SANTÉ MENTALE

TÉLÉTRAVAIL : une solution et…quelques nouveaux problèmes

Jacques Lafleur1

Il n’y a qu’à penser aux embouteillages des heures de pointe pour conclure que la possibilité de faire son travail à la maison plutôt qu’au bureau offre des avantages. Mais tout n’est pas merveilleux et des précautions s’imposent.

Les nouvelles possibilités qu’offre le développement des technologies de communication sont lentement mais surement en train d’ouvrir la porte à une sorte de révolution dans le monde du travail. En libérant de plus en plus de personnes de l’espace physique dans lequel elles étaient contraintes de travailler, le monde du travail est aussi en train de faire disparaitre la relative fixité des horaires de travail, tout en libérant les employeurs d’une partie de leurs obligations en ce qui concerne la protection de la santé de leurs employés, comme celle de fournir des locaux et des équipements sécuritaires, par exemple.

Il y a évidemment des avantages à cette nouvelle forme de souplesse, mais il importe de prendre des précautions, car il existe aussi un envers de la médaille. Chacun de ces nouveaux bénéfices peut en effet s’accompagner de nouvelles difficultés. Voici des exemples.

Temps et argent

On sauve évidemment du temps de transport. La vie privée étant moins exigeante que la vie publique en ce qui touche la toilette, du maquillage, de la coiffure, des vêtements, etc., on gagne aussi sur le temps passé à se préparer à aller travailler. Par ailleurs, à la maison, les heures de travail ne sont plus mesurées par le temps de présence au bureau. Comme la  surcharge de travail se fait de plus en plus chronique dans beaucoup de milieux de travail, on peut facilement consacrer les heures économisées… à travailler. On peut même en concéder davantage si l’on veut absolument venir à bout de ce que l’on croit avoir à faire, comme le font déjà beaucoup de gens qui passent leur journée de travail au bureau.

Le télétravail nous fait aussi économiser de l’argent, puisque le transport, quel qu’il soit, n’est pas gratuit, tout comme les vêtements plus soignés que l’on porte au travail et les repas à la cafétéria de l’employeur. Et le travail près des commerces peut nous inciter à des dépenses pas toujours nécessaires…

Tranquillité

Chez soi, on peut travailler tranquille, car les interruptions deviennent rares et on est à l’abri du bruit et des conversations des autres. C’est sans doute vrai s’il n’y a personne à la maison ou s’il est clair qu’on ne veut pas être dérangé. Mais on est moins protégé si l’on ne clarifie pas avec ses proches et ses voisins qu’on travaille et qu’on n’est en conséquence indisponible. Et si notre enfant de quatre ans est malade ou que notre autre de sept ans est en congé pédagogique, il ne sera pas facile de leur faire comprendre le fait de « ne pas déranger ».

On peut aussi plus facilement s’interrompre ou se déranger soi-même, parce qu’on est plus facilement sollicité par tout ce qu’il y a à faire à la maison. Surtout si ce sur quoi l’on travaille n’est pas très intéressant ou si l’on a une forte tendance à la procrastination. Il est alors facile de faire des tas d’allers-retours entre le travail et tout ce qui peut nous en divertir, comme utiliser Internet, faire la lessive, appeler son frère, manger quelques chocolats, sortir le chien, regarder un épisode ou deux d’une télésérie, etc. : travaillera-ton alors le soir pour compenser ? Où vivra-t-on un vague sentiment de culpabilité à ne pas avancer aussi vite qu’on aurait dû ? Pendant combien d’heures a-t-on travaillé au juste ? Pas facile à savoir si l’on s’est promené maintes fois entre ses tâches de travail et autre chose.

De plus, les collègues ne représentent pas que des inconvénients ; ils peuvent être d’une aide précieuse pour le travail, être des soutiens à la motivation, nous faire rire, nous donner des signes d’appréciation, etc. Le fait de s’isoler peut certes être utile pour effectuer plus efficacement certaines tâches, mais l’isolement à temps complet ou à répétition nous écarte du travail d’équipe, lequel a ses côtés stimulants.

