Accidents graves – Savoir les gérer


Accidents graves – Savoir les gérer

Tout accident grave ou mortel au travail entraîne inévitablement des conséquences directes et indirectes tant pour la famille immédiate que les employés, les témoins de l’événement et l’organisation.

Catherine Deslauriers

La famille souffrira de la perte d’un être cher. Les employés pleureront la perte d’un collègue. Les témoins pourraient regarder leur milieu de travail différemment ou même développer des lésions psychologiques impactant leur prestation de travail au point où ils deviendraient incapables de reprendre leur emploi. Quant à l’entreprise, elle aura à composer avec les médias, les inspecteurs de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), les enquêteurs de police, les absences d’employés, le deuil de la famille et des employés, les réclamations pour accident de travail pouvant impacter leur dossier financier, la perte de productivité, le sentiment de culpabilité des gestionnaires impliqués et même les plaintes pénales et criminelles.Tous y ont à perdre!

Les conséquences sur le plan criminel peuvent d’ailleurs être désastreuses tant pour l’entreprise que pour les personnes physiques y travaillant. À titre d’exemple, un chargé de projet a été condamné à trois ans et demi de prison pour négligence criminelle causant la mort parce qu’il n’avait pas, entre autres, fourni de l’équipement sécuritaire à des employés travaillant en hauteur (1). Un dirigeant d’entreprise a été condamné à deux ans moins un jour de prison pour négligence criminelle causant la mort en raison de problèmes mécaniques majeurs affectant un équipement (2).

Ainsi, lorsqu’un événement de la sorte arrive, il faut savoir réagir rapidement à celui-ci afin de faire face à tout ce qui s’ensuivra et prévoir, s’il y a lieu, les implications pénales (3) et criminelles (4) à l’encontre de l’entreprise, ses dirigeants, administrateurs ou employés ayant participé à la commission de l’infraction. Voici donc cinq conseils de base pour gérer le plus efficacement possible les répercussions d’un accident grave ou mortel.

1 Ne pas altérer la scène

Il pourrait être tentant de nettoyer les dégâts afin d’éviter que les employés soient traumatisés par la scène et/ou pour corriger des contraventions à la LSST et à ses règlements, mais tout cela est fermement déconseillé.

En effet, l’article 63 de Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) stipule que les lieux doivent demeurer inchangés pour le temps de l’enquête de l’inspecteur de la CNESST, sauf pour empêcher une aggravation des effets de l’événement ou si l’inspecteur autorise un changement.

Toute contravention à cette disposition pourrait favoriser l’imposition d’une amende à l’individu et à l’entreprise en vertu des dispositions pénales de la LSST. Au surplus, ces actes pourraient aussi justifier une condamnation pour entrave au criminel pouvant mener à de l’emprisonnement (5).

Au lieu de poser des actes qui pourraient être lourds de conséquences, éloignez plutôt les employés de la scène, à l’exception des secouristes, et regroupez-les dans un endroit où ils ne seront pas en mesure de regarder la scène.

2 Fournir du support psychologique

Il est important de toujours penser au bien-être de vos employés dans une telle situation. Ceux-ci auront besoin de parler de l’incident et de ventiler. Certains auront besoin de se confier alors que d’autres voudront absolument trouver un coupable. Certains n’oseront pas se confier ouvertement de peur de se sentir jugés.

Dans tous les cas, l’intervention d’un psychologue spécialisé en gestion de crise serait avisée puisqu’il pourra, sous le couvert de son secret professionnel, recueillir les confidences des employés et relativiser la situation. Le professionnel sera aussi en mesure de guider les gestionnaires afin de déterminer si un employé doit recevoir des soins d’urgence, par exemple, en raison d’un choc post-traumatique ou si des employés ont besoin d’un service de raccompagnement, de type taxi, à leur domicile.

Finalement, le psychologue sera à même de déterminer si les témoins de l’événement peuvent collaborer immédiatement à l’enquête d’accident.

