GESTION SST

MA BIBLIOTHÈQUE SST
L’histoire d’une lectrice

KAthleen Côté 1

Dis-moi ce que tu lis et je te dirai
qui tu es. Le retour des classes
rime avec la rentrée littéraire. Parce
que certains livres sont des outils
essentiels à tout professionnel de
la santé et sécurité du travail (SST).

En janvier 2018, Le Devoir écrivait une série de chroniques portant sur les bibliothèques personnelles (1). Les bibliothèques ont toujours fait partie intégrante de ma vie. Enfant, papa possédait plus de 4 000 livres à la maison. Cet autodidacte se réfugiait dans la lecture, principalement des lectures de sciences physiques, d’astronomie, mais particulièrement de science-fiction. Si enfant j’ai connu les Asimov, Arthur C. Clarke, Jule Vernes (pauvre Gertrude, un traumatisme d’enfance certes) et George Orwell, reste que j’aimais spécialement les BD et les livres de la Courte échelle, comme la plupart des autres enfants de mon âge. Ceci dit, un exposé oral portant sur votre résumé de lecture des Chants de la Terre lointaine connait pas mal moins de succès devant vos camarades de classe de sixième année que de parler de l’histoire d’un chien détective. Ça y est, un autre traumatisme d’enfance. Pourtant, un chien qui parle, ça ne se peut pas OK ! Bon, pas plus qu’un vaisseau spatial qui colonise une autre planète, j’en conviens. D’ailleurs, quelle idée farfelue pour un enfant de 12 ans de résumer un livre d’Arthur C. Clarke ? Ah oui, c’est papa qui m’avait recommandé de lire ce livre. Être farfelu, c’est génétique m’a-t-on dit. Pour continuer avec la série d’articles publiée par Le Devoir, un passage a retenu mon attention : « Une bibliothèque permet de comprendre intuitivement l’identité d’un individu à travers les livres qu’il a lus, mais également, à partir des ouvrages qu’il possède, mais n’a pas encore lus.  Le désir latent, en attente, de la lecture se révèle aussi important que la mémoire des choses lues », écrivait la maitre de conférence à l’Université Lille 3 Géraldine Sfez en 2008 (2).

Si ma bibliothèque n’est pas aussi imposante que celle de feu mon papa, j’ai su résister à la bibliothèque virtuelle. Une vulgaire tablette n’est pas en mesure d’initier le plaisir de tourner ses pages. Mes livres trônent, savamment classés par thème, séparé par des bibelots tels que mon globe lunaire et un modèle réduit de chargeuse sur roue. Mes BD y sont encore présentes, mais il y a également mes livres de grande fille. Voici donc une liste personnelle d’incontournables à découvrir ou à relire.

L’identité de celle qui a lu

Le métier de préventionniste : entre l’arbre et l’écorce (3)
« Nous constatons que l’intégration de la prévention aux activités de gestion, l’accroissement de la législation et la multiplication des intervenants et de situations de travail exigent un certain degré de formalisme comme des règles, des mémos ou des avis, qui visent à définir et encadrer les lignes de conduite des travailleurs et des gestionnaires en matière de sécurité. Cette bureaucratisation de la prévention permet en partie de régler les aspects légaux et administratifs des risques dans l’entreprise, mais le recours systématique aux mesures administratives et l’accroissement des règles de sécurité comportent aussi des effets pervers qui entrainent le préventionniste dans une logique où la formalisation devient le moyen privilégier pour contrôler les risques et les comportements ». Tout est dit, je n’ai rien à rajouter. Un must dans la bibliothèque d’un professionnel de la SST. Comprendre que nous ne sommes pas seuls.

Je résiste aux personnalités toxiques et autres casse-pieds (4)

« L’effet que me fait le casse-pieds. Le cassepieds me procure des pénibles émotions négatives, agacements et hostilité, et régulièrement des coups de désespoir à propos du genre humain. Il perturbe ma vision du monde : parce que justement, à force d’être focalisé sur les casse-pieds, je finis par simplifier un peu trop mon regard et mon jugement, c’est la tentation de la généralisation. Le casse-pieds induit chez moi des comportements inadéquats, parfois contraires à mes valeurs : haine, désir de vengeance ou de punition. Bref, le casse-pieds me perturbe. Que faire ? » Évidemment, vous pouvez consulter un psychologue, mais votre casse-pieds sera toujours présent dans votre environnement de travail. D’ailleurs, peut-être êtes-vous, vous-même, le casse-pieds d’un autre ? Plusieurs séances de thérapie peuvent certes aider à ventiler. Mais ce livre, avec son approche humoristique, permet d’identifier certains traits de personnalités, sans poser de diagnostic bien sûr, et offre quelques conseils pour modifier son approche auprès des autres. Moins complet que son grand frère « Comment gérer les personnalités difficiles », il demeure plus accessible et se lit rapidement.