On sait d’ailleurs que la plupart des gens qui perdent leur emploi ou partent à la retraite s’ennuient au moins autant des gens de leur équipe que du contenu du travail qu’ils effectuaient. Travailler au bureau, c’est se retrouver dans un milieu de vie trente-cinq à quarante heures par semaine, ce qui n’est pas négligeable.

Le télétravail peut aussi créer une sorte d’isolement, lequel pourrait contribuer à briser l’appartenance au milieu de travail, source importante de motivation qui donne du sens à ce que l’on fait.

Flexibilité

Le télétravail offre aussi la possibilité d’une plus grande flexibilité d’horaire, ce qui peut permettre de réserver du temps personnel ou familial dans les heures qui auraient nécessairement été consacrées au travail si l’on avait été au bureau. On peut par exemple prendre une heure pour de l’activité physique ou pour aller à l’épicerie à un moment où il n’y a que peu de gens. Par ailleurs, la flexibilité fonctionne dans les deux sens et on peut facilement surcompenser le soir et les fins de semaine le temps qu’on a pris pour soi ou pour sa famille durant la journée. Il est utile de faire le compte au fur et à mesure.

Autonomie

On gagne probablement en autonomie professionnelle. Comme notre employeur ne peut pas surveiller comment on travaille, il s’en tient aux résultats que l’on obtient, résultats que l’on peut davantage atteindre comme bon nous semble. Par ailleurs, notre rendement s’appuie en bonne partie sur les informations dont on dispose. Comme tout change assez vite et que des urgences apparaissent sans cesse, il peut arriver que personne ne nous ait avisé rapport à des problèmes liés au travail qui nous ont bouleversés. Dans ces cas, il sera plus facile de parler à des collègues qui sont physiquement près de nous que de prendre le téléphone pour tenter de communiquer avec quelqu’un.

Distance

Il n’y a pas que dans le phénomène du télétravail que la distance entre les gens crée problème. L’existence de nombreux points de service éloignés les uns des autres ainsi que du centre de gestion rend les communications moins efficaces, ce qui engendre d’importants problèmes de cohésion. Comment assumer une gestion uniforme de services quand ils sont rendus par 75 personnes réparties dans 10 centres de services et qu’elles travaillent avec quatre conventions collectives différentes? Et cet exemple n’est pas fictif… Par ailleurs, en télétravail, la distance peut aussi s’avérer un problème quand on a des choses concrètes à échanger ou quand notre ordinateur fait défaut, par exemple.

Absence

Être absent des réunions, c’est aussi forcément ne pas être au courant de certaines choses. Et puis, ce qui se dit de façon informelle entre collègues peut aussi avoir de l’importance dans l’organisation du travail. C’est parfois là que se disent les vraies affaires. Qui tiendra l’homme invisible au courant de ce qui se passe ?

L’expérience montre que, lorsque l’on quitte un groupe, on ne revoit plus vraiment les gens si l’on ne prend pas l’initiative de garder le contact. Le groupe, vivant désormais son quotidien sans nous, n’aura plus besoin de le partager avec nous. On ne fera plus partie de la gang, même si personne ne nous oublie et que tout le monde est heureux de nous revoir à l’occasion. Cette perte de solidarité peut nuire considérablement au plaisir de travailler. Cela a encore plus d’importance chez les gens qui ont besoin de la présence d’autres personnes pour être stimulés.

Autres questions

D’autres questions se posent aussi. On peut penser, entre autres, à qui va payer le mobilier et autre matériel ? Qui va supporter les couts d’Internet ? À partir de quelle heure l’employé devra-t-il être disponible ? Qui aura le droit de le rejoindre ou de lui demander d’effectuer des tâches et par quel moyen pourra-t-on le joindre ? Quelles seront ses tâches exactes ? Qui le supervisera ? Comment les heures supplémentaires seront-elles encadrées ?

Les questions SST se posent aussi : qui vérifiera que chaise et bureau sont ergonomiques, que les installations (escaliers, tapis, installations électriques, moyens de transport, etc.) sont sécuritaires. Est-ce que ce sera un accident de travail ou un accident à la maison si l’on se brise une jambe en tombant dans l’escalier en allant à la toilette entre deux tâches ? Si l’on se brule avec son café ? Qui vérifiera si l’on respecte les normes imposées par les CNESST sur la durée du travail en continu ou sur toute autre mesure de sécurité ?

