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ENJEUX DE LA SST

L’Avenir de la SST au Québec – Partie 1

Ulysse Mc Carthy1

Six panélistes experts ont été invités à discuter des principaux enjeux présents et futurs de la SST au Québec. C’est ainsi que des pionniers de la SST ont débattu avec des représentants de la nouvelle génération de professionnels dans le domaine autour de six différents thèmes.

Le 18 octobre dernier se tenait une table ronde sur l’avenir de la SST au Québec. Cette table ronde avait été organisée par le Réseau d’échange en Santé, Sécurité et Environnement (RESSE) avec la collaboration de la revue Travail et santé et la participation spéciale de l’Association québécoise pour l’hygiène, la santé et la sécurité du travail (AQHSST). Au cours des trois prochains numéros, un résumé des discussions vous sera
présenté, chacun abordant deux thèmes différents.

Thème 1 : Le bilan SST

Depuis l’adoption de la Loi sur la santé et la sécurité (LSST) en septembre 1979, on investit temps et argent en prévention des accidents et des maladies professionnelles. Mais avons-nous obtenu les résultats escomptés ? Y a-t-il moins d’accidents par milliers d’heures travaillées ? Qu’en est-il des maladies professionnelles ? Les publicités chocs que promeut la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) influencent-elles vraiment les comportements des travailleurs ? Si on inclut les maladies professionnelles et les accidents sans perte de temps aux statistiques compilées, sommes nous vraiment en contrôle de nos milieux de travail ?

Autant de questions auxquelles les panélistes ont tenté de répondre lors de la discussion autour du premier thème : Après 40 ans de prévention, le bilan des accidents est-il satisfaisant ?

Des statistiques fiables ?

Le bilan des 40 dernières années en matière de prévention est lancé par M. Pérusse. Si on tient compte de tout ce qui a été fait depuis 1979 en matière de prévention, il est indéniable qu’on a grandement progressé en SST. En preuve, le nombre des lésions indemnisables qui a diminué de presque la moitié en 40 ans. Nous pouvons collectivement
être fiers de ce constat et nous en féliciter. Cependant, est-il basé sur un portrait fidèle de la réalité ? Est-ce entièrement le fruit de nos efforts en prévention ? Cette diminution ne serait-elle pas due, en partie du moins, au mode de calcul des statistiques ? Comptabilisons-nous vraiment tous les accidents au travail ? Reconnaissons-nous bien chacune de maladies professionnelles ? M. Pérusse est d’avis que répondre à ces questions est un tout autre débat.

Coupe à moitié pleine ou vide ?

Au niveau national, la gestion stratégique de la prévention a donné de grands résultats. Est-il possible que dans un futur rapproché, le mouvement s’essouffle ?

M. Pérusse est d’avis qu’il est dommage qu’on se soit arrêté à michemin. La moitié des groupes prioritaires ne sont pas couverts par les quatre principales dispositions de la LSST.
Pour les groupes qui le sont, il y a encore beaucoup de chemin à faire et de batailles à gagner. En ce qui concerne la SST au Québec, est-ce que la coupe est à moitié pleine ou à moitié vide ?

Un point positif relevé par M. Pérusse est la diminution, au cours des 40 dernières années, des grandes lésions physiques. Il déplore cependant qu’il reste deux grandes préoccupations qui représentent ensemble 65  % des lésions et 85  % des couts d’indemnisation : les troubles musculosquelettiques et les problèmes de santé mentale. La difficulté commune dans la gestion de ces deux problématiques réside dans le fait que certains des facteurs de risques n’ont pas de réalités tangibles physicochimiques. Pour cette raison, les anciennes recettes qui nous ont servi à prévenir les gros accidents physiques ne suffisent plus pour attaquer ces problématiques qui nécessitent de nouvelles approches.

Paritarisme et mode de financement

Est-il possible qu’il soit nécessaire de revoir nos anciennes recettes malgré le constat des succès passés ? Des approches innovatrices seraient-elles à envisager ? C’est en effet ce que croit M. Vézina. Il est préoccupé du fait que la LSST a 40 ans et que les outils de prévention sont statiques et ont été conçus à une autre époque. Il cite en exemple la complexité du processus pour modifier la Loi ou le Règlement dans le système politique actuel. Selon lui, une révision s’impose. Il croit aussi que l’esprit de paritarisme s’est effrité avec le temps. Lorsqu’on tente de procéder à des améliorations en ce qui concerne la Loi ou le Règlement, dans un dessein de prévention, les représentants des parties patronales et syndicales ont tendance à camper sur leurs positions et ont de la difficulté à adhérer globalement aux améliorations. Est-ce que le modèle actuel du paritarisme à la CNESST est le bon pour permettre de faire bouger la Loi actuelle ?

