Modèles comportements humains en milieux de travail | SST

CULTURE SST

Que penser des modèles COMPORTEMENTAUX en SST

Existe-t-il un modèle idéal qui permette de motiver l’adoption de bons comportements au travail ? Quels sont les facteurs clés qui incitent à l’adoption d’un comportement sécuritaire ?

Par Alain Daoust

CRIA; CRSP. CHARGÉ DE COURS, UNIVERSITÉ DU QUÉBEC [alain.daoust@uqat.ca] ADI SERVICES CONSEILS EN SANTÉ ET SÉCURITÉ DU TRAVAIL

Chaque jour de notre vie, nous voyons des gens qui adoptent des comporte ments déviants. Par exemple, un piétonprend un raccourci et traverse la rue d’une façon dangereuse. Un cycliste omet un arrêt obligatoire. Un automobiliste «colle» votre pare choc arrière sans conserver une distance d’approche sécuritaire. Dans certains cas, c’est même vous qui adopterez un comportement déviant. Il en est de même au travail. Mais, existe-t-il un modèle idéal qui permette de motiver l’adoption de bons comportements au travail? Quels sont les facteurs clés qui incitent à l’adoption d’un comportement sécuritaire ?

Ce texte se veut une réflexion très personnelle sur la question après des années de pratique en SST.

Les modèles comportementaux offerts aux préventionnistes sont nombreux et ils proposent moultes approches. Certains sont basés sur l’application de contrôles serrés quant au respect des règlements et des procédures. Ceux-ci s’inspirent alors du Taylorisme (1) qui vise à fractionner et à contrôler chaque étape du processus de production pour éviter les écarts. Ils sont cependant contraignants pour les employés sur le plan humain et ne devraient être utilisés que dans la gestion des risques majeurs. D’autres misent sur une approche plus pavlovienne (2), c’est-à-dire qu’ils cherchent à conditionner les employés à adopter les comportements souhaités via le renforcement positif. Ceux-ci sont fréquemment utilisés, mais ils ont tendance à s’essouffler après un certain temps. En effet, ils doivent être renouvelés car en général leur approche est plus superficielle. Enfin, on voit également des programmes axés sur l’effet de groupe pour modifier les comportements.

Ce ne sont là que quelques exemples des théories sous-jacentes à certaines approches comportementales. Au cours des années, de nombreux chercheurs et auteurs ont voulu comprendre ce qui motive les gens à agir d’une façon ou d’une autre. Citons, Herzberg (3), Maslow (4) et Rasmussen (5) pour ne nommer que les plus connus. En santé et sécurité, des approches plus systémiques, managériales et holistiques utilisant des modèles connus en gestion du changement sont utilisées pour créer une culture de prévention. Ainsi, des modèles comme la courbe de Bradley, la sécurité basée sur l’observation des comportements, l’approche Aubrey Daniels, plus récemment la courbe de Ferron tentent de modéliser les comportements de groupe pour en comprendre les enjeux au travail. Nous avons tous entendu parler de ces modèles: STOP, Réflexe sécurité, Réflexe prévention, etc.

Cependant, la recette magique n’a pas encore été concoctée. Si elle l’avait été, il n’y aurait plus d’accidents et les maladies professionnelles seraient éradiquées. Mais pourquoi au juste la recette idéale n’a pas été trouvée? Tout simplement parce que l’humain est un être complexe et de multiples facteurs internes et externes motivent et façonnent ses comportements tant sur le plan individuel qu’en groupe.

L’influence du passé

Nous sommes influencés par nos antécédents. Chaque individu a baigné dans un environnement qui lui est propre depuis son enfance. Cet environnement a façonné ce qu’il est et, il continue à le façonner. Il en est de même des milieux de travail. Les expériences passées ont modelé nos attitudes et nos comportements. Elles influencent la manière dont nous réagissons face à certaines situations. Ces antécédents proviennent de:

  • notre milieu familial;
  • notre éducation;
  • nos précédentes expériences de travail;
  • notre âge;
  • notre milieu social.

Ces cinq éléments, ne sont donnés qu’à titre indicatif pour souligner que nous sommes différents les uns des autres et que nos sources de motivation ne sont pas toutes les mêmes. Les humains ne sont pas des robots programmables.

L’influence de l’environnement

Un milieu de travail sain peut induire de bons comportements. Il y a quelques années, un auteur a souligné que sur le plan collectif, toutes les mesures d’ordre psychologique et social, qui contribuent à créer un milieu de travail plus humain, plus compréhensif, ont une influence indirecte, mais indéniable, sur la fréquence des accidents (6). En effet, un milieu de travail sain peut favoriser l’adoption de bons comportements chez les travailleurs et avoir un effet sur la survenance des accidents et conséquemment sur les comportements. Certaines études l’ont d’ailleurs démontré, notamment le célèbre exemple de la théorie du carreau cassé, élaboré par deux criminologues dans les années 80 et 90 (7).

Réfléchissons un instant, dans quel type d’environnement de travail nous sentons-nous le plus à l’aise? Là où l’ordre et la propreté règnent, on se sent mieux. Dans un milieu ordonné, on est davantage enclin à «se ramasser» à la fin du quart de travail. On dépose plus volontiers ses déchets dans la poubelle. Cela engendre des comportements collectifs plus disciplinés et une délinquance minimale.

Fait intéressant, des auteurs ont souligné que l’analogie du carreau brisé peut être utilisée pour comprendre pourquoi le personnel outrepasse les règles et les procédures en milieu de travail (8). Des règles et des normes qui ne sont pas claires sont un peu comme ces vitres qui se brisent petit à petit. Cela génère une confusion qui induit la délinquance en matière de santé et de sécurité.

