

  1. Me Daniel Rochefort, avocat chez Rochefort et Associés [www.rochefort-associes.com].
  2. Claude A. Sarrazin, président et chef de la direction, Groupe Sirco, [www.groupesirco.com].
  3. Suzanne De Larochellière, Directrice Formation et Prévention, Groupe Sirco [www.groupesirco.com].