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ERGONOMIE

FORMATION SUR MESURE Stratégies de travail intégrées

Isabelle Gagnon1

Marie-Pascale Bisson2

Une formation sur mesure réussie sait intégrer la SST, la qualité ainsi que la productivité. L’analyse de l’activité réelle des travailleurs est la clé de cette réussite.

L’entreprise où s’est déroulée l’activité est spécialisée dans la galvanisation de com­posants d’acier de différents types. Cela va de composants d’éoliennes, de pylônes ou de  remorques à des pièces architecturales uni­ques. En raison de cette grande diversité, la
manutention des pièces présente un défi important sur le plan des méthodes de travail. Les
accidents les plus fréquents sont liés aux actions de manutention et touchent  majoritairement les membres supérieurs et le dos. Afin de ré­duire ces derniers, l’entreprise souhaite former les coordonnateurs des équipes de travail, les superviseurs de quart ainsi que le représentant des travailleurs afin de les outiller à devenir des coachs ergo auprès des travailleurs.

Facteurs de risque

L’entreprise, qui œuvre depuis plus de 50 ans, a transféré il y a cinq ans ses activités dans une nouvelle usine à la fine pointe de la technologie, dotée de stations de travail équipées de balancelle hydrauliques, réglables en hauteur et inclinables. La manutention des pièces très lourdes est réalisée à l’aide de chariots élévateurs, de transpalettes et de potences. Toutefois, la majorité des pièces est manutentionnée manuellement par les travailleurs. La majorité du personnel cumule maintenant moins de deux ans d’expérience. Une formation est réalisée à l’embauche afin d’expliquer les exigences du travail en termes de procédés  de production et de règles de santé et de sécurité au travail (SST). Il y a aussi une phase de compagnonnage avec des travailleurs expérimentés. Aucune formation spécifique n’est offerte sur la manutention manuelle. Or, il s’avère que la rétention de la main d’œuvre aux postes d’entrée dans l’usine, ceux d’accrocheur/décrocheur de pièces soit difficile et les exigences physiques élevées en sont en partie responsables. Les situations de manutention à l’accrochage et aux décrochages des pièces présentent des facteurs de risque de troubles
musculos quelettiques (TMS) pour le dos et les membres supérieurs qui préoccupent l’entreprise.

Travail complexe

L’activité de manutention manuelle est complexe. En effet, l’accrochage de pièces sur une balancelle peut sembler une activité simple consistant à suspendre une pièce à l’aide d’un crochet, d’un fil d’acier ou d’une chaine insérée dans un trou d’ancrage présent sur la pièce. Cependant, compte tenu des caractéristiques variées des pièces en termes de forme, poids
et longueur le travailleur ne pourra appliquer la même méthode de manutention d’une pièce à l’autre. Une pièce sera suspendue à la verticale à l’aide d’un crochet tandis qu’une autre sera inclinée sur la balancelle à l’aide de deux fils d’acier comme illustré à la figure 1.

La méthode de manutention utilisée dé­pendra aussi du support sur lequel la pièce est réceptionnée (site de la prise) et sur lequel elle sera livrée (site du dépôt). Les supports sont de configurations variées : il peut s’agir d’une pa­lette, d’un panier, d’un baril ou de tréteaux. Le rôle des coordonnateurs s’avère important : ils doivent expliquer au travailleur comment suspendre la pièce en précisant le type d’an­crage (crochet, fil d’acier ou chaine), la posi­tion requise sur la balancelle et les éléments­-clés à surveiller.

SST qualité et productivité

De plus, le processus de galvanisation exige que les pièces soient exemptes de saletés et qu’elles soient suspendues de façon à éliminer la formation de poches d’air dans le bassin  de zinc. Ces dernières peuvent constituer un risque d’exposition, donc de blessures pour les employés qui supervisent le processus. Il faut aussi positionner la pièce de façon à assurer la qualité de la galvanisation en limitant la formation de coulisses et de gouttes. Cela réduira le travail d’ébavurage qui sera réalisé par les décrocheurs lors de la finition. À cela s’ajoute l’exigence d’accrocher le plus de pièces possible sur la balancelle afin de rentabiliser chaque trempage. Aux stations de décrochage des pièces, le manutentionnaire doit être attentif afin de ne pas écailler ou abimer les pièces fraichement traitées. Pour un novice, cela fait beaucoup d’éléments-clés à assimiler sur le plan de la SST, de la qualité et
de la productivité. Comme l’a démontré une étude à laquelle l’auteure a participé (1) les
novices observés déploient souvent des méthodes de travail qui priorisent l’atteinte d’objectifs de qualité et d’efficacité, au détriment de leur sécurité.