L’intelligence émotionnelle intégrale (5)

Le mot intégral ici est mis à profit du lecteur avec près de 1000 pages. Le premier livre grand public portant sur l’intelligence émotionnelle, sortant ainsi du fameux QI tant prisé. En résumé, la connaissance des émotions, la maitrise de ses émotions, comprendre les émotions des autres et maitriser ses relations avec les autres. La mode du gestionnaire à la Mr. Spock est dépassée. Notre nouvelle ère parle d’empathie, d’aptitudes sociales et de psychologie positive. La gestion et l’interaction avec les pairs ne se limitent plus à savoir. Il faut dorénavant savoir être avec les gens. Facile à dire, moins facile à faire. Un livre qui vous permettra d’en apprendre plus sur vous. Mieux comprendre également que « nous sommes des analphabètes de l’émotion : nous ne savons ni les lire ni les écrire. » (6) Mieux comprendre pourquoi l’on doit faire preuve d’humilité dans nos milieux de travail, même si nous sommes supposément expert SST. Savoir lire les préoccupations des collègues afin de faire passer son message stratégiquement. Avoir raison reste assez secondaire d’une certaine façon.

La boite à outils en santé, sécurité, environnement (7)

Bien que Français, ce livre est présenté sous forme de fiche facile à consulter. Les concepts y sont vulgarisés. Sous la forme de sept dossiers ou chapitres, la démarche de la prévention y est structurée. Outre le volet technique, l’intérêt est également pour les conseils partagés pour faire vivre la démarche au quotidien. Je réitère que ce livre est d’origine française, donc, il faut faire attention de ne pas confondre les exigences légales avec celles du Québec.

Les ouvrages qu’elle possède, mais n’a pas encore lus, ou plutôt partiellement lu

Le pouvoir de la reconnaissance au travail (8)

« La reconnaissance, c’est aussi pouvoir bien faire son travail. Le sentiment de bien faire son travail, de disposer des bons outils, des bonnes équipes, du bon matériel ou des bons processus contribue aussi grandement à la reconnaissance au travail. Autrement dit, la personne ne s’attend pas uniquement à ce que l’on reconnaisse le travail une fois celui-ci terminé. Comme les gens ont à coeur de faire un travail de qualité, dont ils sont fiers, si les moyens et les ressources pour faire le travail sont adéquats, il y aura le sentiment de reconnaissance. » À lire sous peu avec attention.

L’erreur humaine (9)

Le livre classique en SST et non seulement en ingénierie. D’ailleurs, je suis étonnée qu’il ne fasse pas partie des lectures obligatoires dans tous nos programmes d’études en SST. Comprendre la nature de l’erreur. Elle ne se limite pas à conclure que « c’est la faute de l’opérateur ». Je laisse de côté les qualificatifs peu flatteurs que j’entends régulièrement sur le volet comportemental. James Reason a contribué à faire se rejoindre les domaines des facteurs psychologiques et organisationnels afin de comprendre les grands accidents. De lui-même, James Reason admet la limite sur sa notion de l’erreur humaine. En effet, la cause des accidents serait en partie causée par l’erreur humaine, mais que cette erreur humaine ne dit rien des décisions managériales qui ont créé les conditions propices à son apparition. Il faut donc aller au-delà de la défaillance individuelle. Je suis désolée pour les fervents de la pensée magique qui distribuent les mesures disciplinaires à tout vent sans discernement. Ceci dit, ce livre est assez technique et loin de se que l’on pourrait qualifier de lecture de chevet.

