LIMITATIONS fonctionnelles représentatives


LIMITATIONS fonctionnelles représentatives

Dans les dossiers CSST, l’analyse ergonomique des exigences physiques d’un poste de travail est souvent requise afin de déterminer si les limitations fonctionnelles émises sont respectées.

Lucie Dupont

Ces limitations sont des pertes ou des diminutions de fonctions corporelles, soit physiques, cognitives ou sensorielles associées à la lésion professionnelle (1).

Ce sont ces limitations qui vont permettre à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) d’établir si le travailleur peut reprendre son emploi prélésionnel ou non (1) (2).

Lors du processus d’analyse du poste de travail prélésionnel en relation avec les limitations fonctionnelles retenues, il peut y avoir des impacts importants pour le travailleur et l’employeur si les limitations ne sont pas assez précises et/ou si elles sont trop sujettes à interprétation.

Il existe cependant plusieurs outils pour aider les médecins à établir des limitations fonctionnelles représentatives pour chaque travailleur visé.

Règlementation

Le règlement annoté sur le barème des dommages corporels (3) prévoit que le médecin doit se prononcer sur différents éléments pour émettre les limitations. Une grande liste de gestes ou d’actions à préciser s’applique aux lésions professionnelles pour les membres supérieurs et une autre s’applique pour la colonne ou les membres inférieurs.

Voici par exemple la liste des éléments à définir par le médecin pour une lésion à la colonne ou aux membres inférieurs (3):
• exécuter des mouvements de flexion, d’extension ou de torsion (segment articulaire touché, amplitude et fréquence du mouvement à ne pas dépasser);
• soulever, porter, pousser ou tirer des charges en position confortable (description de l’action, poids maximal de la charge, fréquence
à ne pas dépasser);
• exercer des activités en position penchée, accroupie ou instable (précision sur la position et la durée à ne pas dépasser);
• garder la même posture (description de la posture et durée à ne pas dépasser);
• monter, descendre des escaliers (nombre de marches, rythme, fréquence à ne pas dépasser);
• marcher sur un terrain accidenté ou glissant;
• ramper, grimper;
• subir des vibrations ou des contrecoups à la colonne (description des vibrations et des contrecoups);
• autres.

Cette liste est bien détaillée, mais il n’est pas toujours possible pour le médecin de préciser l’ensemble de ces éléments et elle semble donc peu utilisée telle quelle.

Des recommandations similaires sont émises quant aux éléments à préciser dans les limitations fonctionnelles dans certains ouvrages (2): les limites de charges à soulever, les amplitudes articulaires à ne pas dépasser, la fréquence des mouvements et la durée maximale de maintien d’une posture. Les appréciations générales et imprécises ne sont pas recommandées.

Échelles de l’IRSST

Des échelles de restrictions fonctionnelles on été élaborées par l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et sécurité du travail (IRSST). Ces échelles semblent actuellement constituer le moyen le plus largement utilisé par les médecins pour déterminer les limitations fonctionnelles. Elles regroupent des actions et mouvements à éviter selon une échelle de gravité. Il y a des échelles pour la colonne cervicale (ou dorsale supérieure), la colonne lombosacrée (ou dorsale inférieure), les membres inférieurs et les membres supérieurs (1).

Nous retrouvons par exemple des limitations fonctionnelles de classe 1 pour la colonne lombosacrée.

Éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de:
• soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 15 à 25 kg;
• travailler en position accroupie;
• ramper, grimper;
• effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire;
• subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale (ex: provoqués par du matériel roulant sans suspension). À la base, ces échelles ont été conçues de façon à ce que le médecin puisse choisir parmi les différents éléments présentés, avec la possibilité de biffer les éléments qui ne s’appliquent pas au travailleur, ainsi que la possibilité de choisir certains items appartenant à une autre classe ou d’en ajouter de nouveaux (1).

Cependant, dans la pratique, il est souvent plus facile et plus rapide de choisir l’une ou l’autre des classes de gravité des échelles sans biffer certains éléments qui ne s’appliquent pas au travailleur, sans choisir certains items qui appartiennent à une autre classe ou sans en ajouter de nouveaux. Ces limitations ne sont donc pas toujours les plus précises.

