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VOLET LÉGAL

L’immunité législative

MYTHE OU RÉALITÉ ?

Catherine Deslauriers1

Il est de croyance populaire qu’une personne qui a eu un accident de travail ne puisse poursuivre en responsabilité civile toute personne physique ou morale responsable de son accident. Or, cette croyance est en partie vraie et en partie fausse.

En effet, il est toujours possible pour un travailleur victime d’un accident de travail de poursuivre un employeur, autre que le sien, qui a commis une faute lui causant des dommages, et ce, dans des circonstances bien définies par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. La Cour supérieure l’a d’ailleurs rappelé dans le jugement Poisson c. Société des transports de Montréal (1).

Les faits

Le 3 mars 2012, deux techniciens ambulanciers travaillant pour Urgence Santé sont  occupés à dégager le corps d’une personne décédée sous les wagons du métro de Montréal. Alors qu’ils sont concentrés sur cette tâche et qu’ils sont sur les rails du métro, voire même sous le wagon où est coincée la personne décédée, un em­ployé de la Société de transport de Montréal (STM) accroche par inadvertance à deux re­prises le klaxon du wagon de la tête du train. Les deux techniciens ambulanciers sont alors convaincus que le train va repartir et que leur vie est en péril. Ils ne voient pas d’issue dans la position où ils se trouvent et aucun personnel présent de la STM ne les rassure.

Les deux travailleurs reçoivent un diagnostic d’état de stress post-traumatique et déposent des réclamations pour accident de travail auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Les réclamations sont acceptées et ils sont indemnisés par la CNESST. Dans les deux cas, les médecins considèrent qu’ils sont inaptes de façon permanente à exercer le travail d’ambulancier ou tout travail qui les expose à des situations qui impliquent un haut niveau de stress et la fréquentation du
métro et des urgences hospitalières. Ils décident donc de poursuivre la STM afin d’obtenir
compensation pour une perte de capacité de gains passée, des dépenses et soins additionnels futurs, des pertes non pécuniaires, des frais d’expertise de même que pour  des pertes de gains futurs.

La décision

La Cour supérieure a décidé que la STM avait commis une faute. En effet, selon la
juge, la STM a adopté un comportement contraire à celui auquel on peut s’attendre d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances.

Essentiellement, le tribunal conclut que :

1) il était raisonnablement prévisible pour  les intervenants de la STM présents à la
station et pour le chef d’incident que le déclenchement du klaxon, à deux reprises de surcroit, cause une peur intense aux ambulanciers présents sous le train et que ceux-ci craignent pour leur sécurité ou leur vie ;

2) par conséquent, il incombait à la STM d’agir sans délai afin de rassurer les ambulanciers
de l’absence de danger et du déclenchement accidentel du klaxon ;

3) l’omission d’agir constitue une faute puisque cette conduite déroge à celle d’un chef
d’incident raisonnablement prudent et diligent, placé dans les mêmes circonstances.

Ainsi, la juge a ordonné le paiement d’une somme totale de 624 069 $ à l’endroit d’un des travailleurs et de 645 500 $ à l’autre à titre de dommages subis.

L’immunité prévue par la Loi

La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles prévoit spécifiquement qu’un tra­vailleur ne peut poursuivre son employeur (2) ou tout travailleur ou mandataire d’un em­ployeur assujetti à cette loi, incluant ceux de son propre employeur ou d’un employeur tiers, qui ont commis une faute dans l’exercice de leurs fonctions (3).

Par contre, il est possible pour un travailleur victime d’une lésion professionnelle de poursuivre un employeur autre que son propre employeur dans les cas suivants :

1) si cet employeur a commis une faute qui constitue une infraction au sens du Code
criminel (4) ou un acte criminel au sens de ce code ;

2) pour recouvrer l’excédent de la perte subie sur la prestation ;

3) si cet employeur est une personne responsable d’une lésion professionnelle visée dans
l’article 31; ou 

4) si cet employeur est tenu personnellement au paiement des prestations. (5)

Ainsi, il est donc important de se rappeler que lorsqu’il y a un accident du travail impliquant
un employeur tiers, il est possible qu’un recours en responsabilité civile soit déposé à l’encontre de celui-ci par le travailleur victime dudit accident.


1 – Catherine Deslauriers- AVOCATE, BORDEN LADNER GERVAIS [cdeslauriers@blg.com]

Références bibliographiques

1. 2017 QCCS 5423.
2. Art. 438 et 439 de la LATMP.
3. Art. 442 de la LATMP.
4. Lois révisées du Canada (1985), chapitre C-46.
5. Art. 441 de la LATMP.