Le Québec change, chroniques sociologiques (10)

« La professionnalisation a contribué au changement dans la stratification sociale québécoise en gonflant les rangs du haut de la hiérarchie sociale. Le système de production, le système politique, le système social et l’État-providence, sans oublier le secteur associatif, fonctionnent sous le mode bureaucratique. Le modèle organisationnel
est omniprésent, et les professionnels sont des rouages clés au sein des organisations,
qui ne sauraient exister sans leur expertise. Leur implication dans les organisations change
cependant leur statut et la nature même de leur travail. Les professionnels d’hier étaient presque tous des personnes exerçant à leur compte, dont le travail était contrôlé par leurs pairs et par leur ordre professionnel. Ils étaient animés par l’idéal de service public et jouissaient d’un prestige élevé dans la société. Une partie de ces attributs leur échappe désormais ou, du moins, est modulée par leur appartenance aux organisations qui les embauchent ». Parce que le Québec a subi de profonds changements ces dernières années : la polarisation du discours gauche-droite, la féminisation du travail, travailler dans la société de consommation, le sentiment d’appartenance. Bref, si vous voulez en savoir plus sur notre société en mutation. Pour mieux comprendre les nouveaux enjeux dans le monde du travail et, à un certain point, réaliser que le pouvoir d’influence du professionnel est amoindri, ce dernier appartenant dorénavant à l’entreprise. Enfin, réaliser également qu’une partie de cet idéal fond au profit de l’individualisation. Le « Je » prends le dessus sur le « nous ». Ce livre promet la réflexion.

Sécurité des procédés chimiques : Connaissances de base et méthodes d’analyse des risques (11)

Le cauchemar de certains étudiants, ma nouvelle lubie, adieux les pervers narcissiques. Notons que les deux sujets partagent une similitude soit le potentiel de gravité de niveau
critique pour ceux qui se trouvent dans l’environnement immédiat. Donc je disais, des analyses de risque pour tous les gouts. Des méthodes inductives (AMDEC, HAZOP, APR, MADS et MOSAR) et déductives (arbre des causes). Comprendre certains procédés chimiques, et les risques qui y sont liés, ainsi que les conséquences possibles en cas de défaillance du système. Retour sur le système SEVESO et du cas de l’usine AZF. Personnellement, je préfère la terminologie de la sécurité qu’ils ont utilisé (références aux normes ISO) à celle de la CSA-Z767 Gestion de la sécurité opérationnelle. Bien que je comprenne la philosophie derrière, les expressions « risque tolérable » et « risque acceptable » ont été exclues de cette norme (tout comme dans celle de la CSAZ1002). Or, les expressions telles que « largement tolérable, tolérable, conditionnellement tolérable, intolérable », peuvent rapidement devenir confondantes. De plus, je trouve que
l’évacuation de la notion de raisonnement au profit de la logique d’éliminer à la source, est davantage de l’ordre du voeu pieux, qui ne prend pas en compte la réalité. Si vous aimez la
sécurité industrielle, je recommande également de visionner les capsules vidéo de l’ICSI — Institut pour une culture de sécurité industrielle (12). Certains y reconnaitront sans doute, un ancien professeur de l’Université de Montréal, M. Simard.

Dis-moi ce que tu lis et je te dirais qui tu es.


1 – Kathleen Côté – CRSP, CRHA, D.É.S.S. SST, CHARGÉE DE COURS UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL [Kathleen.cote1@umontreal.ca] 

Références bibliographiques

    1. Le Devoir, [https : //www.ledevoir.com/lire/516644/dis-moice-
      que-tu-lis-je-te-dirai-qui-tu-es], consulté le 15 aout 2019.
    2. Brun, Jean-Pierre et coll. (1998) Le métier de préventionniste – entre l’arbre et l’écorce.
    3. André, Christophe et Muzo. (2011) Je résiste aux personnalités toxiques.
    4. Goleman, Daniel. (2014) L’intelligence émotionnelle : intégrale.
    5. Claude Steiner. (2005) L’ABC des émotions.
    6. Guillet-Boisnard, Florence et Monar, Christel. (2017) La boite à outils en Santé-Sécurité-Environnement.
    7. Brun, Jean-Pierre, Laval, Christophe. (2018) Le pouvoir de la reconnaissance au travail.
    8. Reason, James. (2013) L’erreur humaine – 2e édition.
    9. Langlois, Simon. (2017) Québec change : chroniques sociologiques.
    10. Laurent, André. (2011) Sécurité des procédés chimiques : Connaissances de base et méthodes d’analyse des risques – 2e édition.
    11. [https : //www.icsi-eu.org/fr/], consulté le 15 aout 2019.