sauver des vies - interface humain et machines
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SÉCURITÉ MACHINE

Comment sécuriser l’humain face à la machine

Ulysse Mc Carthy

DIRECTEUR GÉNÉRAL, OPÉRATIONS SST INTERNATIONAL INC.
ENSEIGNANT À L’INSTITUT DES PROCÉDÉS INDUSTRIELS DU COLLÈGE DE MAISONNEUVE PROFESSIONNEL DE LA SST/MESURES D’URGENCE/SIMDUT 2015 [umccarthy@operationssst.com]

Dans ce monde où la production se doit d’être efficace et sécuritaire, comment  sécuriser l’interaction entre l’humain et la machine ? Telle est la question, et la réponse peut sauver des vies.

Depuis que l’humain a découvert la roue, il n’a cessé de complexifier la machine afin de se simplifier la vie et de gagner en efficacité. Aujourd’hui, l’interaction entre l’humain et la machine est rendue fort com­plexe et l’humain ne peut plus se passer de la machine tant pour satisfaire ses besoins que pour assurer le niveau de confort qu’il a tant recherché.

Lorsque l’on aborde le thème de la préven­tion des accidents en regard de la relation entre l’humain et la machine, deux activités de prévention et de contrôle des risques vien­nent à l’esprit : le cadenassage et la sécurisa­tion des machines. Ces deux programmes sont bien connus de la plupart des employeurs, car la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) en fait la promotion depuis plusieurs années. De plus, une politique de tolérance zéro s’ap­plique face à ces dangers.

Le cadenassage

La maitrise des énergies dangereuses associées aux machines, via les procédures de cadenassage adéquates, permet aux mécaniciens d’avoir accès au cœur de la machine en toute sécurité. Cela leur garantit que toutes les énergies sont à zéro et empêche toute libération d’énergie intempestive lors des travaux de réparation et de maintenance. Cela est aussi rendu nécessaire lors des opérations de nettoyage ou de déblocage nécessitant un démantèlement, même partiel, d’éléments de la machine ou lorsque des éléments de protection sont rendus inefficaces ou enlevés lors de certains travaux.

Ce sont les articles 188.1 à 188.13 du Règle­ment sur la santé et la sécurité du travail (RSST) (1) et 2.20.1  à 2.20.14  du Code de sécurité pour les travaux de construction (2) qui définissent les obligations de l’employeur et qui dictent les règles à suivre. D’autre part, la norme CSA Z460­F13 — Maîtrise des éner­gies dangereuses : Cadenassage et autres méthodes (3) décrivent les bonnes pratiques à adopter.

La sécurité des machines

Lorsqu’on souhaite assurer la sécurité des opérateurs d’une machine en cours de production, il faut tout d’abord procéder à la suppression des phénomènes dangereux,  notamment d’origines mécanique, pneumatique et hydraulique. Pour ce faire, il est  nécessaire d’éliminer tout accès aux pièces en mouvement, mettre en place des  protecteurs ou des dispositifs de protection pour contrôler l’accès à ces pièces durant
son fonctionnement.

La section XXI du RSST définit les obligations de l’employeur. Il est possible de consulter les rè­gles de l’art définies par la norme CSA Z 432­F16 — Protection des machines (4).

Les risques résiduels insoupçonnés

L’implantation de ces deux programmes de prévention est-elle suffisante pour assurer la sécurité des travailleurs utilisant les machines ? Demeure-t-il des risques, même si les pièces en mouvement sont inaccessibles ? Est-ce que les procédures de cadenassage tiennent compte de tous les moyens d’interaction avec la machine ?

Les risques électriques

La plupart des machines sont pourvues d’un réseau électrique et parfois d’un réseau pneumatique ou hydraulique. Les risques liés à l’électricité sont de différentes natures et ne doivent pas être négligés. Ceux-ci découlent d’une situation dangereuse où un travailleur fait un contact électrique, direct, indirect ou par arcs électriques avec  une pièce de l’équipement électrifiée ou un fil sous tension mal isolé. Dans ce cas, il y a un risque d’électrisation, d’électrocution ou de brulure.

Bien que la machine possède des gardes conformes et des fiches de cadenassage adé­quates, il ne faut pas négliger les risques que représente l’électrification de l’équipement. Un filage inadéquat ou endommagé, une mauvaise mise à la terre, une charge des circuits ou une mauvaise planification de l’utilisation de l’élec­tricité peut devenir fatal pour un utilisateur.

Afin de détecter les risques électriques, un programme d’inspection de l’équipement est nécessaire. Un tel programme est différent du programme général d’inspection des lieux de travail. Il nécessite  l’observation détaillée de l’équipement. Celui­-ci doit être observé à la loupe, et cela plusieurs fois par année. Le main­tien à jour du programme d’entretien préventif est aussi un bon moyen de prévention.

