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ORGANISATION DU TRAVAIL

HORAIRES ATYPIQUES

Travailleurs fatigués

Yaniel Torres1

Bien que le travail par quarts et en horaires atypiques ait été reconnu comme ayant un effet sur la fatigue et en conséquence sur l’augmentation du risque d’accident, il est toujours possible d’atténuer ces effets indésirables. Voici un modèle simple à utiliser pour aider les gestionnaires.

Comme discuté dans la première partie de cet article, paru dans le précédent numéro de Travail et santé (1), la fatigue représente un important danger au travail. De manière semblable à la conduite automobile, il peut être aussi dangereux de travailler fatigué que sous l’influence de l’alcool ou de drogues. Dans la société de 24 heures, le travail par quarts et les horaires atypiques sont devenus une pratique courante. Cette pratique peut avoir un effet négatif sur la santé des travailleurs ainsi que sur le risque d’accident et de blessures. Une revue de la littérature montre clairement que la productivité ainsi que la sécurité peuvent être compromises en raison des effets indésirables liés au travail par quarts et plus particulièrement au travail pendant la nuit (2). Néanmoins, il est peu probable que cette pratique disparaisse dans un horizon proche. Cet article pose une réflexion sur les stratégies d’atténuation de l’effet du travail par quarts afin de donner quelques pistes aux gestionnaires confrontés à cette réalité.

Organisation du travail et rythme circadien

Rappelons-nous que les rythmes circadiens comprennent les changements physiques, mentaux et comportementaux qui suivent un cycle d’environ 24 heures, répondant principalement à l’alternance entre les heures de lumière et l’obscurité dans l’environnement d’un organisme vivant. Il a été démontré qu’une organisation du travail tenant compte du rythme circadien diminue le stress et les risques qui en découlent. Dans ce sens, on recommande d’altérer la séquence de tâches en laissant les tâches les plus stressantes et physiquement exigeantes pour le moment où l’état d’alerte et de vigilance sont plus élevés. Il s’agit d’une réorganisation de tâches pendant la journée de travail.

Les courbes de productivité journalière, en considérant le début de la journée vers 8 h, montrent une augmentation de productivité jusqu’à environ 11 h et une diminution dans l’après-midi. Après le diner, le point maximum de la courbe est inférieur au point avant le diner, diminuant avec le temps jusqu’à la fin de la journée. De l’autre côté, la courbe de productivité hebdomadaire montre une faible productivité le lundi, qui devient maximale le mardi, diminuant vers la fin de la semaine de travail ce qui est attendu puisque les travailleurs ont tendance à accumuler de la fatigue (3).

Si on s’en tient à ces résultats, d’un point de vue journalier, le meilleur moment pour réaliser des tâches qui demanderaient un effort physique ou mental intense serait entre 9 h
et 11h00 ou, à tout le moins, il vaut mieux éviter qu’elles soient faites tard en après-midi. Du point de vue hebdomadaire, le mardi semble être la journée idéale pour ce type de tâches tandis qu’on devrait éviter le lundi ainsi que les journées près de la fin de la semaine de travail.

Malheureusement, une réorganisation de tâches pendant la journée ou la semaine de travail n’est pas toujours possible. Dans la plupart des cas, l’ordre des tâches à effectuer ne peut pas être altéré et cet ordre est conditionné par l’activité de travail elle-même. Néanmoins ces principes peuvent être utiles pour certains métiers et professions et pourraient être pris en compte dans la gestion de projets et la programmation  des tâches.

