GUIDE DE SURVIE des nouveaux praticiens en SST


GUIDE DE SURVIE des nouveaux praticiens en SST

Lors d’une récente activité de réseautage du Réseau d’Échange en Santé, Sécurité et Environnement (RÉSSE), Monsieur Millet, le rédacteur en chef de Travail et santé, m’a lancé tout bonnement devant tout le monde : « Hey, Kathleen, j’attends toujours ton article ! » Ah oui ? Un article ? Mais sur quoi ?

Kathleen Côté

Bon, est-ce que je me suis encore embarquée dans quelque chose sans m’en souvenir ? Puis, voilà que s’actionne cette souris dans ma tête : comment trouver un sujet digne d’intérêt ? Comment cibler mon public ? Comment combiner cette demande à mon agenda déjà très chargé? Comment ne pas décevoir mes confrères, etc. ? Une fois cette crise d’anxiété existentielle du moment disparue, me vient enfin une idée de sujet d’une simplicité déconcertante. Eh bien voilà, quoi de mieux que de parler d’anecdotes et de parcours vécus par différents professionnels de la SST ? En effet, en réseautant (depuis plus d’un an déjà) avec d’autres professionnels et avec de nombreux finissants, je suis toujours surprise de constater à quel point notre profession est riche en anecdotes qu’elles soient rigolotes ou moins. Oh oui, avant de continuer plus loin, je me dois cette petite mise
en garde pour que vous puissiez survivre à ma chronique: humilité et humour sarcastique
colorent cette « farfelue » que je suis. Sans être une vérité absolue, pardonnez-moi si j’ai péché, mais loin de moi tous les dogmes ou encore les censures. Vive l’autodérision et la critique constructive.

Choisir son programme en SST

D’abord, qu’est-ce qui fait que vous avez choisi ce métier plutôt qu’un autre? Saviez-vous dans quelle galère vous vous étiez engagés en étudiant la SST? Est-ce qu’à l’école, on vous a vraiment décrit ce que faisait un conseiller ou un coordonnateur ou un spécialiste sur le marché? Peut-être les plus conscientisés d’entre nous ont pris la peine de s’informer sur les différents programmes offerts dans les universités. D’autres ont probablement sélectionné leur programme sur la base d’employabilité et du taux de placements affichés (et non réels) ce qui est noble soit, mais qui pourrait créer des surprises et des déceptions. D’autres, plus stratégiques, ont probablement sélectionné un programme pour sa «facilité » réelle ou supputée dépendamment de l’institution choisie – et oui, un même nom de programme ne signifie pas le même niveau de difficulté. D’autres ont, quant à eux, peut-être eu ou connu un proche qui a subi un accident du travail, ce qui a bousculé leur vie et ont décidé de dédier la leur aux autres. Peu importe votre motivation au départ, il n’en reste pas moins que si l’école vous a outillé de connaissances légales et techniques, dans la vraie vie, les choses sont un peu plus compliquées… Et la formation doit être déterminée selon l’orientation professionnelle que vous souhaitez.

Un profil d’études en gestion de la SST n’est pas adapté pour un travail de préventionniste. Au même titre qu’une formation de second cycle en SST alors que vous possédez très peu ou pas d’expérience professionnelle dans le domaine ne fait pas de vous un gestionnaire crédible ou compétent malgré vos ambitions dignes de Napoléon ou encore de votre talent de « leadeur naturel ». Que dire de la LATMP et de sa gestion de la réclamation…hummm est-ce vraiment de la SST ? Si votre motivation au départ était de prévenir des accidents et d’aider les autres, je vous assure que cette filière n’est pas pour vous. Mais si vous êtes un brin masochiste et que vous aimez vous faire insulter, ne cherchez pas plus loin, un travailleur accidenté dont le dossier de réclamation a été refusé peut si vite vous faire des menaces de mort sous le coup de l’émotion. Et ne pas penser d’office que votre employeur prendra la menace au sérieux : « mais non, ce n’est pas sérieux, y fera
pas ça, bla, bla, bla pour se justifier d’une non-intervention » jusqu’au jour où ce même travailleur décide de vous prendre à part dans le stationnement. Vous pensez que j’exagère ? Pas du tout, ce sont malheureusement, les risques du métier.

Les emplois en SST

Trouver un emploi après ses études ce n’est pas une mince tâche. Combien d’offres d’emploi demandent un candidat avec un minimum de 3 à 5 années d’expérience ? En réalité il faut bien commencer quelque part, mais il y a très peu d’offre de stage ou de poste dit basique, alors comment allez-vous bâtir votre expérience ? Qu’on se le dise, si un employeur vous engage et que vous n’aviez pas répondu aux critères de sélection de base c’est soit :
• il n’a pas reçu beaucoup de candidats pour le poste;
• le salaire et les bénéfices sont ridicules ce qui explique que les autres candidats se sont
retirés;
• que l’entreprise a mauvaise réputation, mais que le recruteur/chasseur de têtes n’a pas
voulu vous le confirmer, car il reçoit sa prime basée sur votre placement et, après tout, c’est à vous de vérifier ça avant d’être engagé;
• il y a tellement de travail à faire que vous serez cloués au boulot jour, soir, nuit et fin de semaine alors que vous serez le seul à vouloir vous sacrifier pour la cause de l’entreprise (un truc pour décoder le non-dit d’une charge de travail démentielle qui vous attend: recherchons candidat dynamique et autonome à la recherche de défis);
• il n’a aucune idée de ce qu’il recherche, en fait la SST est une exigence règlementaire pour satisfaire ses clients puis avant même votre embauche, on savait que vous occuperiez un siège éjectable (un autre truc, si vous êtes le 4 ou 5e en poste sur une période de moins de 3 ans, c’est probablement que vous finirez comme tous les autres avant vous, les
dés étant pipés d’avance alors que ce n’est pas votre poste le problème);
• le gestionnaire en place ne craint pas de se faire tasser par vous qui êtes juste un green et qu’il aspire ainsi à démontrer sa supériorité.