Afin de supprimer les risques électriques, il est préférable de prendre des mesures de protection à la source en supprimant le risque. Si cela n’est pas possible, il faudra alors placer un isolant ou obstacle électrique entre le tra­vailleur et le risque électrique. Il faut toujours réparer immédiatement un équipement défec­tueux ou le débrancher en permanence. Si on a recours à l’équipement de protection indivi­duelle (ÉPI) pour la protection du travailleur, il faut se rappeler qu’un risque électrique de­meure et il est nécessaire de prendre les mesures de sécurité requises pour les autres travailleurs dans le secteur.

La règlementation exige que tout équipe­ment électrique soit maintenu en bon état de fonctionnement et sécuritaire. L’employeur doit évidemment fournir et expliquer les procédures de travail aux employés avant le début du travail sur de l’équipement sous tension ou près de lui.

La norme CSA Z462­F15 — Sécurité élec­trique dans les milieux de travail (5) et la norme CSA Z462­F18 — Sécurité en matière d’électricité au travail (6), qui va bientôt pa­raitre, donneront plus d’indications à ce sujet.

L’Interface Humain-Machine

Un aspect fort méconnu et souvent négligé de la sécurisation des machines est l’analyse de risque concernant ce qu’on appelle en ingénierie l’Interface Humain-Machine (IHM). Cette interface représente les moyens et outils mis en œuvre afin qu’un humain puisse contrôler et communiquer avec une machine. C’est l’IHM qui permet aux opérateurs et superviseurs  de coordonner, diriger, contrôler et super viser les processus industriels et manufacturiers dans les usines.

Ainsi, sécuriser les machines est souvent plus complexe que l’on peut l’imaginer. En effet, les nouvelles technologies de l’information permettent maintenant, grâce à l’IHM de contrôler les lignes de production à distance à l’aide d’éléments de contrôle distincts de la machine. Je fais référence ici à l’utilisation d’une tablette électronique, d’un téléphone ou d’un tableau de bord hors site. Ces applica­tions permettent, à distance, des départs intempestifs et des changements de statut dans le procédé, ce qui peut causer des situations lourdes de conséquences.

Les autres moyens de prévention

Existe-t-il d’autres activités de prévention pouvant améliorer la relation entre l’Humain et sa machine ? Comment tenir compte des facteurs ergonomiques ? Les méthodes de travail sont-elles adéquates ? L’analyse complète du risque visant à sécu­riser cette relation entre l’Humain et la ma­chine et à déterminer les moyens de prévention qui en découleront doivent tenir compte de trois grands facteurs indissociables : le facteur humain et les comportements qui s’y ratta­chent, la technologie utilisée et l’organisation et les méthodes de travail.

 

Avant d’aborder la notion d’analyse des postes de travail, il est indiqué de se demander ce qu’il représente.

Un poste de travail est le lieu dans lequel une personne dispose de ressources matérielles lui permettant d’effectuer son travail. Il met l’opérateur face aux commandes des machines qui réalisent le processus de fabrication. On parle alors de l’humain face à la machine ou de
l’humain face au procédé.

Ici, nous voyons apparaitre le facteur hu­main dans sa relation avec la machine. Analyser les postes de travail consiste donc à examiner chaque catégorie de poste, en faire l’analyse en considérant la réaction de l’humain à son poste de travail, afin de dresser un bilan des risques qu’ils représentent. Cela permettra de planifier des actions de prévention adéquates. Elle im­plique évidemment de rencontrer les différents employés qui y travaillent.

Cette étude permet la génération de fiches propres à chaque poste où seront décrits les diverses opérations effectuées, les risques po­tentiels qui y sont associés ainsi que les mesures de prévention ou de contrôle à appliquer. On y inclut la description des outils, produits et contaminants présents ainsi que les équipe­ments de protection individuelle (ÉPI) requis. Parfois on y retrouve les liens pertinents avec la formation ou la règlementation s’appliquant à ce poste de travail.

Une fois l’analyse de tous les postes com­plétée, nous obtiendrons l’inventaire des tâ­ches exécutées par poste de travail. Cela a pour avantage de permettre de déceler rapi­dement les tâches à risque. À l’aide d’une matrice décisionnelle de priorisation des tâ­ches, il est possible de quantifier ce risque. Ceci nous conduit à nous interroger sur les analyses sécuritaires de tâches.

Analyse sécuritaire des tâches

Une analyse sécuritaire d’une tâche (AST) à risque est l’étude cartésienne et complète de la façon d’exécuter celle-ci afin de la rendre pleinement sécuritaire. Elle tient compte de la séquence d’opération, des équipements utilisés, des méthodes de travail et des éléments d’incertitude devant être analysés avant chacune des opérations.

