GESTION SST

Ce que tout le monde devrait savoir (OU PAS)

 

Kathleen Côté 1

Le rôle de préventionniste SST est souvent méconnu ou incompris dans une organisation. En fait, il y a autant de rôles différents que de types d’entreprises. Voici ce qu’il faut invariablement savoir.

 

Avouez-le, c’est un titre accrocheur n’est- ce pas tion à tout le moins. « ? J’ai réussi à attirer votre atten Préventionniste» jumelé à «devrait savoir». Je devine déjà vos pensées. Mais qu’est-ce qu’un préventionniste fait de si intéressant dans son quotidien et, en plus, qui est digne de mention? D’ailleurs, un préventionniste c’est quoi? Et pourquoi est-ce important au juste? Bon, encore des élucubrations de professionnels initiés qui ne comprennent rien à la réalité.

Tous ont droit à leur opinion. Apparemment, selon certains employés ou représentants de l’employeur, tous les préventionnistes sont plates, paresseux, ou peureux de nature. Autant de raisons pour lesquelles nous aurions choisi une profession en SST. Définitivement, je l’ai souvent entendu de la part de quelques détracteurs dans un certain secteur d’activités.

Il semblerait que je n’ai pas choisi les bons employeurs pour ainsi ne pas pouvoir jouer aux sudokus une journée durant dans mon bureau de fortune. De toute façon, une hyperactive prisonnière d’un bureau de fortune qui s’occupe a joué au tic-tac-toe avec moi-même,
au secours. Cela dit, lorsque j’y pense, peut-être que j’aurais évité certaines expériences
professionnelles discutables. Le tic-tac-toe est probablement plus agréable que certaines personnalités toxiques qui, par analogie, me laissent l’impression que l’acide fluoroantimonique est, finalement, juste de l’eau (1).

Un préventionniste c’est quoi?


Je n’ai pas encore défini ce qu’est un préventionniste. Est-ce un conseiller? Est-ce un coordonnateur? Est-ce un spécialiste? Est-ce un expert-ici, je fronce un peu les sourcils- ? Est-ce un agent? Est-ce un représentant à la prévention à la solde de son employeur? Même après avoir exercé près de 15 ans dans le domaine de la SST, je me demande toujours quelle est la définition exacte d’un préventionniste. En plus de sa définition, je m’interroge pareillement sur son champ de pratique réel et du niveau de connaissances requis.

Les perceptions du rôle des préventionnistes


De mon expérience, je sais comment les contradicteurs nous qualifient parfois. Le département des miracles, le psychologue pour écouter les doléances des travailleurs, le méchant pas fin qui demande des comptes ou la bourreau qui exige l’application du programme de prévention, en plus d’être un imposteur qui ne connait rien à la réalité «du plancher». Bref, vous aurez compris, un portrait assez réducteur pour certains. Pour d’autres, la perception voulant que tout le monde puisse exercer la profession de préventeur. Avons-nous fait des études spécialisées? Avons-nous passé à travers des processus de certification? Comprenons-nous les organisations? Connaissons-nous les lois et règlements en SST? Visiblement, il n’y a rien là, car même un placozoaire peut probablement faire mieux que nous après tout? En somme, voilà les défis de la SST au quotidien.

La «business»

Ma définition d’un préventionniste? Il fait de la prévention. Du moins, essaie de faire de la prévention. Ou encore, essaie de sensibiliser les organisations à l’importance de faire de la prévention, au-delà du rendement trimestriel. Sortir de la gestion à court terme qui ne sert qu’à essouffler les travailleurs à moyen et à long termes. Valoriser la ressource humaine, car si la raison d’être d’une entreprise est de faire de l’argent, cette dernière réussit grâce au travail des employés. Sans employés, pas d’extrants. Pas d’extrants, pas de ventes et pas de profits. Pas de ventes ni profits, pas de «business». Alors, autant tous travailler dans la même direction, car la SST n’est pas un frein à la production à mon humble avis. Seulement si les gestionnaires en place ne sont pas assez ferrés pour comprendre la gestion et l’analyse du risque ou comprendre les processus organisationnels. Ah oui, ce qu’un placozoaire n’est pas nécessairement capable d’apprécier faute de développer son esprit critique et de comprendre l’ensemble des enjeux qui se présentent à lui. Désolée de vous froisser ainsi: il y aura toujours le risque de survenance d’un évènement malgré tous vos contrôles mis en place.