Quelques précautions

Bien que ce qui suit ne soit pas également pertinent pour tout le monde, considérons qu’il pourrait être utile de :

Travailler selon un horaire fixe, se faire une routine de travail comme si l’on était au bureau, et faire approuver le tout par son gestionnaire ; si l’on brise la routine, noter de combien d’heures, afin de savoir combien on en aura à remettre ; en aviser son employeur comme on le ferait si l’on était au bureau. Rien n’oblige cependant à ce que ce soit le même horaire qu’au bureau, dans la mesure où l’horaire de travail est connu ;

Travailler toujours au même endroit, dans un coin aménagé pour cela ; cela aide à dédier le temps de travail exclusivement au travail : « cet endroit est mon bureau et, dans mon bureau, aux heures déterminées, je travaille et je ne fais pas autre chose » ;

Clarifier avec ses proches qu’ils doivent se comporter comme si l’on était au bureau, à moins d’urgence bien sûr. Il importe, pour ce faire, de clarifier la chose avec soi-même d’abord. Si, pendant ses heures de travail à la maison, on communique avec ses proches comme si l’on n’était pas au travail, il sera difficile de leur imposer d’éviter de le faire ;

Éviter de répondre au téléphone personnel ou familial ; prendre ses messages à l’heure du repas, comme on le ferait au bureau ;

S’entendre avec son employeur sur tout ce qui concerne les conditions matérielles (qui paie quoi, quelles dépenses sont remboursées, etc.) et s’assurer que les conditions matérielles de travail sont conformes aux normes de la CNESST – et à sa convention collective le cas échéant ;

Continuer à faire partie d’une équipe : aller aux réunions et aux rencontres sociales, communiquer avec les gens selon les besoins, rester disponible s’ils ont besoin de nous parler, s’assurer que quelqu’un va nous informer d’éventuels changements qui pourraient rendre une partie de notre travail inutile si l’on n’en était pas avisé ;

Aller soi-même aux nouvelles en début de journée, voir si des choses ont changé, si l’on est toujours bien arrimé. Rester en contact ; Prendre des pauses, mais éviter de les consacrer à des choses qui pourraient allonger indument l’arrêt ; à la maison, il est en effet très tentant de s’engager dans des tâches en se faisant croire que ça ne sera pas long…

Déterminer clairement une liste des tâches à accomplir ; cela aide à se mobiliser et à savoir ce qu’on a fait, ainsi qu’à le faire savoir, si besoin est. Il est en effet probable qu’on puisse être soupçonné de voler du temps si la production n’est pas au niveau de ce qui est attendu. Et, depuis la l’arrivée de la tyrannie du faire plus avec moins, beaucoup d’employeurs sont devenus épouvantablement optimistes quant à la quantité de tâches que leurs employés devraient être en mesure d’accomplir dans une journée… Il importe de bien s’entendre avec son gestionnaire dès le départ sur les résultats attendus.

Pour conclure

Faire du télétravail, ce n’est pas être entrepreneur ou travailleur autonome. Bien qu’une grande partie des précautions énoncées plus haut puissent influencer favorablement le bonheur et la santé des gens qui sont leur propre patron, ces derniers n’ont de compte à rendre à personne en termes de rendement et ne sont soumis à aucune loi et à aucune norme en ce qui a trait à leur santé. Ils fonctionnent comme bon leur semble et en assument les conséquences.

Mais un employé qui a la permission de travailler de chez lui reste un employé. On ne saurait par exemple lui demander de travailler un nombre d’heures supérieur à ce qui
est stipulé dans son contrat de travail sans l’autoriser à faire des heures supplémentaires et à le rétribuer en conséquence. L’employé reste protégé par les Normes du travail et par sa convention collective.

Or, si c’est notre cas, il n’y a personne d’autre que nous pour vérifier qu’on fonctionne dans un cadre de travail équivalent à celui qui prévaut dans les locaux de notre employeur. Alors, attention donc à ne pas perdre d’un côté davantage que ce qu’on pense gagner de l’autre.


1 – Jacques Lafleur – PSYCHOLOGUE ET FORMATEUR [crsalafleur@bell.net]
[www.apprivoisersonstress.ca]