Interventions en espace clos


Interventions en espace clos

Malgré les efforts règlementaires et normatifs entrepris au fil des années,  les accidents du travail mortels en espace clos restent une réalité.  Les rapports d’enquête des accidents mortels au Québec entre 1998 et 2011 permettent de prendre du recul par rapport à ces évènements tragiques.

Damien Burlet-Vienney
Yuvin Chinniah
Ali Bahloul
Brigitte Roberge
Au Québec, selon le Règlement sur la santé et la sécurité du travail (RSST), un espace clos est un espace où un travailleur peut pénétrer, mais qui (1) :

• n’est pas un poste de travail;
• a des accès restreints ;
• et présente des risques pour la santé et la sécurité du travailleur.

Les espaces clos les plus courants en industrie sont par exemple les réservoirs, les silos, les cuves, les puits d’accès, les fosses, les égouts, les tuyaux et les citernes. Les entrées en espace clos sont généralement effectuées pour des raisons de maintenance : réparation, inspection, nettoyage, déblocage.

Interventions à risque

Les principaux phénomènes dangereux pour la santé et la sécurité des travailleurs sont les conditions atmosphériques comme les intoxications, asphyxies ou explosions, les risques biologiques comme les bactéries ou les virus, les risques physiques de types mécaniques, électriques, ensevelissement ou chute et, finalement, ergonomiques. Ces risques sont potentiellement graves à cause du confinement, de la ventilation naturelle déficiente et des difficultés d’accès, de sauvetage et de communication.

Le travail en espace clos est une problématique transversale qui concerne à la fois les secteurs municipal, manufacturier, chimique, militaire, agricole ou du transport. La gestion des risques lors des interventions en espace clos est règlementée et normalisée que ce soit au niveau de l’habilitation du personnel, de l’identification des dangers, de la maitrise de l’atmosphère, de la surveillance des entrées ou encore des procédures de sauvetage (1, 2). Tou te fois, malgré les efforts règlementaires et normatifs entrepris au fil des années, les accidents en espace clos restent nombreux. À titre d’exemple, aux États-Unis entre 1992 et 2005, 38 décès sont survenus dans des espaces clos en moyenne chaque année par intoxication ou asphyxie (3). Les accidents liés aux autres risques n’ont pas été comptabilisés. 20% des évènements étudiés ont engendré plusieurs décès.

Mais qu’en est-il au Québec? Que pouvons-nous apprendre des accidents passés ? (4)

Rapports d’accidents au Québec

La base de données de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) a été consultée afin de compiler les accidents du travail mortels en espace clos au Québec entre 1998 et 2011 (5). La CNESST enquête généralement sur tous les accidents mortels au Québec sous sa compétence à l’exclusion des accidents de la route et des agressions. Les 819 rapports d’enquête pour des accidents graves et mortels ayant eu lieu sur la période ciblée ont été consultés. Les rapports liés aux interventions en espace clos ont été sélectionnés en se basant sur la définition d’un espace clos disponible à l’article 1 du RSST.

Bilan

De ces dossiers, 32 rapports d’enquête ont été retenus sur la période ciblée, soit environ 4 % des dossiers disponibles lors de la consultation. Ces évènements ont causé le décès de 40 personnes soit une moyenne de près de trois décès par année. Parmi ces évènements, près de 20 % (6/32) ont entrainé des décès multiples. Trois de ces évènements à décès multiples sont liés à des tentatives de sauvetage, et trois au fait que les travaux étaient réalisés par plusieurs entrants lors de l’incident. Parmi les 40 personnes impliquées lors des accidents, on dénombre deux propriétaires, six gestionnaires, 31 opérateurs/techniciens et une personne extérieure.

La tendance du nombre de décès par année semble toutefois à la baisse puisqu’il y a eu 28 décès entre 1998-2004 puis 12 décès sur le même laps de temps entre 2005-2011 comme le démontre la figure 1.

Facteurs de risque

L’analyse des 32 rapports d’accidents mortels a permis d’identifier certains facteurs qui peuvent s’avérer prépondérants en matière de prévention.