3 Comprendre avant de réagir publiquement

Dans les médias, il est chose courante d’entendre parler d’accidents graves ou mortels survenant au sein d’un établissement ou sur un chantier de construction. Souvent, l’entreprise publiera un communiqué de presse dans l’optique de montrer au public qu’elle collabore à l’enquête.

Toutefois, toute déclaration de l’entreprise peut lui être opposée dans le cadre de procédures judiciaires, tant devant les instances pénales que criminelles.

Si l’entreprise souhaite publier un communiqué de presse dans l’immédiat, mais que l’enquête interne est toujours en cours afin de déterminer les causes de l’accident, il serait préférable d’indiquer dans un premier communiqué de presse les intentions de l’entreprise de collaborer à l’enquête de la CNESST et d’y incorporer des faits connus et certains.

Ultérieurement, en temps opportun et lorsque les circonstances de l’accident seront effectivement connues, il sera loisible à l’entreprise de produire un nouveau communiqué de presse quant aux circonstances ayant entraîné l’accident en se limitant à des faits précis exempts de toute subjectivité.

4 Effectuer une enquête interne

Il est de croyance courante que la CNESST effectuera l’enquête en lieu et place de l’employeur. Cela n’est pas le cas. La CNESST a pour mandat de protéger la santé et la sécurité des travailleurs et de s’assurer que l’employeur a mis en place des mécanismes pour contrôler les risques et les dangers au sein de son entreprise, qu’il a effectivement contrôlé l’application de ceux-ci et, qu’en présence de contraventions aux règles de santé et sécurité au travail, il a sanctionné les personnes ayant outrepassé les mesures mises en place pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs.

Ainsi, l’employeur doit également effectuer une enquête interne. Dès la survenance de l’événement, bien que cela puisse être difficile, il faut prendre des photographies de la scène. Les images vidéos des caméras de surveillance sont aussi des éléments à conserver.

Par la suite, il faut rencontrer, s’ils en sont capables, les témoins de l’événement afin de recueillir leur version des faits et prendre des notes détaillées quant aux circonstances entourant l’évènement. Plus il y aura de détails, mieux ce sera.

Lors de l’intervention de la CNESST, à titre d’employeur, votre collaboration sera obligatoire. Ainsi, lorsque l’inspecteur demandera des documents à l’entreprise, il faudra lui en fournir une copie. Si l’inspecteur n’a pas demandé des documents qui apparaissent cruciaux aux yeux de l’employeur pour démontrer sa diligence raisonnable, l’entreprise pourrait alors en transmettre copie, même si l’inspecteur ne l’a pas demandé.

5 Appeler une ressource compétente

À la suite d’un accident grave ou mortel, il peut y avoir des conséquences pénales et criminelles pouvant mener même à de l’emprisonnement, tel que décrit dans le tableau 1, à l’encontre de toute personne physique ou morale.

L’imposition d’accusations criminelles, bien que peu fréquentes à ce jour, demeure toujours une épée de Damoclès au-dessus de l’organisation ou des personnes physiques impliquées directement ou indirectement.

Au surplus, dans certaines circonstances, des dommages indirects peuvent en résulter, telles qu’une exclusion d’une mutuelle de prévention, une suspension ou une annulation d’une licence d’entrepreneur en construction émise par la Régie du bâtiment du Québec, une expulsion d’un chantier de construction ou une perte d’accessibilité à des contrats découlant d’appels d’offres.

Bref, les conséquences peuvent être diverses et importantes. Personne n’est à l’abri des lois et toute personne peut être poursuivie et condamnée.

Ainsi, pour interagir avec les inspecteurs de la CNESST ou les enquêteurs de la police, il peut être avisé de requérir la présence d’un avocat possédant l’expérience nécessaire afin de guider l’entreprise ou des employés qui pourraient être identifiés comme des suspects potentiels et pour expliquer les droits et obligations de chacun des acteurs en fonction du contexte évolutif du dossier.