Un risque c’est, par définition, une probabilité non nulle. Encore faut-il, pour bien comprendre cette distinction, savoir démêler la notion de danger et celle de risque. Notions qui semblent s’effriter avec le temps ou fondre comme un popsicle laissé sur le trottoir lors d’une chaude journée d’été. Autre ânerie déjà entendue: seuls les ingénieurs peuvent faire de l’analyse de risque. Un peu de nuance dans vos propos svp.

Je tiens à préciser qu’il y a une distinction à faire tant entre le langage juridique et celui de la sécurité industrielle. Peut-être que ce mélange des genres est, en fait, l’apanage de gens qui ne maitrisent pas les fondamentaux de la SST? D’autres diront que les professionnels de la SST sont conservateurs et sont ancrés dans leurs paradigmes. C’est un point de vue discutable. Quand je lis des articles et les livres scientifiques de Hollnagel (2) par exemple, c’est drôle, mais je n’ai pas l’impression qu’il fait preuve de conservatisme. Une exception ne fait pas la règle me direz-vous. Cependant, en lisant les articles et revues de SST en provenance d’ailleurs – par opposition à juste du Québec – on étend notre point de vue.

50 nuances de gris

Un nouveau projet pour Ariane (3), un nouveau défi. Ne pas connaitre les tenants et aboutissants de ce qui s’applique, ou non, à son projet. Finalement, cinq jours avant le début des travaux, elle se souvient qu’il existe un département SST quelque part, sans doute à la cave, de l’autre côté du barbelé, cet endroit surveillé par un tireur d’élite. Tiens, pourquoi ne pas, tout d’un coup, faire appel à leurs services ? Ariane comprend que la SST c’est important… pour les autres. Jules (4) interagit avec Ariane. Il comprend qu’il est minuit moins une. Il comprend qu’il doit user de diplomatie et surtout de patience. Savoir faire preuve d’ingéniosité pour trouver une solution convenable en deux temps, trois mouvements. Écrire un programme de prévention en catastrophe, faire appel à son réseau de professionnels et espérer dormir entre la rédaction et la mise en application.

Mais Jules n’est pas au bout de ses peines, il devra aussi collaborer avec la Reine de Cœur, reine cruelle et sans pitié. Celle qui règne en monarque absolu et qui crie à tout vent: «qu’on leur coupe la tête, qu’on leur coupe la tête». C’est vrai, les juristes parlent des trois devoirs de l’employeur. Mais on dirait que certains gestionnaires n’ont retenu que celui de l’autorité. Il est vrai que c’est celui qui est le plus facile à comprendre et à appliquer. Admettez que c’est invitant de dire à un subalterne: «tiens ça c’est mon avis verbal pis fait ce que je te dis. Sinon, je te coupe la tête». Généralement, on justifie aussi cette réprimande par la diligence raisonnable qui a un dos tellement large. TOUT EST GRAVE. Habituellement, ceux qui abusent de la guillotine ne sont pas très enclins à prévoir, à analyser et à prioriser selon le contexte. Je n’ai pas le temps à perdre… à bien m’assurer d’avoir mis toutes les pièces du casse-tête en place avant de sanctionner. C’est du même acabit que celui qui cherche un coupable lors d’une enquête et analyse d’accident. La cause fondamentale? C’est l’opérateur bien sûr. À quoi a-t-il pensé? Délibérément, le travailleur voulait perdre un morceau au travail en quittant la maison le matin. C’est la conscription version 2019. Pour ce qui est de l’art de convaincre, la Reine de cœur utilise ad nauseam «c’est la loi» pour imposer ses quatre volontés. La loi, c’est la loi. C’est drôle, car personnellement, je préfère davantage cette citation: «la guerre, la guerre, c’est pas une raison pour se faire mal. (5)».

René l’ignoré

Voyons maintenant le cas de René (6). La journée de René se déroule à merveille. René prend son café et se prépare à sa rencontre de production. Durant la réunion, il apprend l’accident sérieux d’un travailleur durant la nuit à l’usine. Celui qui croyait à une journée tranquille comprend qu’il ne sait plus quand elle se terminera. Une cascade de communications et d’alertes sera enclenchée. C’est le processus d’enquête sur l’accident. Avant même d’avoir pu rencontrer les témoins ou le travailleur blessé pour obtenir leur version, tous les employés et membres de la direction sont déjà au courant de l’histoire avant René. René a oublié que Facebook était un excellent moyen de communication pour exhiber sans pudeur les moindres détails de la vie des gens. Peut-on utiliser son Facebook pour remplir/documenter le rapport d’accident? Je me le demande? René n’a pas de compte Facebook. C’est louche.

