Améliorer son degré de culture


Améliorer son degré de culture

On se réfère souvent au mot culture dans le domaine de la santé et sécurité du travail. Il est prétendu par cette expression que l’engagement de la part de chaque personne qui compose une organisation soit proportionnel aux effets sur la prévention des accidents.

Marie Laberge

Ainsi, pour bénéficier des fruits d’une culture durable et efficiente, il est essentiel qu’une organisation puisse compter sur l’engagement de son personnel et surtout, de ses plus hautes instances d’influence.

La culture et sa mesure

Un concept bien connu en regard à la mesure de la culture est assurément la courbe de Bradley de DupontTM (1). La popularité du concept d’optimisation du plus haut niveau de culture menant à l’atteinte de l’objectif zéro accident leur est attribuable et se nomme, l’interdépendance. À contrario, le plus faible niveau de culture est défini comme étant la réactivité d’une organisation aux évènements. Entre ces deux extrêmes, une organisation évolue à travers les phases nommées la dépendance et l’indépendance. C’est notamment à travers chacune de ses quatre phases qu’il est possible de constater que plus une organisation s’engage à faire de la prévention, plus elle améliore son bilan d’accidents.

Il est toutefois incomplet de compter uniquement sur le calcul du nombre d’accidents pour déterminer à quelle phase une organisation se situe. Oui, elle serait à même de constater la baisse croissante de ces accidents et supposer qu’elle est dans la bonne voie, mais elle éprouverait quelques difficultés à y associer ce qui contribue réellement et objectivement à l’atteinte de ce résultat, ainsi qu’à quelle hauteur. Il n’est malheureusement pas rare de constater que certaines organisations qui ont un excellent bilan d’accidents, ne peuvent en expliquer les causes. Qui plus est, certaines sont à même d’identifier les causes, mais sont incapables d’en mesurer la contribution. En effet, des analyses post implantation de processus d’amélioration de la culture démontrent trop souvent que des actions mieux ciblées et plus décentralisées auraient permis d’atteindre le même résultat, mais à moindre cout et de façon plus pérenne. L’idée recherchée par une telle analyse et la définition d’une stratégie structurée n’est certainement pas de minimiser les actions et les investissements en prévention, mais bien d’en maximiser leur efficience, et ce, à résultat égal ou même supérieur.

Lorsqu’une organisation s’engage dans une démarche d’optimisation de sa culture, il devient important de réviser la stratégie de surveillance de ses processus, incluant le choix de ses indicateurs. Puisqu’il peut s’avérer laborieux de tout surveiller et de tout mesurer, il sera question dans cet article que d’un certain nombre de stratégies et d’indicateurs possibles choisis parmi une myriade, tous aussi intéressants les uns que les autres. Les stratégies et les indicateurs traitant de l’implication et de la capacité organisationnelle seront donc privilégiés en raison de la qualité de l’information qu’ils transmettent sur la mesure du degré de culture.

Engagement de la direction

Il s’agit là du plus puissant déterminant en termes de succès en santé et sécurité. Une organisation ne pouvant compter sur l’engagement de sa direction, ou de son comité de direction selon la structure et l’envergure de l’organisation, n’est pas considérée en maitrise. Toutefois, une organisation comptant sur une direction qui passe en revue et traite de questions de santé et sécurité à toutes ses rencontres, au même titre que les autres fonctions de l’organisation telles que les finances, les ressources humaines, la qualité et la productivité s’assure d’intégrer dès la phase de la planification, tous les impacts possibles des décisions sur l’ensemble des fonctions, dont la santé et sécurité. Elle peut donc y remédier avant même d’en subir les conséquences. L’indicateur de prédilection à cet égard sera le taux de réunions de la direction ayant traité de santé et sécurité en fonction du nombre total ayant eu lieu. À titre d’exemple, une direction vise à ce que 95 % des réunions du comité de direction dans une année doivent traiter de questions de santé et sécurité. En mi-année, elle constate que quatre rencontres sur six seulement en ont traité. À la lumière de cette information, elle peut d’ores et déjà prendre des mesures pour corriger le tir d’ici la fi n de l’année à l’égard de son implication. Elle évitera ainsi d’altérer son image et de porter atteinte à la cohérence de son message.

C’est selon ce même exercice qu’une direction surveille et mesure le degré d’atteinte d’objectifs et de cibles en fonction des attentes fixées en début d’exercice, qu’il soit trimestriel, annuel, biennal, etc. Au-delà de la mesure de son implication, la direction peut également s’intéresser à sa capacité organisationnelle à prendre en charge la santé et sécurité. À cet égard, le plus important indicateur demeure le taux d’actions correctives et préventives implantées en fonction d’un délai prescrit au moment des enquêtes, des inspections et de toutes autres activités de prévention, ou selon un délai inscrit à une procédure. À titre d’exemple, une direction vise à ce que 100 % des actions correctives suite aux enquêtes d’accidents soient implantées dans les délais prescrits aux rapports d’enquête, et que 95 % des actions correctives lors d’inspections soient implantées à l’intérieur de 30 jours tel qu’édicté à la procédure. En cours d’année et au fur et à mesure des rencontres de direction, elle est en mesure de surveiller mensuellement la réponse à cette cible. Ainsi, si le résultat est inférieur aux attentes, elle pourra se questionner à savoir si les moyens qu’elle se donne sont suffisants, ou s’il s’agit d’une prise en charge insuffisante des responsables désignés. Une fois les réponses à ses questions obtenues, elle prendra les mesures appropriées pour se donner de nouveaux moyens ou changer de stratégie.

