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GESTION SST

Complaisance au travail

Kathleen Côté1

Les problématiques du monde du travail accroissent les défis pour le professionnel de la SST.

Si, jusqu’à nos jours, la prévention était da­vantage pratiquée sous l’angle de l’hygiène industrielle et de la sécurité machine, c’est plutôt la santé psychologique, le bienêtre au travail ainsi que la communication et la cul­ture d’entreprise qui sont présentement source de préoccupation.

Le texte est inspiré d’un fait vécu par un con­frère de travail. Quand j’ai rencontré Monsieur Sécurité en novembre dernier, c’était parce qu’il avait besoin d’une oreille attentive. Il voulait se confier sur ses difficultés vécues dans le cadre de son travail. En sirotant son doux café au lait, Monsieur Sécurité m’a tout bonnement balancé :
si seulement j’avais su quitter son bureau à temps. Après tout, j’en avais que pour quelques minutes. C’était simple. Me limiter à parler d’équipement de protection individuelle (ÉPI). Ces ÉPI. J’ai juste besoin de savoir où se trouve cet ÉPI et de savoir s’il
est certifié annuellement. Juste parler de formalités. Mais non, ce jour-là, on a parlé beaucoup plus que de cet ÉPI. On a d’ailleurs trop parlé.

Je n’étais pas certain de comprendre l’essence de son message. Parler de quoi ? Et à qui ? Où voulait-­il en venir ? Impatiente, je lui demande promptement à quoi il faisait référence au juste. Il se comprenait bien sûr, car il parlait avec émotion comme seul un grand émotif  peut le faire. Il m’explique la situation. Deux semaines auparavant, il s’était présenté  devant son directeur pour lui demander où se trouvait l’appareil de protection respiratoire. Ce dernier, au lieu de répondre à la simple question, lui aurait plutôt répondu : tu poses trop de questions. Je sais que tu es compétent. Sauf que personne ne va t’aider justement. On ne veut pas savoir. Comprends-tu ? La complaisance. Tu ne te feras pas d’amis ici en posant trop de questions.

La complaisance et le professionnel

Le couperet est tombé. Un mot, un déclic, une onde de choc. La complaisance. Cette façon de laisser croire que tout est beau. Ce poison de la SST. La chronique d’une mort annoncée. Quel est le remède contre la complaisance ? Pourtant, on dit que nous sommes les agents de changement. Ces petits vents de fraicheur qui vont changer le monde. Ces personnes farfelues qui, grâce à leurs compétences, peuvent réunir tous ces gens pour discuter, trouver des solutions et les appliquer quasi dans la joie. Des vraies émules d’amélioration continue émancipées. On a juste à relever les occasions d’amélioration du processus et, comme par magie, on obtient des résultats mesurables et durables. Puisque plusieurs tribunes réfèrent à des recettes miracles de succès en moins de dix étapes,
comment ne pas réussir à surmonter tous les obstacles nous aussi ? Le professionnel se retrouvera, une fois de plus, confronté à son système de valeurs. Vouloir trouver du sens à ce que l’on fait, refuser l’indifférence et la médiocrité, bref, refuser la complaisance.  Comment conserver le moral sans accuser le coup ? Reste que mon ami Monsieur Sécurité,
malgré son air débiné, a reçu une belle confidence de la part de ce directeur. Il a eu l’occasion non seulement de parler de la culture de l’entreprise, mais d’avoir identifié, comme si de rien n’était, un allié dans sa quête d’une culture santé et sécurité préventive.
Son discours était, à mon avis, une forme d’appel à l’aide de ce directeur qui avait essayé plusieurs stratégies pour apporter des changements au sein de ses équipes de travailleurs et de superviseurs.

L’ombre et l’entreprise

Combien de professionnels se sentent pris au piège au fait ? Trop de fois j’ai entendu le cas de ces Messieurs ou Mesdames Sécurité auxquels on demande gentiment de fermer les  yeux durant une manœuvre que l’on sait pertinemment non sécuritaire. Et que dire de celui ou de celle qui, courageusement, refusa  puis, quelque temps plus tard, nous apprirent leur départ supposé volontaire ? Je sais, le sujet est tabou que de parler du côté sombre de la profession. Justement, la culture SST peut, elle aussi, se retrouver du côté obscur de la force. En psychologie, Carl Jung parlait d’ombre. L’ombre c’est la somme des aspects de la personnalité refoulés ou ignorés que l’éducation et la société ont refusé de mettre en valeur. L’ombre peut même se retrouver au niveau de l’entreprise. Qu’est-ce que l’entreprise a essayé de montrer comme image d’elle-même ? Mais que fait-elle en réalité ?
• Nous serons les meilleurs en SST à St­-Clin-­Clin-­Des-­Meuh-­Meuh, mais je n’octroierai aucune ressource ni budget pour ton département.
• La SST c’est important chez nous, mais pas pour nos directeurs qui eux, auront des passe­droits.
• La SST c’est grâce à la collaboration et la participation de tous, mais je vais engager un directeur SST pour parler seulement avec des directeurs, au diable la populace.

