ERGONOMIE

TROUBLES MUSCULO-SQUELETTIQUES
Nouvelle méthode d’évaluation

Yordan Rodriguez1

Yaniel Torres2

Les professionnels de la santé et de la sécurité au travail sont de plus en plus confrontés à la problématique des troubles musculo- squelettiques au travail (TMS). Depuis plusieurs années, les études montrent que l’épidémie de TMS résulte d’une conception des tâches et des postes de travail qui négligent les principes de l’ergonomie.

Dans cette perspective, l’exposition des travailleurs à des facteurs de risque d’origine ergonomique tels que la force, la répétitivité de gestes et les postures contraignantes s’accroit. Ces facteurs de risque sont à l’origine de TMS au travail (1). Dans la démarche de prévention de TMS, l’évaluation ergonomique de la tâche et des postes de travail constitue l’étape la plus importante. En effet, le Règlement sur la santé et la sécurité du travail consacre la section XX aux exigences en matière d’ergonomie que les employeurs doivent respecter et mettre en oeuvre dans le milieu de travail. Bien que ces exigences ne soient pas exhaustives, certains éléments de l’ergonomie sont abordés (art. 167 — art.171). À titre d’exemple, l’article 168 du RSST exprime : la hauteur des établis et la position des sièges doivent être adaptées au travail et aux travailleurs de manière à leur assurer une position qui soit correcte et à réduire leur fatigue.

À ce jour, il existe de nombreuses méthodes d’évaluation des facteurs de risque de TMS (2, 3). Cependant, dans la plupart de cas, la correcte utilisation de ces méthodes est conditionnée à la présence d’un personnel qualifié et expérimenté en ergonomie, ce qui est relativement rare. Pour cette raison, il est nécessaire de compter sur des méthodes pratiques et applicables à un vaste éventail des situations de travail. Par ailleurs, ces méthodes devraient être facilement utilisables et applicables par le personnel non expert en ergonomie. Dans ce court article, nous décrivons la méthode d’observation Évaluation du Risque INdividuel (ERIN) en utilisant, entre autres, une étude de cas.

Présentation de la méthode ERIN

ERIN est une méthode basée sur l’observation du poste de travail facile à utiliser. La méthode a été développée pour que le personnel non expert ayant une formation limitée en ergonomie puisse évaluer l’exposition des travailleurs aux facteurs de risque de TMS. Elle a été conçue sur la base des méthodes existantes, des études épidémiologiques sur les TMS et des besoins réels des utilisateurs sur le terrain. En particulier, cette méthode s’adresse aux utilisateurs non experts travaillant au sein de petites et moyennes entreprises (PME) (4, 5, 6, 7).

ERIN évalue sept variables, parmi lesquelles la posture du tronc, des bras, des poignets et du cou ainsi que la fréquence des mouvements. Le rythme de travail est déterminé à partir de la vitesse du travail et la durée effective de la tâche. Une autre variable évaluée est l’intensité de l’effort. Cette variable représente le produit de l’effort estimé par l’évaluateur et de l’autoévaluation du niveau de stress réalisé par le travailleur même. À la fin de l’évaluation, la méthode propose quatre niveaux de risque et recommande des interventions en fonction de la valeur numérique du risque global (Tableau 1). Cette valeur numérique est calculée en additionnant le risque des sept variables évaluées. Ce modèle additif permet d’identifier facilement l’influence de chaque facteur ainsi que les éléments à prendre en compte pour réduire les niveaux de risque.

Avec ERIN, il est possible d’étudier une grande quantité des tâches/postes de travail dans plusieurs domaines d’activité à de couts relativement faibles. Ceci est possible grâce au peu de temps nécessaire pour réaliser l’évaluation. Il est possible de réaliser cette évaluation à l’aide d’une grille d’évaluation et d’un crayon. ERIN peut être utilisée pour évaluer et concevoir des tâches de nature statiques ou dynamiques. Son système de pointage permet d’établir des critères d’évaluation de l’impact des modifications apportées (avant et après) au poste de travail, en prenant comme hypothèse de départ qu’une moindre valeur de risque correspond à des conditions ergonomiques plus favorables. Les résultats obtenus avec ERIN peuvent donc guider le personnel dédié à la gestion et à la prévention des risques sur la direction à prendre au moment de mettre en place des modifications au poste de travail.