Il rappelle qu’au niveau financier, depuis 1934, le régime est financé par les employeurs. C’était certainement une bonne chose par le passé. Mais, il n’en demeure pas moins que bien que ce soient les employeurs qui financent le régime actuel, c’est le législateur qui prend les décisions alors qu’il n’en paie pas les frais. Il souligne que les lobbyistes et les groupes de pression n’arrivent pas à influencer un changement de la Loi qui servirait la prévention des accidents. Il déplore que même si les deux parties arrivaient à un consensus sur certains changements, il n’y ait aucun intérêt politique de les entériner. Ce constat peut nous empêcher de passer à une autre étape.

Un levier puissant

Me Archambault, qui a un profil permettant aux employeurs de négocier efficacement les régimes de tarification, croit que la saine gestion de la tarification par un employeur lui permet de créer une façon complètement différente de voir comment faire progresser la prévention. Comme il se plait à dire : Les gens d’affaires parlent souvent en termes de dollars, et il faut être conscient qu’en éveillant les gestionnaires à la rentabilité, on peut les intéresser à de la prévention. Il a vu bien des employeurs passer d’une position très perdante à des exemples à suivre en matière de prévention, simplement en utilisant adéquatement les leviers que représentent la tarification, l’indemnisation et la prévention des risques. Encore faut-il sortir des sentiers battus et aborder la saine gestion des leviers comme un tout indissociable. 

Sur ce sujet, M. Dallaire rappelle que le défi de tout préventionniste a toujours été et demeurera de pouvoir transposer le terme de dollars, qui est le vocabulaire universel de tous les dirigeants d’entreprises, pour exprimer les besoins en termes de prévention que vivent les coordonnateurs SST et les gens des opérations.

Du chemin à faire

Un participant de l’assemblée rappelle que le Report on Work Fatality and Injury Rates in Canada de 2018 publié par le Dr. Sean Tucker, Ph. D. de l’université de Régina démontre que les statistiques d’accidents par 100 000 habitants sont deux fois plus élevées au Québec qu’en Ontario. C’est vrai, alors que les économies sont semblables et comparables. Il y a donc encore du chemin à faire pour l’amélioration et la modernisation de la règlementation, des systèmes de gestion et de la structure de la prévention des risques et des accidents.

Un second participant souligne cependant que le Money Talk utilisé en excès a un effet pernicieux qui peut conduire les dirigeants d’entreprises à des tendances de sous-déclaration ou d’abus de l’assignation temporaire. Il est préférable d’aborder les
problématiques SST par une saine gestion stratégique et un travail de fond au niveau de
la culture d’entreprise. À ces niveaux, on a énormément de travail à faire au Québec. Au Canada, d’ouest en est, les résultats en termes de prévention décroissent et c’est au Québec que la Commission est la moins interventionniste.

Un avenir prometteur

M. Vézina souligne que les jeunes professionnels en SST qui entrent sur le marché du travail démontrent une plus grande maturité que par le passé. Cela permet d’entrevoir  l’avenir de façon positive pourvu qu’on puisse réviser les outils actuels utilisés en prévention des accidents et des maladies professionnelles.

Me Archambault, rappelle que la SST au Québec est à la charge des employeurs alors que dans les autres provinces, elle est à la charge de l’état. Le Québec a préféré opter pour un système d’incitation à la prévention via la tarification du régime. Découlant de cela la SST est le pire terrain de bataille imaginable entre employeurs et employés, car le système est conçu pour protéger le plus faible, mais c’est aussi le plus beau terrain de coopération avec les travailleurs en ce qui concerne la prévention des accidents.

Mme Côté finalise le débat concernant le bilan des 40  dernières années au Québec en indiquant qu’il serait bénéfique de s’inspirer de certains des incitatifs existants dans d’autres provinces. Elle cite en exemple, les systèmes de coopératives d’employeurs qui sont très performants, notamment en Alberta.

Thème 2 : L’avenir de la profession

Le Québec est une société vieillissante et le domaine de la SST n’est pas à l’abri de cette problématique. Comment garder tout le bassin de connaissances et expériences acquises par les pères de la SST ? Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre qualifiée et de renouvèlement de la garde, qu’espèrent les jeunes professionnels en SST de ceux qui ont l’expérience et l’expertise vénérable ? Comment faire face à la limitation des ressources  pour appliquer une saine gestion de la SST ? En ce qui concerne le changement  générationnel, comment assurer le transfert de savoir-faire et savoir-être entre les anciens et les nouveaux ?