En résumé, il y a de fortes chances que votre premier emploi ne soit pas à la hauteur de vos attentes ni que votre employeur ne soit pas digne de mention. Par contre, comme dirait le père de Calvin (Calvin et Hobbes) : «Ça forge le caractère! »

Médisances, cancans, et autres bavardages

Vous avez survécu à votre formation et à votre premier emploi. Bravo ! Vous êtes dans la bonne voie. Si vouloir aider votre prochain à prendre soin de sa santé et sécurité — et de celle des autres — est toujours votre mission, ne lâchez pas. N’oubliez pas qu’il faut être un brin masochiste pour exercer ce métier comme je vous le précisais précédemment.
Cependant, une autre épreuve que vous devrez subir et dont on ne vous a jamais parlé est celle d’avoir à survivre à votre environnement, parfois hostile à votre présence. Hey ! Vous devez implanter le changement, inspirer des autres à adhérer à votre philosophie, les convaincre du bienfondé de porter un casque alors qu’il n’y a aucune chute d’objet possible ou de risque de blessure à la tête dans leur environnement de travail. Bref, vous seul êtes le superhéros de leur bienêtre, le vent de fraicheur dans cette jungle du danger imminent, le sauveur qui fera en sorte que vous atteindrez l’objectif du zéro accident non pas parce que vous avez joué sur la classification des accidents selon OSHA, mais bel et bien parce que, grâce à vous, ils ont enfin compris que la SST c’était du sérieux. Citation célèbre de Spider-man : à grand pouvoir, grandes responsabilités. Je rajouterais ceci : à grand pouvoir, grandes responsabilités et une plus grande exposition à la médisance, aux cancans, et autres bavardages de tout genre. Après tout, on doit bien trouver une façon de diviser pour mieux régner ou encore de mieux vous discréditer pour continuer les entourloupes et améliorer la productivité. Vous donnez des conseils à vos travailleurs ? Vous êtes maternante. Vous appliquez la nouvelle procédure de travail sécuritaire ? Vous ne respectez pas les règles du Québec ou ça prend 10 minutes pour compléter une inspection d’un harnais. Vous portez des talons hauts et une jupe au travail alors que vous n’allez pas sur le terrain immédiatement (parce que oui, on fait aussi du travail administratif des fois) et vous passez des candidats en entrevue ? Vous n’êtes pas une vraie professionnelle. Votre superviseur s’est fait virer peu après votre embauche alors que vous, vous êtes restée en poste ? Vous êtes suspectée d’avoir vos entrées avec le VPO. Vous avez démissionné, car vous n’en pouviez plus du jeune nouveau carriériste qui s’amusait à ternir votre réputation pour accéder à votre poste alors que tous savaient, mais qu’on a rien fait pour régler le conflit de travail ? Vous êtes une menteuse, une fouteuse de troubles et une jalouse. On vous a renvoyé sous le motif d’un manque d’autonomie ? C’est parce que vous êtes de connivence avec la CNESST et le CSS dans vos interventions. Vous avez des reproches parce que le changement n’est pas implanté rapidement, mais l’entreprise n’ayant pas déployé les ressources pour vous aider ? C’est parce que vous n’êtes pas capable de communiquer le changement. La liste pourrait s’allonger encore et encore avec tout ce que j’ai personnellement vécu et/ou entendu de la part de mes confrères. Bienvenue dans le monde des coups bas, de la négociation, des relations de travail saines ou moins, du relationnel, de la perception, des ouï-dire et de la confrontation. Je reviens sur la notion de compétences techniques apprises à l’école. Elles ne vous seront que de peu d’utilité si vous n’êtes pas capable de rester fidèle à vos principes, si vous ne restez pas authentique et si vous n’êtes pas capable de comprendre les jeux politiques.

Résumé: pour continuer dans ce métier, il faut avoir des convictions solides et profondes. Si vous ne croyez pas en vous, que vous vous laissez facilement manipuler par les autres, que vous avez des ambitions en contradiction avec le fondement même de votre métier, il est fort à parier que vous ne resterez pas longtemps dans le domaine et que vous allez vous réorientez. Mon actuelle patronne me rapporte souvent ces paroles : « seuls les plus forts restent et il ne faut rien prendre personnel ». Paroles sages et justes. Et personne ne vous le dira, mais le taux de burnouts dans la profession est élevé et la rétention du personnel est faible.

Enfin, je termine en soulignant que ce texte ne reflète que mon opinion personnelle et ne représente pas celle de l’éditeur.