Un peu comme ces superviseurs qui cherchent à trouver des coupables. Oh ! Je voulais dire des causes fondamentales, lors d’une enquête ana­lyse accident. Le double discours. Faites ce que je dis, pas ce que je fais. La complaisance s’ins­talle. Le sarcasme aussi. Cependant, l’entreprise doit évoluer, ainsi que ses travailleurs, dirigeants et professionnels SST qui devront survivre à cette nouvelle ère du travail qu’est la VICA (Volatile­-Incertain­-Complexe-­Ambiguë).

La collaboration

Or, pour tendre vers une culture SST qui sera, souhaitons-le, positive, on devra miser sur la
collaboration au sein d’une équipe de travail et entre les différents services. Aller chercher ce côté lumière de l’entreprise. Collaborer, c’est le désir de travailler ensemble dans le même sens. La collaboration demande, bien entendu, du temps et des efforts. C’est prendre le temps de réfléchir pour mieux arriver à sa destination. Ceci demande que les travailleurs et employeurs mettent de côté leurs intérêts personnels, leur agenda caché à un certain point, pour le bien commun. Les jeux politiques vont porter atteinte à coup sûr aux efforts de collaboration. Cependant, dans un milieu de travail compétitif, la collaboration peut ne pas être encouragée. En effet, on ne verra pas les avantages à collaborer par crainte que le pouvoir soit dilué par exemple (1).

Dans le cas de mon ami Monsieur Sécurité, la culture en place est une culture du blâme. Cette mentalité veut que l’accident ait été causé par une personne fautive. Dans ce type de culture, les employés seront enclins à dire que les équipements sont désuets, que les conditions de travail sont pénibles, que les ré­parations tardent ou sont carrément ignorées par la direction. Bref, chacune des parties blâme l’autre de son malheur et l’on se retrouve devant un dialogue de sourds (2). Les travail­leurs et l’employeur voient en la sécurité un mal nécessaire (3). Dans ce type de culture, la sécurité repose sur les épaules du professionnel SST, car les autres s’en sont déresponsabilisés. Pour faire évoluer cette culture, ça prend un électrochoc, un sacré coup de pouce et une volonté réelle de la haute direction pour faire bouger les choses. Avec une culture de blâme, il est difficile d’obtenir la collaboration du per­sonnel vers le but commun qu’est la réduction des accidents.

Piste de réflexion

La bonne volonté, les efforts consentis, l’énergie déployée se révèleraient-ils mal investis si le professionnel de la SST est le seul à vouloir collaborer ? Et comment bâtir une culture gagnante dans un contexte organisationnel en perpétuel changement et de moins en moins solidaire et engagé ? Si j’avais un conseil à formuler à Monsieur Sécurité, ce serait ceci : si tu es le seul à embrasser le changement, que tu ne possèdes pas l’appui de ta direction
et qu’il ne semble pas y avoir une amélioration dans une perspective à moyen ou long terme, il y aurait lieu de reconsidérer cet emploi.


1 – Kathleen Côté – CRSP, CRHA, D.É.S.S. SST, CHARGÉE DE COURS UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL [Kathleen.cote1@umontreal.ca] 

Références

  1. Gibeault, G., Gauthey, O., Bernard, X., Les clés de la santé et de la sécurité au travail-Principes et méthodes de management, Éditions AFNOR, 336 p, mai 2014.
  2. Rondeau, A., Transformer l’organisation. Comprendre les forces qui façonnent l’organisation et le travail, Revue Gestion, Volume 24, Numéro 3, automne 1999.
  3. Côté, K., Nous sommes ce mal nécessaire, Travail et santé, Volume 33 No 1, Mars 2017.

Autres références
• Poitras, J. Gosselin, A., Bâtir une culture de collaboration, Revue Effectif, septembre/octobre 2015.
• Jacob, R., Auger, C. Différents contextes, différentes pratiques la mise en œuvre de la collaboration organisationnelle, Gestion, 40(3), 72-77, 2015.
• Bareil, C., Modèle diagnostique des phases de préoccupations : une approche utile dans la gestion des changements. [https : //www.usherbrooke.ca/psychologie/fileadmin/sites/ psychologie/espace-etudiant/Revue_Interactions/Volume_3_no_1-2/V3N1-2_BAREIL_Celine_p169-182.pdf]