Comment utiliser la méthode ERIN dans la pratique ?

En termes pratiques, la méthode ERIN suit un modèle d’application en cinq étapes (voir Figure 1). Ces étapes sont bien détaillées dans l’article publié par l’un des auteurs, Rodríguez (2018) (6).

Étude de cas : confection des sacs en fique dans une entreprise de production de matériel
d’emballage.

Vous trouverez ci-dessous un exemple de l’utilisation de la méthode ERIN pour évaluer la tâche de mise en forme des sacs en fique (Figure 2) dans une entreprise dédiée à produire divers matériels d’emballage (7). Le fique est un tissu en fibres naturelles d’origine végétale. Les sacs vides pèsent entre 290 et 1000 grammes et sont utilisés pour emballer des produits agricoles tels que du café et du cacao. La tâche consiste à coudre des sacs en les fermant sur les côtés à l’aide d’une machine à coudre industrielle et des ciseaux pour couper les fils. La norme de production établie pour cette tâche varie en fonction du type de sac. Le travailleur exécute la tâche en position assise pendant 8 heures de travail et jouit de 30 minutes de repos pour le diner et ses besoins personnels. La Figure 2 montre le poste de travail lors de la confection d’un sac de café (1000 g). La confection d’un sac de café est d’une durée d’environ 7 secondes.

La Figure 31 montre la grille d’évaluation ERIN contenant les résultats de l’évaluation pour la tâche présentée ci-dessus. D’après les consignes de la méthode ERIN, nous procédons à la sélection de la posture critique (considérant tronc, bras, poignet et cou) adoptée par le travailleur au cours du cycle de travail. La fréquence des mouvements de chacune de ces parties du corps doit être estimée aussi. Dans le cas du poignet et du bras, l’évaluateur doit choisir le côté du corps présentant la charge posturale la plus élevée (gauche ou droit). En cas de doute, les deux côtés sont évalués et celui avec le pointage le plus élevé est choisi.

À titre d’exemple, on vous explique comment réaliser l’évaluation de l’épaule et du bras (shoulder/arms sur la Figure 31) pour le cas d’étude. Sur la figure 2, nous observons le moment où se produit la posture critique de ce segment du corps. Le bras sélectionné pour l’évaluation est celui de gauche, car c’est celui qui a la charge posturale la plus élevée (posture visiblement plus contraignante). Dans ce cas, le bras gauche est en extension sévère (supérieure à 20 °), ce qui corresponde à un pointage de (2) sur la grille d’évaluation dans la section shoulder/arms. Un ajustement de (+1) est nécessaire pour avoir le bras en abduction. Par conséquent, le pointage de la charge posturale du bras est : 2 + 1 = 3. Le mouvement du bras pendant la tâche est considéré comme « très fréquent » (mouvement presque continu). Le pointage total est de 8 pour le segment épaule/ bras (voir figure 31). En systématisant cette forme d’analyse, on peut compléter toutes les sections sur la grille d’évaluation. Ainsi, l’addition de tous les pointages pour chacune des parties du corps donne une valeur de 40 points, ce qui est considéré sur le Tableau 1 comme un niveau de risque très élevé. À ce point, des actions immédiates pour changer la situation devraient être implémentées.

Un logiciel pour simplifier le processus d’évaluation1

Afin de favoriser l’application de la méthode ERIN, les potentiels utilisateurs peuvent faire usage d’un logiciel en ligne, lequel est disponible sur www.ergoyes.com. Ce logiciel est disponible en plusieurs langues, dont l’espagnol, l’anglais et le français. Une version payante de ce dernier peut être téléchargée également. Contrairement à la version libre, la version payante permet le stockage structuré des évaluations réalisées, génère des rapports spécifiques par tâche évaluée ainsi que des rapports globaux pour l’entreprise. Elle est plus puissante et permet également de pousser plus loin l’analyse en effectuant le calcul du risque Multitâche, la prise des mesures des angles corporels à partir des photos de la tâche et la génération automatique des recommandations visant à réduire le risque en fonction des résultats de chaque évaluation (Figure 4).

La collecte d’informations sur le terrain est par ailleurs favorisée par l’utilisation d’une application mobile. Cette application peut être téléchargée gratuitement dans les magasins d’applications Google Play et bientôt dans l’Apple Store. ERIN mobile est intégrée au logiciel de bureau ERIN 2.2 et vous permet de mesurer les angles du corps et de stocker des informations d’évaluation, y compris des images prises sur le terrain (Figure 5).