Autant de questions auxquelles ont tenté de répondre les panélistes lors de la discussion autour du second thème : L’avenir de la profession en SST est-il assuré ?

Deux générations

M. Richards lance le débat. À la grandeur de la province, nous parlons de pénurie de main d’œuvre. Cela se vit aussi dans le domaine de la SST. Il y a pourtant des jeunes qui sont issus des milieux universitaires et qui prennent la relève dans les industries. Ils arrivent avec leurs idées, leur enthousiasme, leur énergie. Souvent, ils se heurtent à des quasi-retraités qui comptent leurs dodos avant leur retraite. Comment assurer le transfert du savoir-faire et de la connaissance des vieux routiers qui ont beaucoup d’expérience à la prochaine génération de gestionnaires qui vont bientôt prendre leur place ?

Mme Patron souligne d’entrée de jeu que la nouvelle garde de professionnels a tendance à arriver dans les entreprises avec leurs propres schémas en ce qui concerne la gestion de la santé et la sécurité au travail. Ces schémas sont parfois bien différents de ceux implantés au cours des dernières décennies. Cela peut parfois créer des tensions. Pourtant, les jeunes qui entrent sur le marché du travail sont adéquatement scolarisés et ont bien souvent des Maitrises en gestion. Néanmoins, ils se heurtent trop souvent à une résistance systémique du changement provenant des gestionnaires d’entreprises en place. Le défi c’est de réussir à unir les connaissances et les nouvelles méthodologies. La relève se présente avec leur fougue et leur passion. Ce choc de culture et ces tensions sont palpables aussi dans le milieu de la construction où il y a beaucoup de besoins. Malheureusement il y a aussi beaucoup de division, notamment parce que les divers services proviennent de différents intervenants externes. Ceci limite la synergie nécessaire pour assurer efficacement une saine culture SST.

Fougue et passion

M. Richards poursuit en rappelant que le défi constant des gestionnaires est de faire en sorte de conserver la passion de ce qu’on entreprend. C’est cette passion qu’il faut que les préventionnistes transmettent autour d’eux afin d’assurer la SST. Trop souvent, le jeune arrive avec toute sa volonté, mais se fait éteindre par ceux qui résistent aux changements.

M. Pérusse ne croit pas que ce n’est qu’une question de passion. Notre but c’est d’être des agents de changement. Pour y arriver, il faut comprendre le fonctionnement dynamique d’une organisation. Ça prend un mentor qui va vous ouvrir les portes, vous expliquez les relations de pouvoir. En effet, la compréhension du réseau de communication informel et naturel dans une organisation permet de mieux manœuvrer afin d’atteindre les objectifs de prévention.

De l’éducation à l’expérience

Un participant de l’assemblée mentionne que plusieurs centres de formation du Québec sont très bien cotés, présentent des programmes de haut calibre et sont reconnus mondialement. Par contre, il se demande si les milieux de travail sont prêts à recevoir ces ressources hautement formées, possédant la connaissance, mais ayant peu d’expérience. Au Québec, on a les ressources humaines et managériales pour aider les entreprises en allant plus loin que le faisaient les préventionnistes classiques, mais des doutes subsistent pour savoir si on se limite à la gestion traditionnelle de la SST telle qu’elle est appliquée depuis de nombreuses années. Il pense qu’une solution pourrait être la reconnaissance provenant d’un ordre professionnel des conseillers SST afin de baliser ce que peut apporter à l’organisation l’emploi d’un préventionniste, d’un coordonnateur ou d’un gestionnaire SST. Un des défis futurs est de renouveler le type d’encadrement de la gestion SST afin de permettre de sortir du paradigme actuel et de maximiser les résultats en SST.

D’ennemis à alliés

Une autre participante ajoute qu’il est triste de constater que les spécialistes en SST sont les ennemis de tout un chacun. Les employés ne nous apprécient pas parce qu’on les oblige à porter leurs équipements de protection et les gestionnaires trouvent que la SST coute cher et leur demande beaucoup de temps de gestion.

M. Tartre spécifie qu’il est vrai qu’on puisse parfois être damné ou être mal reçu par des employeurs qui ne comprennent pas ce qu’on tente d’implanter. Cependant, il rappelle que là où il ne se fait pas de prévention, cela parait, et lorsque le pire arrive on a besoin de nos services.

Technologie et SST

M. Tartre parle des bouleversements qui guettent la SST face à l’avenir et aux nouvelles technologies qui sont déjà à nos portes. On parle d’avenir. Il y a de moins en moins de soudeurs humains et de plus en plus de soudeurs robots. En 2019, une mine du Brésil n’utilisera que des camions automatisés sans chauffeurs. L’intelligence artificielle sera supérieure à l’intelligence humaine d’ici 5 ans. Toutes ces nouvelles technologies vont avoir un impact sur la façon de faire de la SST dans le futur. Il précise que les risques  musculosquelettiques vont graduellement disparaitre avec la venue des robots, mais les risques psychologique vont continuer à s’accroitre dans le futur.