Décentralisation

Un autre des déterminants en regard de l’optimisation de la culture en santé et sécurité est la décentralisation. Sont considérés à ce sujet, le partage des connaissances et des responsabilités entre les personnes et les fonctions, de leur engagement à la valeur de prévention, ainsi qu’à l’égard du souci d’autrui. Ces éléments de la culture de santé et sécurité assurent la pérennité des résultats obtenus et surtout, minimisent les besoins en supervision et en mesures disciplinaires; on parle ici d’auto-responsabilisation de chacun et de gestion des risques.

Plus l’implication des personnes en matière de santé et sécurité au sein d’une organisation est grande, plus les résultats obtenus permettent à cette organisation de rentabiliser ses investissements en ressources humaines et financières par la gestion des risques. Des indicateurs traitant de formations et de communications sont d’intérêts à cet égard puisque plus les ressources sont instruites et cultivées au regard de la santé et sécurité, mieux elles sont en maitrise des mesures de contrôle de gestion des risques et de communication. Ainsi, un superviseur ayant à faire une tournée de production et de qualité dans son secteur, peut par la même occasion saisir toutes les opportunités de soulever les situations et les comportements dangereux ou sécuritaires, du fait qu’il possède les connaissances pour les identifier et les habilités pour témoigner de ses attentes. Il en va de même pour un travailleur bien formé et expérimenté qui accompagne un nouvel employé pendant sa période d’intégration. Cette culture de prévention leur permet non seulement de prévenir les évènements et les conséquences humaines en agissant avant même qu’ils ne surviennent, mais rentabilise la prévention du fait qu’il n’y a pas de perte en temps, en argent, et humaines. Tout se fait au même moment et de façon intégrée. Une chose et l’autre, plutôt qu’une chose puis l’autre. C’est comme courir un marathon, s’hydrater et compter son temps à la fois. Nul besoin de s’arrêter de courir pour boire et consulter sa montre.

Il est certain que pour en arriver à ce niveau, et ce, de façon efficiente, il est préférable de connaitre l’état de la situation dans son organisation. Cela passe par l’analyse des risques et des mesures de contrôle en place et à mettre en place. Cet exercice essentiel permet  non seulement d’identifier les risques présents, mais d’élaborer une planification des besoins en termes de formations, de communications, d’implantation de mesures de contrôle des dangers et de surveillance des mesures de contrôle. Avec un tel portrait, une organisation peut planifier ses priorités d’actions, d’investissements et d’attribution des ressources selon un échéancier, et ainsi agir sur plusieurs fronts à la fois. Quelques indicateurs de choix à ces égards sont:
• le taux de formations dispensées en fonction de la planification;
• le taux d’accueil de nouveaux employés dès l’entrée en fonction (jour 1) par rapport au nombre d’employés embauchés;
• la proportion des équipements qui ont fait l’objet d’entretien préventif selon la planification;
• la proportion de mesures de contrôle implantées par rapport aux priorités de risques;
• le taux de communications traitant de prévention faites dans le cadre de rencontres planifiées traitant d’un autre sujet.

Encore une fois, en plus d’informer sur l’implication des différentes instances en santé et sécurité, ces indicateurs nous informent de la capacité de l’organisation à prendre en charge la réponse aux attentes. À titre d’exemple, une organisation qui constate dès le premier mois de la revue de direction que son taux d’accueil de nouveaux employés est de 70 % alors qu’elle visait 100 % pour l’année, mettra immédiatement un plan d’actions en branle pour corriger la situation. Cette stratégie lui permet donc de constater rapidement qu’elle expose des personnes et s’expose à des dangers pouvant porter atteinte à l’intégrité des personnes, ainsi qu’à la réputation de l’organisation. C’est ici qu’un autre rapprochement est fait entre l’engagement de la direction et la tenue systématique de revues de direction traitant de santé et sécurité, tel que déjà discuté. Il n’aura pas été nécessaire pour cette organisation de vivre un évènement ou de constater trop tard dans l’année cette lacune. Elle aura pu agir dès la capture de l’information sur la non-réponse aux attentes et par conséquent, être plus efficiente.

Conclusion

En effet, pourquoi rechercherait-on d’atteindre un niveau de culture performant en santé et sécurité si cela ne tenait pas de l’efficience. Le degré d’investissement dans la culture de santé et sécurité dans une organisation sera toujours proportionnel aux aspirations de la direction. Et ce degré de culture sera toujours influencé par l’expérience, les valeurs et les ambitions des personnes qui composent cette direction. Ainsi, seul un décideur avisé choisira d’auto-responsabiliser l’ensemble des personnes et des fonctions de son organisation pour assurer la pérennité humaine et économique de ce dont il est ultimement responsable. Ce décideur aura alors compris qu’il répond à ses obligations, certes, mais plus motivant encore, il se saura attractif pour les personnes, concurrentiel sur le marché, et durable pour le bien de tous et de l’économie.