Formation sur mesure

Pour faire face aux défis liés à cette grande variabilité des charges tout en respectant les exigences liées à la SST, à la qualité et à la productivité, l’ergonome a proposé au client la conception d’un contenu de formation sur mesure adapté à sa réalité. Son approche a été définie sur la base des données de recherche présentées au Tableau 1. En analysant l’activité des manutentionnaires, et plus particulièrement les stratégies des travailleurs
expérimentés, et en y intégrant les données de recherche, dont les principes d’action en
manutention, l’ergonome était confiante qu’elle pourrait proposer un contenu offrant  plusieurs stratégies de travail adaptées à différents contextes.

Cibler les besoins spécifiques

Il n’était pas réaliste d’analyser de façon exhaustive toutes les situations de manutention
présentes au sein de l’entreprise. En revanche, il était raisonnable de cibler un ensemble  représentatif de ces dernières. Pour y parvenir, une analyse des accidents et des réponses des futurs coachs ergo à un questionnaire de dépistage a permis de regrouper, parmi la multitude de situations de manutention à l’accrochage et au décrochage, celles les plus à
risque et/ou les plus représentatives de l’activité. Ces situations ont ensuite fait l’objet d’observations libres et filmées sur les trois quarts de travail. Une analyse ergonomique a
été réalisée. Elle a notamment documenté les stratégies déployées par les travailleurs expérimentés par le biais d’une analyse comparée novice/expérimenté.

Au préalable la démarche a eu l’aval du co­mité paritaire de santé et de sécurité du travail. Ensuite un comité de formation ad hoc a été mis sur pied. Ce comité était composé
de la conseillère en ressources humaines, du chef des superviseurs et du représentant syndical, un travailleur expérimenté. Le rôle de ce co­mité était de s’assurer
que le programme de formation réponde aux besoins spécifiques des travailleurs en termes de situations de manutention, tout en s’assurant que les stra­tégies de travail proposées
rencontrent les exi­gences de qualité et de productivité de l’entreprise. Pour chaque tâche, accrochage ou décrochage, des stratégies visant à la fois la SST, la qualité et l’efficacité
ont été discutées avec le comité. Des exemples de ces stratégies, qui permettent l’atteinte
de plus d’un objectif, sont présentés au Tableau 2.

Une formation pour tous

D’emblée, l’intervenante a proposé de former tous les travailleurs afin d’assurer le partage d’un langage commun lié à la spécificité de la manutention au sein de l’entreprise. Il serait ainsi plus facile pour un superviseur ou un coordonnateur de mener une intervention de type coaching auprès d’un travailleur qui, non seulement aurait été en contact avec les connaissances sur les principes d’action, mais qui aurait été sensibilisé à la présence des risques du métier et aux moyens de les prévenir. Une cinquantaine de manutentionnaires et une dizaine de superviseurs et coordonnateurs ont participé à un volet théorique et pratique portant sur l’application des principes d’action en manutention, et sur l’expérimentation de différentes stratégies de travail en situations réelles en usine. La formation des coachs ergo a été bonifiée par un volet pratique portant sur l’analyse des situations de manutention et sur une approche de coaching visant à soutenir ces compétences. Le programme de formation s’est tenu dans la première moitié de l’année 2017.

Retombées et pérennité du programme de formation

Comme le montre le Tableau 3, le nombre d’accidents a baissé de 43 % entre 2016 et 2017. Bien qu’il y ait eu 10 accidents de plus en 2018, on précise qu’il y a une trentaine d’employés de plus qu’en 2017 et que 14 accidents sont survenus chez des employés de la galvanisation qui aident occasionnellement à ces stations, ce qui sera plus rare à compter
de 2019. Dix accidents sont survenus chez des employés cumulant moins d’un an d’ancienneté. Fait important, une diminution de l’ordre de 50 % de la gravité des lésions est observée entre 2016 et 2018 ce qui témoigne des efforts faits en prévention.