Responsable de la SST

Selon un participant de l’assemblé, la pire chose qui puisse arriver lorsqu’on débute en SST c’est de se faire présenter comme étant le responsable de la SST dans l’organisation. Le jour où c’est le président qui est responsable de la SST dans l’organisation, cela fait toute la différence. 

Préparation psychologique

Mme Côté est bien d’accord sur ce point. Elle est d’avis qu’aucune formation professionnelle en SST ne prépare psychologiquement à faire ce travail. Au-delà de la Loi qu’on apprend à l’école et des bons principes de gestion apprise en classe, on va avoir avant tout, à gérer avec des humains, tant des gestionnaires que des employés. On se retrouve de facto continuellement entre l’arbre et l’écorce. Elle déplore que peu importe les décisions prises,  l’une des parties ne sera pas satisfaite et se sentira brimée. Elle admet que cela peut parfois être difficile à vivre, car lorsqu’on choisit cette profession, c’est souvent parce qu’on a un petit côté idéaliste et que l’individu est au centre de nos priorités.

Le mentorat

Mme Côté spécifie que c’est pour mieux se préparer aux réalités rencontrées sur le terrain que le mentorat est essentiel. Il permet le transfert du savoir-être et des trucs acquis au fil des ans. Il est l’outil ultime afin de permettre aux jeunes de manœuvrer efficacement dans la réalité actuelle des organisations. Ce n’est pas vrai qu’un truc qu’on a appris va être applicable pour tous. C’est comme pour les ÉPI, il n’y en a pas un qui fait pour tous. Elle indique que ça prend des séniors disponibles pour transférer leurs stratégies, leurs expériences, ce qu’ils ont vécu selon les divers contextes des entreprises pour que les jeunes puissent avoir des pistes de solutions afin de savoir comment faire changer les idées, comment faire passer les messages. Peu importe nos connaissances et nos compétences théoriques, si on est incapable de passer un mes sage, l’agent de changement sera inefficace.

M. Vézina précise que lorsqu’on parle d’influencer, on ne doit pas sous-entendre manipuler. L’influence c’est l’art de savoir donner une destination, pouvoir dire vers où on s’en va pour ensuite tenter de convaincre les gens de nous suivre.

En tant que professeur, M. Dallaire avoue que ce n’est pas facile de former académiquement des agents de changement. Les étudiants qui vont en stage pour apprendre se trouvent souvent dans une situation dans laquelle l’entreprise qui les accueille leur sous-contracte un projet précis, sans support ni accompagnement. Il arrive même que certains d’entre eux ne revoient pas leur gestionnaire durant le stage, celui-ci les ayant abandonnés à leur sort. Lui aussi croit fermement que l’avenir passera par le transfert de l’expérience et cela tant à l’école que sur le marché du travail.

Une finale optimiste

Il faut rester optimiste concernant les changements qui sont en train de s’opérer dans le milieu de la SST en ce moment. Le Québec regorge actuellement de spécialistes extrêmement compétents. Avec la mise en place de plan de parrainage et de mentorat dans les entreprises, le succès ne pourra qu’être encore plus percutant. Cela permettra
d’intégrer la nouvelle génération de spécialistes en s’assurant de transférer les  compétences des anciens.

Pour ma part, je considère que chacun doit être responsable de la SST dans une organisation. Il suffit d’un leadeurship assumé et descendant et d’un bon chef d’orchestre pour que chaque acteur joue adéquatement son rôle. Le résultat est alors aussi merveilleux qu’une symphonie.

Dans la prochaine édition, découvrez ce que pensent nos panélistes des mutuelles de prévention et de l’élimination des risques à la source. Il vous est possible de visionner des extraits vidéos de la table ronde en consultant le canal YouTube de la Revue Travail et santé ou la section Conseil du site web d’Opérations SST International.


1 – Ulysse Mc Carthy – DIRECTEUR GÉNÉRAL, OPÉRATIONS SST INTERNATIONAL INC.  ENSEIGNANT À L’INSTITUT DES PROCÉDÉS INDUSTRIELS DU COLLÈGE DE MAISONNEUVE

PRÉSIDENT DU RÉSEAU D’ÉCHANGE EN SANTÉ SÉCURITÉ ENVIRONNEMENT (RESSE)
PROFESSIONNEL DE LA SANTÉ ET LA SÉCURITÉ [umccarthy@operationssst.com