 

Régime de travail/repos

Comme dans d’autres domaines, la prise de pauses de façon régulière est recommandée pour prévenir une augmentation du risque d’accident lors des activités soutenues dans le temps. Il a été décrit que le risque d’accident augmente de façon linéaire entre deux pauses successives. Ainsi, PLUS LE TEMPS ENTRE DEUX PAUSES SUCCESSIVES EST LONG, PLUS LE RISQUE D’ACCIDENT EST ÉLEVÉ. Ce risque atteint toujours un maximum avant la prise de la pause suivante. Le bienfait d’implanter un système de travail/repos a été démontré dans le cadre d’études de laboratoire, basé sur des pauses courtes, mais fréquentes en lien avec la diminution des erreurs (4). D’un point de vue économique, il existe certains temps de repos qui sont payés tandis que d’autres ne le sont pas. Par contre, d’un point de vue de la fatigue le repos est toujours un élément de récupération. L’alternance travail/repos peut jouer un rôle fondamental dans la réduction de la fatigue associée au travail. En plus de la pause-café, il existe trois types de pauses au travail.
1. Les micros pauses qui sont des courtes pauses d’une minute ou moins et qui sont souvent déterminées par la tâche ou par des périodes de non-continuité dans le processus.
2. Les pauses informelles soit les interruptions de travail, une demande
d’un superviseur, etc.
3. Le repos actif comme une tâche différente à l’aide d’une autre partie du corps ou une tâche de nature mentale vs une tâche de nature physique.

Une analyse de l’organisation du travail permettrait d’identifier les différents types de pauses et de les quantifier en fréquence et durée. De cette manière, on peut évaluer le régime de travail/repos et établir une meilleure stratégie de prises de pauses selon le besoin identifié. Une fois établie d’une façon adéquate, la prise de pauses  ne devrait pas être optionnelle et les gestionnaires doivent être conscients de leur rôle.

Aménagement par quarts

Dans le cas du travail par quarts, il ne s’agit pas de réorganiser les tâches, mais plutôt d’aménager le système par quarts pour atténuer les effets indésirables du travail en horaire atypique. Les employés qui travaillent tout en étant soumis au travail par quarts ont besoin d’un temps adéquat entre les quarts pour minimiser la fatigue et les possibles erreurs. En plus, les cadres règlementaires basés seulement sur un maximum d’heures hebdomadaires ou mensuelles présentent une valeur limitée sur la gestion du risque associé aux horaires par quarts. Une approche plus raisonnable serait de produire un ensemble complexe de limites, basées non seulement sur le nombre d’heures de travail hebdomadaires, mais aussi, entre autres, sur la longueur maximale d’un quart de travail, le nombre maximum de quarts de nuit successifs et l’intervalle minimal entre les pauses.

Un bon aménagement du travail par quarts doit tenir compte de la durée des quarts, de leur configuration en rotatif ou fixe ainsi que des pauses à l’intérieur de ceux-ci. Le nombre d’heures travaillées dans la semaine reste toujours aussi un facteur ayant un impact sur le risque d’accident et dont il faut toujours tenir compte.

En 2006, la Health and Safety Executive au Royaume-Uni a publié un ouvrage de référence au sujet de l’aménagement du travail par quarts (5). Dans cet ouvrage, les auteurs développent un modèle mathématique du risque associé à différentes configurations possibles d’aménagement du travail par quarts. Deux indices quantitatifs sont issus de ce modèle. Le premier est lié à la fatigue et appelé Fatigue Index tandis que l’autre, le Risk Index, évalue le niveau de risque d’accident. Étant donné que leur utilisation et leur interprétation se font toujours parallèlement, le modèle est simplement connu en anglais comme le Fatigue and Risk Index (FRI). Les formulations mathématiques de deux indices ainsi que leurs différences intrinsèques sortent du cadre de cet article. Sans entrer dans
les détails, voici un aperçu de ce modèle et les principaux éléments qui font partie de l’analyse.

Lors de l’évaluation d’un aménagement spécifique de travail par quarts, il est important d’examiner à la fois les indices de la fatigue et du risque. Les deux indices ont été développés pour tenir compte des trois composantes qui suivent.

Composante cumulative

Il s’agit de la manière dont les quarts de travail sont mis ensemble pour former un horaire complet. Cette composante associée à un quart particulier dépend du patron de travail qui précède immédiatement ce quart.

