Interprétation du terme « ÉVITER »


Interprétation du terme « ÉVITER »

Lorsqu’un travailleur se voit émettre des limitations fonctionnelles par un médecin, le terme « éviter » est souvent utilisé pour restreindre certaines activités de travail. Mais comment interpréter ce terme « éviter »?

Lucie Dupont
Marcos Paradis

Lors d’une analyse de poste de travail en relation avec des limitations fonctionnelles, l’évaluateur est souvent amené à interpréter la pensée du médecin qui les a émises puisqu’il peut y avoir plusieurs sens à ce terme.

Comme il est souvent difficile de contacter le médecin ayant émis la limitation fonctionnelle pour obtenir des précisions, il devient alors très important que l’évaluateur effectue des recherches approfondies. Ces recherches devraient porter sur les facteurs de risques propres à chaque situation, sur les décisions de la Commission des lésions professionnelles (CLP) et sur les décisions du Tribunal administratif du travail (TAT) qui remplace maintenant la CLP.

Selon les décisions récentes, il y a deux interprétations possibles du verbe « éviter ». Une première interprétation est à l’effet que ce terme signifie « ne pas faire » alors que la seconde interprétation estime que cela ne signifie pas une interdiction, mais plutôt que le geste qui doit être évité peut être posé à l’occasion. Selon l’interprétation qui a été effectuée par le tribunal en 2013 (1), il est estimé que le courant de la première interprétation est trop restrictif et qu’il empêche le geste désigné lors des activités personnelles ou professionnelles. La seconde interprétation est alors retenue et un des arguments en faveur de cette interprétation est que le médecin aurait écrit « il est interdit de » s’il voulait que cela signifie « ne pas faire ».

Outre ces deux interprétations les plus courantes, d’autres définitions de ce terme sont utilisées par certains ergothérapeutes ou ergonomes dans leurs rapports. Cette décision de la CLP (2) fait état de la définition suivante :
[24] La CSST produit au dossier le document I-2 qui fait état de la signification du terme « éviter » employé entre autres par les ergothérapeutes dans le cadre d’ana  lyses de postes de travail. Ainsi, selon le Dic tion nary of Occupationnal Titles (DOT) et l’auteur Matheson, le mot « éviter » si gnifie effectuer un geste ou une tâche que rarement, c’est à dire 1 à 6 % d’une journée de travail. Pour un quart de travail de 8 heures, éviter correspond à 28,8 mi nutes. L’expression « ne pas » est synonyme de jamais, donc correspond à une fré quence de 0 % d’une journée de travail.

Ce document (DOT) est cependant une publication désuète produite par le département du travail des États-Unis (« United States Department of Labor ») ayant pour but de faire le lien entre les travailleurs en recherche d’emploi et d’éventuels emplois. Cette publication était utilisée à partir de 1938 jusqu’à la fin des années 1990 et les pourcentages associés ne représentent pas la réalité des travailleurs ayant une lésion. Il n’est donc pas recommandé de baser l’analyse sur cette seule interprétation.

Selon notre expérience, les différentes interprétations du terme « éviter » devraient être ana lysées dans le rapport d’évaluation de poste, chaque cas d’espèce pouvant être différent en fonction de la présence d’autres facteurs de risque.

Si une limitation est à l’effet d’éviter de soulever des charges avec un poids défini suite à une rupture de la coiffe des rotateurs de l’épaule, l’évaluateur devrait effectuer une recherche sur les facteurs de risques à considérer. Dans ce cas-ci, il faudrait tenir compte de la distance entre la charge et le corps, le lieu de prise et de dépôt, l’amplitude de l’épaule, le poids de la charge, la fréquence de manutention, etc.

Par exemple, pour une limitation à l’épaule indiquant d’éviter de soulever des charges de plus de 5 kg et qu’en milieu de travail la personne blessée doit transporter une charge de 6 kg une fois par semaine, à la hauteur de la taille et près du corps tout en maintenant l’épaule en position neutre, il n’y aurait pas de facteur de risque supplémentaire. Il serait tout à fait plausible de considérer l’interprétation plus large du terme « éviter » et de conclure que la limitation de 5 kg serait respectée. Par contre, si une charge de 25 kg doit être soulevée une fois par semaine, à bout de bras et avec une amplitude de flexion de l’épaule de plus de 90 °, il serait plus prudent de retenir l’interprétation plus stricte du terme « éviter ». Le travailleur ne pourrait donc pas du tout effectuer cette activité et il faudrait considérer que la limitation n’est pas respectée en raison de l’accumulation de facteurs de risque. En effet, rappelons que les limitations ont pour but de permettre un retour au travail sécuritaire, sans risque d’aggraver la lésion.

En conclusion, il est donc primordial que l’évaluateur adopte une démarche d’analyse rigoureuse lors de l’interprétation de chaque terme utilisé dans le libellé des limitations fonctionnelles, car les conclusions du rapport peuvent avoir un impact très important pour le travailleur et l’employeur. Le terme « éviter » pourrait être compatible avec un geste ou une activité qui ne fait pas partie des tâches régulières de travail et qui est posé seulement à l’occasion s’il ne comporte pas de facteurs de risque pouvant conduire à une rechute du travailleur blessé. Cela pourrait également être compatible avec un geste ou une activité que le travailleur peut se dispenser de faire grâce à l’utilisation d’un outil ou d’une méthode de travail particulière.