Julio le hardi

Que penser du cas de Julio (7) ? Julio doit faire une visite au chantier, car un employé s’est blessé. À son arrivée, Julio entrevoit son travailleur, nerveux, entouré de plusieurs casques blancs. Julio se joint au cercle d’amis et intercepte les échanges:
– Ouain, te sens-tu nono de t’être blessé? (rire)
– Coudonc, es-tu conscient que ça va gâcher tes Fêtes ta tite blessure? Pauvre toé. (rire)
– C’est pas drôle ça. En plus, tu coutes cher à ton employeur. À cause de toi, sa cotisation va monter, pis ça, y’aime pas ça. (rire)

Julio interrompt cette conversation joviale et se présente gentiment au groupe en déclinant son identité ainsi que son titre. Le groupe en question rit moins. C’est que ce sont des responsables de sécurité eux aussi. Julio conclut cette séance de supplices en les remerciant de se soucier de l’imputation de son employeur.

Cependant, Julio précise qu’au lieu de parler avec son travailleur, ils auraient mieux fait d’aller inspecter l’échafaudage d’en face qui est non conforme et qui expose des travailleurs à un risque de chute de plus de 6 mètres. À chacun ses priorités.

Bob Le Sauveur

Bob (8) prépare l’audit de sécurité qui se tiendra dans une de ses succursales. Un gros travail de préparation. Éviter la procrastination. Revoir les procédures qui, la dernière fois, ont été révisées dans la période du jurassique. Ceratosaurus avait, en effet, besoin d’analyser son environnement de travail avant d’aller chasser. Malheureusement pour lui, à défaut qu’on révise la procédure à temps, les changements climatiques lui auront été fatals et il est disparu. La santé et sécurité, c’était important… pour les autres, car lui n’est plus. Donc, Bob effectue un audit interne d’écart. Il analyse les éléments critiques. Il établit un plan de match. Un long échéancier qui laisse du temps pour se mettre à niveau et qui implique tous les départements. Un suivi régulier avec les gens impliqués. Cependant, un mois avant la date butoir, le suivi indique qu’on est encore au même stade qu’il y a 200 millions d’années.

Les intervenants n’ont pas eu le temps, ou encore, ont été mutés ailleurs ou sont partis en maladie ou en congé. C’est que Bob a délaissé l’enregistrement des sempiternelles justifications afin de ne pas sombrer dans la folie. De toute façon, le verdict sera rendu par le jury. Il y a deux façons de voir la prévention: je peux agir avant ou me la faire imposer. Mais se la faire imposer implique de perdre le contrôle du plan d’action et de laisser les autres se charger de nos priorités.

En conclusion

Vous avez remarqué que la vie d’un préventionniste demande une agilité et une capacité d’adaptation. Aucune journée n’est prévisible. Établir un plan de travail pour la semaine en
pensant que la planification restera inchangée relève de l’utopie. Si les tâches administratives ainsi que les activités de prévention usuelles telles que les réunions éclair, les comités SST, les observations de tâches et les inspections occupent l’agenda, reste qu’un accident ou des situations imprévues comme un droit de refus peuvent chambouler cet horaire à tout moment. Cette réalité apporte son lot de désagrément et de frustration. Il faut savoir aimer la variabilité dans son travail ainsi qu’apprendre le lâcher-prise. D’une certaine façon, c’est une question de longévité dans le milieu, ce que tout le monde devrait savoir.


 

1 – Kathleen Côté – CRSP, CRHA, D.É.S.S. SST, CHARGÉE DE COURS UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL [kathleen.cote.1@umontreal.ca]

Références bibliographiques

    1. L’acide fluoroantimonique est l’acide le plus corrosif [https : //www.science-et-vie.com/corps-et-sante/quel-est-l-acide-leplus-puissant-52167]. Vérifier le 29 avril 2020.
    2. Hollnagel, E. (2004). Barriers and Accident Prevention (1re éd.). London, UK : Routledge Taylor & Francis Group.
    3. 4,6,7,8. Noms fictifs. [https ://www.fakenamegenerator.com].
    4. Melançon, André. (2004) La guerre des tuques, Film – Série Contes pour tous.