L’employeur doit induire le changement culturel

Il va de soi que pour développer une culture de sécurité, la balle est dans le camp de l’employeur. C’est lui qui possède la clé pour que cela survienne et, il devra le faire dans le respect des valeurs humaines partagées par son personnel.

Que recherchez-vous au juste dans votre milieu de travail? D’abord, le respect de votre personne et de votre expertise, l’honnêteté, la transparence des communications, l’écoute et une relation saine avec l’employeur et ses représentants. D’autre part, des facteurs d’ambiance seront appréciés, comme la propreté, l’ordre, des lieux aménagés correctement, le contrôle du bruit et des irritants environnementaux, un éclairage suffisant, etc. Sans compter le respect de la frontière avec votre vie personnelle, comme la possibilité d’aménager vos quarts de travail pour chercher les enfants à la garderie ou d’avoir une vie privée exempte d’incursions professionnelles les soirs et les weekends.

C’est donc dire que si l’employeur désire induire un changement culturel pour favoriser la santé et la sécurité au travail et, par conséquent diminuer la survenance des accidents et des maladies professionnelles, il doit faire les premiers pas. Il doit «livrer» un milieu de travail sain et solliciter la contribution du personnel pour le créer et le maintenir.

Une démarche de réalisation

Mais que dire s’il a déjà un passif lourd vis-à-vis de ces questions? Il lui sera difficile de convaincre le personnel de son réel désir de changement. Les travailleurs se diront: «Ils veulent juste diminuer les coûts, ils ne pensent pas vraiment à nous.» «C’est une autre tentative qui va rater.» «Tout ce qu’ils veulent, c’est de couper des postes.» etc.

Dans un tel contexte, l’employeur devra mettre les bouchées double et cela rapidement. Notamment, par des réalisations concrètes qui perdurent dans le temps. Il faut donc commencer par des choses simples qui marqueront l’imagination. C’est ce qu’a fait une entreprise de traitement minier il y a quelques années. On a mis sur pied un projet de tenue des lieux dans l’usine et mobilisé tout le personnel. On a donné aux employés le temps et les moyens d’atteindre les objectifs de propreté et d’ordre. Résultat? Un changement radical pour tous, dans leur environnement de travail. Le comité santé et sécurité et chaque secteur de travail se sont ensuite assuré que le programme se maintienne dans le temps et que les comportements déviants en matière de tenue des lieux soient systématiquement corrigés et sanctionnés. De cet exemple, nous retirons quatre leçons:

  1. on s’est attaqué à un projet réalisable sur une courte durée;
  2. on a fait en sorte que tous possèdent les moyens de le réaliser;
  3. on a élaboré une stratégie pour le maintenir;
  4. on a établi des règles et des normes claires à ce sujet.

Un tremplin pour la suite

Cette initiative a pavé la voie au changement. «Enfin une action crédible de l’employeur. » disaient les travailleurs. Le temps était maintenant venu pour introduire d’autres changements encore plus significatifs, notamment en matière de gestion des grands risques au travail.

De telles initiatives effectuées dans un contexte de dialogue, d’écoute et de respect avec le personnel peuvent changer la face d’un milieu de travail. Elles génèrent un effet de groupe dans lequel les comportements déviants sont vus par les pairs comme étant inacceptables.

Évidemment, il y aura toujours des délinquants et, on devra alors les adresser via une politique claire et appliquée systématiquement. Un auteur québécois a d’ailleurs souligné qu’il y aura toujours une faible proportion de délinquants, autour de 5 %, qui devra être gérée de cette façon (9).

Conclusion

Dans la recherche des solutions idéales en santé et sécurité du travail, de nombreuses recherches ont été effectuées et celles-ci ont mené vers plusieurs pistes possibles. Cependant, lorsqu’on revient à la base des relations entre les humains nous remarquons une constante: L’écoute et le respect mutuels entre les patrons et les employés sont la clé du succès en matière de communication. Elle implique la transparence et l’honnêteté de chacune des parties et ainsi la confiance mutuelle s’installe. Dans toutes les sphères de l’activité humaine, cette recette mène au succès tant qu’elle est maintenue. Elle est cependant très fragile et requiert de chacun une grande intégrité.

Malgré la bonne volonté de tous, il y aura toujours des comportements déviants sur les lieux de travail. Comment les aborder de façon proactive? C’est le sujet qui sera abordé dans un prochain article.


Références bibliographiques

 

  1. Pour plus d’explications sur le Taylorisme [https://www.henryford.fr/fordisme/taylorisme/] Vérifié le 20 avril 2021.
  2. Pour plus d’explications sur Pavlov[https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Ivan_Petrovitch_Pavlov/137319],vérifié le 20 avril 2021.
  3. Herzberg, F., Mausner, B. & Snyderman, B.B. (1959), The Motivation to Work, John Wiley, New York.
  4. Pour plus d’explications sur Maslow [https://le-cercle-psy.scienceshumaines.com/abraham-maslow-au-dela-de-la-pyramide-desbesoins_sh_38371] Vérifié le 20 avril 2021.
  5. Pour plus d’explications sur la théorie de Rasmussen, Annexe U de la norme CSA Z462, (2018).
  6. Goddard, J. (1955) Facteurs humains et sécurité des travailleurs, le Bulletin de l’organisation mondiale de la santé
  7. Gladwell, M. (2000), The Tipping Point. Traduction française (2003),Le point de bascule. Chapitre 4, La théorie du carreau cassé. Page 127.
  8. [https://nospensees.fr/connaissez-theorie-de-vitre-brisee/] Vérifié le 15 avril 2021.
  9. Simard, M. 04-2000, Comprendre les facteurs qui influencent nos comportements, Travail et sécurité, Page 30. Interview et propos recueillis par Didier Gout.