Conclusion

Bien que les TMS aient été reconnus comme des problématiques de santé au travail, les méthodes d’évaluation des risques d’origine ergonomique ont été plutôt conçues pour être utilisées par des utilisateurs ayant une maitrise des concepts de l’ergonomie. L’objectif de cet article est de vous présenter une nouvelle méthode d’évaluation qui tienne compte des besoins des utilisateurs moins expérimentés et ayant des connaissances limitées en matière d’ergonomie. Certaines études montrent que la méthode ERIN est à la fois pratique, simple et facile à utiliser pour l’évaluation et l’amélioration ergonomique des postes de travail (6, 7).

À juste titre, la valeur fondamentale de la méthode ERIN repose sur son acceptabilité, sa fiabilité et sa validité en tant qu’instrument d’évaluation dans le domaine de l’ergonomie. Grâce à son utilisation, les utilisateurs d’ERIN peuvent évaluer par eux-mêmes les facteurs de risque associés aux postes de travail et prendre les mesures correctives nécessaires.

Note : Il faut préciser que la méthode ERIN n’empêche pas, dans certaines circonstances, l’intervention des ergonomes pour mener l’analyse plus loin et mieux comprendre le rôle des facteurs humains dans l’activité productive. La méthode ERIN ne représente qu’une étape préliminaire dans l’évaluation et peut être complétée par une intervention plus ciblée et approfondie en milieu du travail.

Remerciements

Je tiens à souligner la contribution de mon collègue, M. Rainer Ricardo de l’Université de Montréal, dans la révision de cet article. Ses commentaires ont contribué à préciser certains éléments dans le processus de rédaction.


1 – Yordan Rodriguez – 1. ING, PH.D, PROFESSEUR ASSOCIÉ, ÉCOLE NATIONALE DE SANTÉ
PUBLIQUE, UNIVERSIDAD DE ANTIOQUIA, COLOMBIE
[yordan.rodriguez@udea.edu.co]
2. – Yaniel Torres – 2. ING, M. ING, M. SC., COFONDATEUR DU RÉSEAU D’ÉCHANGE EN
SANTÉ, SÉCURITÉ ET ENVIRONNEMENT (RESSE) (yanieltm@yahoo.es)

Références bibliographiques

    1. NIOSH, Bernard BP, Putz-Anderson V (1997) Musculoskeletal disorders and workplace factors. A critical review of epidemiologic evidence for work-related musculoskeletal disorders of the neck, upper extremity, and low back. U.S. Department of Health and Human Services, Public Health Service, Centers for Disease Control and Prevention, National Institute for Occupational Safety and Health.
    2. Takala E-P, Pehkonen I, Forsman M, Hansson G-A, Mathiassen SE, Neumann WP, Sjogaard G, Veiersted KB, Westgaard RH, Winkel J (2010) Systematic evaluation of observational methods assessing biomechanical exposures at work. Scand. J. Work Environ. Health 36:3 – 24.
    3. David GC (2005) Ergonomic methods for assessing exposure to risk factors for work-related musculoskeletal disorders. Occup Med (Lond) 55:190 – 199.
    4. Rodríguez Y, Viña S, Montero R (2013) ERIN : a practical tool for assessing work-related musculoskeletal disorders. Occupat Ergon 11:59 – 73.
    5. Rodríguez Y, Vina S, Montero R (2013) A method for non-experts in assessing exposure to risk factors for work-related musculoskeletal disorders-ERIN. Ind. Health 51:622 – 626.
    6. Rodríguez Y (2018) Individual risk assessment (ERIN): method for the assessment of workplace risks for work-related musculoskeletal disorders. In : Handbook of research on ergonomics and product design, pp 1 – 27. IGI Global
    7. Ruíz Y.R. (2019) ERIN : A Practical Tool for Assessing Exposure to Risks Factors for Work-Related Musculoskeletal Disorders. In : Bagnara S., Tartaglia R., Albolino S., Alexander T., Fujita Y. (eds) Proceedings of the 20th Congress of the International Ergonomics Association (IEA 2018). IEA 2018. Advances in Intelligent Systems and Computing, vol 820. Springer, Cham.