Protocole de l’épaule

Plusieurs orthopédistes se sont concertés et ont établi des limitations fonctionnelles prévisibles pour les acromioplasties, les réparations de la coiffe des rotateurs et pour les cures de luxation récidivantes.

Ces limitations prévisibles facilitent le travail des différents intervenants. Par contre, certaines limitations comme «éviter les mouvements répétitifs avec l’épaule en cause» ne sont pas assez claires lors de l’évaluation du poste de travail si le médecin ne précise pas les mouvements visés et les amplitudes. Certains évaluateurs peuvent l’interpréter comme signifiant d’éviter tout mouvement, peu importe l’axe (flexion, extension, abduction, adduction, rotation interne, rotation externe) et peu importe l’amplitude (0°et plus). D’autres évaluateurs peuvent l’interpréter en relation avec le diagnostic et les facteurs de risques qui y sont reliés et interpréter qu’il faut tenir compte par exemple des flexions et des abductions de plus d’un certain degré. Les conclusions de l’analyse du poste peuvent donc différer grandement selon l’interprétation retenue.

Évaluation en clinique d’ergothérapie

Certains médecins ou conseillers en réadaptation de la CNESST demandent parfois aux ergothérapeutes d’effectuer une évaluation des capacités fonctionnelles auprès de certains travailleurs afin de recommander des limitations plus représentatives de leur condition avant la consolidation.

Ces évaluations consistent à documenter les capacités du travailleur à effectuer différentes actions ou mouvements. Elles sont habituellement effectuées en clinique dans un contexte de simulation et plusieurs méthodes et outils d’évaluation sont disponibles: questionnaires de perception autoadministrés, mesures de force, libre observation d’une activité de travail, échantillons de travail, triangulation des données, etc. (4).

Cependant, cette méthode comporte malgré tout certaines limites puisqu’elle est effectuée dans un contexte simulé, qu’il y a une grande variabilité d’une clinique à l’autre quant aux méthodes utilisées et quant à la durée de l’évaluation et qu’elle ne tient pas compte des interactions de l’individu avec son environnement de travail (4). De plus, il est difficile d’extrapoler la capacité de soulèvement occasionnel d’une charge maximale évaluée en clinique avec la capacité à soulever fréquemment des charges en milieu de travail (5). Finalement, l’avis donné par l’ergothérapeute constitue seulement une présomption (6). Les limitations fonctionnelles obtenues ainsi ne pourront pas toujours permettre de faire une juste adéquation entre les capacités réelles du travailleur et les exigences de son poste de travail prélésionnel.

Malgré les limites de cette méthode, cela permet tout de même au médecin d’avoir des précisions sur les capacités et incapacités du travailleur et d’émettre des limitations fonctionnelles sur mesure. En l’absence de lien d’emploi, cela demeure la meilleure avenue possible.

Évaluation en milieu réel

Lorsqu’il y a encore un lien d’emploi, l’idéal serait d’évaluer les capacités réelles du travailleur lors d’un retour au travail thérapeutique avant la consolidation. Ce type d’évaluation permet d’apporter des résultats très précis et spécifiques, mais cela demande par contre la collaboration de l’employeur.

Voici certaines caractéristiques qu’une telle évaluation doit respecter: elle doit être sécuritaire, complète et précoce, elle doit être continue durant tout le processus de réadaptation au travail, elle doit être exacte et crédible, elle doit porter sur les facteurs d’ordre personnels, environnementaux et temporels qui influencent le fonctionnement au travail de la personne, etc. (6).

Nous avons testé cette approche à plusieurs reprises avec succès. Lors de la consolidation, le médecin a ainsi en main tous les éléments pour émettre des limitations fonctionnelles précises et le conseiller en réadaptation de la CNESST peut rendre plus facilement une décision de capacité à effectuer l’emploi prélésionnel ou l’emploi convenable retenu.

Conclusion

Il est important que les limitations fonctionnelles retenues soient claires, précises et qu’elles permettent de définir plus facilement si le travailleur est en mesure de reprendre son poste de travail. Plusieurs des outils présentés peuvent permettre aux médecins d’atteindre cet objectif.