Selon la conseillère en ressources humaines le contenu de la formation est adapté à la réalité des travailleurs grâce aux observations faites par l’ergonome, à la validation du contenu par le comité de formation et aux interactions entre cette dernière et les travailleurs. Le fait d’offrir une formation pratique impliquant la manutention de pièces courantes a permis aux travailleurs, selon elle, de mieux intégrer les notions et de développer leurs compétences : ils font régulièrement référence à la formation. Elle remarque aussi des changements dans les méthodes, tant au niveau de l’organisation du poste de travail que de la manutention. Le fait que l’on peut être productif et faire un travail de qualité tout en étant sécuritaire contribue selon elle à faciliter l’intégration, dans le quotidien, des notions apprises. La direction souhaite maintenant implanter des fiches de suivi hebdomadaires pour les coachs ergo afin de faciliter l’approche-conseil auprès des employés. L’accent sera aussi mis sur l’intégration des nouveaux employés afin de s’assurer qu’ils intègrent les bases des stratégies de travail.

Programme de formation réussi

La démarche présentée dans cet article illustre l’apport de l’analyse de l’activité réelle de travail lors de la réalisation de projets de formation, particulièrement dans des contextes où les situations sont variées. La démarche réalisée a permis de proposer des stratégies de travail pouvant être réellement déployées par les manutentionnaires, car elles respectent
à la fois les exigences de SST, mais aussi de qualité et de productivité.

Remerciements

L’auteur remercie les employés et l’entreprise, Corbec Inc. qui ont accepté de diffuser les retombées de ce projet de formation. Un merci particulier à Marie Bellemare pour ses judicieux commentaires.


1 – Isabelle Gagnon – ERGOTHÉRAPEUTE ET ERGONOME CERTIFIÉE CCPE
[Igagnon@iergo.ca] [www.iergo.ca]

2 – Marie-Pascale Bisson – CONSEILLÈRE EN RESSOURCES HUMAINES, CORBEC INC.

Références bibliographiques

  1. Cloutier, E., Fournier, P. S., Ledoux, É., Gagnon, I., Beauvais, A., & VincentGenod, C. (2012). La transmission des savoirs de métier et de prudence par les travailleurs expérimentés : comment soutenir cette approche dynamique de formation
    dans les milieux de travail, Montréal, IRSST, 168 p.
  2. Denis, D., Gonella, M., Comeau, M., Lausier, M. (2018). Pour quelles raisons la formation aux techniques sécuritaires en manutention ne fonctionne-t-elle pas ? Revue critique de la littérature, Montréal, IRSS, 90 p.
  3. Denis, D. (2012). Manutention. Repenser la formation ? Travail et santé, 28 (1), p-8-13.
  4. Denis, D., St-Vincent, M.m Gonella, M., Couturier, F., Trudeau, R. (2007). Analyse des stratégies de manutention chez les éboueurs au Québec – Pistes de réflexions pour une formation à la manutention plus adaptée, Montréal, IRSST, 80 p.
  5. Plamondon, A., Denys, D., Bellefeuille, S,. Delisle, A., Gonella, M., Salazar, E., Gagnon, D., Larivière, C., St-Vincent, M., Nastasia, Iuliana. (2010). Manutention — Comparaison des façons de faire entre les experts et les novices., Montréal, IRSST, 108 p.
  6. Denis, D., Lortie, M., St-Vincent, M., Gonelle, M., Plamondon, A., Delisle, A., Tardif, J. (2011). Programme de formation participative en manutention manuelle-Fondements théoriques et approche proposée, Montréal, IRSST, 172 p.
  7. Denis, D., (2015). Formation de formateurs pour prévenir les risques en manutention – Stratégie intégrée de prévention en manutention, Montréal, IRSST.
  8. Cloutier, E., Lefebvre, S., Ledoux, É., Chatigny, C., St-Jacques, Y. (2002). Enjeux
    de santé et de sécurité au travail dans la transmission des savoirs professionnels :
    le cas des usineurs et des cuisiniers, Montréal, IRSST, 205 p.