Composante associée au temps du quart

Cette composante prend en considération les effets du moment de début du quart, la longueur du quart et la période de la journée tout au long du quart.

Composante associée au type de travail et les pauses

Cela concerne le contenu du travail dans le quart ainsi que la provision de pauses qui y sont prévues.

Le Fatigue and Risk Index a été conçue principalement pour comparer différents aménagements des quarts de travail. Il peut cependant être aussi utilisé pour identifier un quart de travail en particulier dans un aménagement particulier qui peut être préoccupant. L’utilisateur peut aussi mesurer l’effet des changements introduits à la configuration des quarts de travail analysés. Des variables comme le type de quart, le nombre d’heures par quart,le système de rotation de quarts, le nombre de quarts consécutifs selon le type, le temps et la quantité des pauses à l’intérieur d’un quart, entre autres, peuvent faire l’objet
d’analyses en vue d’une optimisation.

Des outils gratuits

Le Health and Safety Excecutive au Royaume-Uni a mis en ligne gratuitement le rapport
de l’étude qui a conduit au développement du Fatigue and Risk Index, de même qu’un fichier Excel pour réaliser les calculs de façon automatisée ainsi qu’un guide d’utilisation de ce fichier. Il suffit d’entrer l’information nécessaire pour arriver à un résultat. C’est un excellent outil qui est facile à utiliser par les gestionnaires et autres potentiels utilisateurs qui sont concernés par le sujet. L’ensemble des documents est disponible sur le site web
du Health and Safety Excecutive (7).

Conclusion

Les gestionnaires doivent prendre en compte plusieurs variables lors de la mise en place d’un système d’aménagement du travail par quarts. Fatigue and Risk Index, un modèle simple à utiliser, qui compte sur d’amples ressources gratuites en ligne, représente un outil de choix pour aider les gestionnaires (8).

Remerciements

J’aimerais souligner la contribution de mon collègue, François Bouchard,
dans la révision de cet article. Toujours avec son regard d’expert au sujet de la santé et la sécurité au travail, il a su fournir les recommandations et corrections nécessaires.
Je remercie aussi ma collègue, Kathleen Côté, toujours une source d’inspiration et une professionnelle passionnée et engagée à faire avancer le domaine de la santé et la sécurité au Québec


1 – Yaniel Torres – ING, M.ING, M. SC., COFONDATEUR DU RÉSEAU D’ÉCHANGE EN SANTÉ, SÉCURITÉ ET ENVIRONNEMENT (RESSE) [yanieltm@yahoo.es]

Références bibliographiques

  1. Torres Y., (2018) Organisation du travail, Horaires atypiques, Augmentation du risque d’accidents, Travail et santé, Vol 34 No 3.
  2. Folkard S, Tucker P (2003). Shift work, safety and productivity. Occupational Medicine 2003; 53 : 95-101.
  3. Guimarães, Lia BM., Duarte, J.L., Abreu, T. M., Bittencourt, Paulo I.H (2013). Circadian rhythms as a basis for work organization: a study with live line electricians. Human Factors, Vol 55, Issue 1, pp. 204 – 217.
  4. Tucker, P., S. Folkard et I. Macdonald. 2003. Rest breaks and accident risk. The Lancet, vol. 361, no 9358, p. 680.
  5. Spencer, M., et al. (2006). The development of a fatigue /risk index for shiftworkers. United Kigndom, Health and Safety Executive (HSE). 82.
  6. Folkard S, Lombardi DA, (2006) Modeling the impact of the components of long work hours on injuries and «accidents». Am J Ind Med. 2006 Nov; 49(11) : 953-63.
  7. [http://www.hse.gov.uk/index.htm] Vérifié le 5 novembre 2018.
  8. [http://www.hse.gov.uk/research/rrhtm/rr446.htm].