En se basant sur l’observation du mode opé­ratoire, sur les causes reconnues d’accidents et sur l’expérience personnelle des opérateurs, chaque étape fondamentale, chaque opération de la tâche est soigneusement examinée de façon à repérer les risques inhérents et déterminer le moyen le plus sûr d’effectuer celle­ci. L’AST précise généralement les outils à utiliser, les précautions à prendre avant de débuter la tâche, les ÉPI et la formation requise si nécessaire.

La meilleure AST est évidemment celle conçue pour être dynamique. Elle permet alors à l’exécutant de conclure l’analyse par ses observations avant d’entreprendre quotidiennement sa tâche. Ceci ne prend que quelques minutes, mais peut sauver des vies.

Inspection, Observation, Achat

Peu importe l’effort entrepris pour sécuriser nos parcs industriels et améliorer nos méthodes de travail, ceux-ci resteront vains si nous ne prenons pas soin de maintenir nos acquis. Que ce soit en implantant un programme efficace d’inspection régulière de nos équipements ou un programme d’observations des tâches, l’important est de demeurer
proactif dans la façon d’aborder la prévention des risques.

Être proactif, c’est aussi de bien s’assurer que l’achat de nouveaux équipements soit effectué selon des critères de sécurité bien établis. Ceux-­ci devraient être appliqués à tous les achats qui peuvent avoir un impact sur la SST des travailleurs. Il est aussi recommandé d’éta­blir une procédure définissant les exigences de sécurité et décrivant les dispositions à mettre en œuvre pour intégrer la sécurité lors de la passation d’un acte d’achat.

Conclusion

Il est vrai que pour être compétitives, les entreprises de demain se doivent de privilégier
des organisations de travail facilitant la réactivité et la flexibilité et parfois le travail en juste à temps. Il n’en demeure pas moins que les procédés industriels se doivent d’être
aptes à assurer leurs fonctions sans exposer les travailleurs à des risques.

La sécurisation de la relation de l’humain face à sa machine est la capacité de rendre celle­-ci apte à accomplir sa fonction de production, incluant sa mise au point et son entretien, dans les conditions d’utilisation normale sans causer de lésion ou d’atteinte à la santé ou à la sécurité d’un travailleur. Or, la notion de sécurité fait partie intégrante du travail et ne peut pas être considérée à part sans tenir compte du facteur humain et des contraintes de l’organisation. C’est pour cela que l’analyse de risque doit tenir compte de trois grands facteurs indisso­ciables : le facteur humain et les comporte­ments qui s’y rattachent, la technologie utilisée et l’organisation et les méthodes de travail.

Cela exige des modes de coopération et de communication plus ouverts entre les divers
acteurs et une valorisation plus importante du travail humain en face de la machine.

L’approche de prévention systémique te­nant compte de la relation humain­-machine se situe à un juste milieu entre les deux autres approches classiques. La première, retrouvée dans plusieurs entreprises et que j’appellerais technocentrée se limite presque exclusivement
à l’implantation du cadenassage et la sécurisa­tion des machines. L’autre que j’appellerais anthropocentrée tend à attribuer les causes des accidents presque qu’exclusivement aux mau­vais comportements humains.

L’approche systémique se centre sur l’inter­action entre l’humain et la machine en prenant en compte de l’aspect technique, de l’aspect comportemental, mais, également de l’aspect organisationnel et opérationnel de ce couplage entre l’humain et la machine.

Et si adopter cette approche pouvait sauver des vies…


Références bibliographiques

1. [http ://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/showdoc/cr/S-2.1, % 20r.%2013]
2. [http ://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/showdoc/cr/S-2.1, % 20r.%204]
3. [https : //store.csagroup.org/ccrz__ProductDetails ?viewState=DetailView&cartID=&sku=Z46013&isCSRFlow=true&portalUser=&store=&cclcl=fr&gclid=EAIaIQobChMIzMqe55yI3AIV1VuGCh0FCwyGEAAYASAAEgKNTvD_BwE]
4. [https : //www.interventionprevention.com/changements_2016_norme_csaz432/]
5. [https : //store.csagroup.org/ccrz__ProductDetails ?viewState=DetailView&cartID=&sku=Z462-18&isCSRFlow=true&portalUser=&store=&cclcl=fr&gclid=EAIaIQobChMIm6GPzJ6I3AIVSluGCh3rKwswEAAYASAAEgLfcvD_BwE]
6. [https://store.csagroup.org/ccrz__HomePageCartId=&isCSRFlow=true&portalUser=&store=&cclc=fr&gclid=EAIaIQobChMI1cOj56I3AIVxWSGCh2C6AAREAAYASAAEgJGwvD_BwE]