Période de l’année
Les mois de juillet et d’août totalisent 40 % du nombre de décès répertoriés en espace clos au Québec entre 1998 et 2011 alors que ces deux mois représentent moins de 20 % de la période d’étude. Une hypothèse liée à ce phénomène serait que l’été est plus propice pour effectuer des interventions en espace clos que ce soit à cause de conditions climatiques, aux  activités agricoles ou encore aux arrêts de production planifiés.

Types d’accidents
Les types d’accidents en cause lors des décès en espace clos au Québec entre 1998 et 2011 sont détaillés à la figure 2. Sans surprise, les intoxications et asphyxies sont la première cause de décès à savoir 11 cas. Sept décès sont attribuables au sulfure d’hydrogène que l’on retrouve notamment dans le traitement des eaux usées et les fosses agricoles. Les évènements dus à de la machinerie en mouvement viennent juste après avec huit décès. Les phénomènes dangereux tels que les ensevelissements, les chutes en hauteur et les chutes d’objets complètent le portrait.

Si on prend un peu de recul, on se rend compte que les risques dits atmosphériques déjà définis comptent pour un tiers des décès, tandis que les accidents avec des phénomènes dangereux dits physiques comptent pour les deux tiers restants. Les accidents d’origine atmosphérique avec une moyenne de plus  de 1,75 décès par évènement à savoir 14 décès pour huit évènements impliquent plus d’accidents à décès multiples que les accidents d’origine physique qui, pour leur part comprennent 26 décès pour 24 évènements. Le nombre de décès et les décès multiples par intoxication ou asphyxie en espace clos ont tendance à attirer l’attention sur ces dangers. Toutefois, à la vue des accidents mortels répertoriés sur une période de 14 ans au Québec, il convient de recommander que l’analyse et la réduction des risques soient réellement multidisciplinaires afin de mieux traiter la complexité des situations de travail en espace clos.

Secteurs d’activité et type d’espace clos

Le secteur agricole avec les silos, les fosses et les cuves de mélangeurs est le secteur le plus représenté avec environ un tiers des décès.

Les autres secteurs concernés sont notamment:
• la production d’énergie électrique avec les turbines;
• le traitement des eaux usées avec les regards, les stations de pompage et les citernes;
• le secteur des services avec les systèmes de chauffage et de ventilation.

Des accidents ont eu lieu également dans l’industrie de la chimie, des pâtes et papiers et de la fabrication de produits en métal.

Interventions improvisées

L’intervention initiale lors des décès était dans deux tiers des cas pour des travaux de réparation, de dépannage ou de déblocage non planifiés. Des tâches connexes comme l’inspection, la récupération d’objets ou le nettoyage sont aussi significativement représentées.

Dans la plupart des accidents, un problème d’identification des dangers et de sous-évaluation des risques était clairement mentionné dans le rapport d’enquête. Les activités en espace clos étaient improvisées et aucune procédure de travail n’a été appliquée, ce qui en fait un facteur de risque important. Les moyens de réduction du risque étaient par le fait même inadaptés, voire inexistants. Par ailleurs, aucun plan de sauvetage n’était disponible sur les lieux de travail ce qui explique en partie que 15 % des personnes décédées lors des six évènements répertoriés effectuaient une tentative de sauvetage improvisée.

Conception sécuritaire

Un problème au niveau de la conception peut souvent expliquer la cause profonde d’un accident. Concernant les accidents en espace clos recensés, plusieurs problèmes de conception à l’origine des accidents ont pu être regroupés:

• l’accès à l’espace clos est dangereux :
* conception déficiente des moyens pour pénétrer dans l’espace incluant les échelles, et les portes d’accès;
* absence de protection contre les chutes lorsque l’espace clos est ouvert.
• Les points d’intervention comme pour un graissage ou un déblocage ont été conçus à l’intérieur de l’espace clos alors qu’aucune contrainte technique n’empêchait de le faire à l’extérieur.
• L’absence de protecteur pour des zones comportant des dangers mécaniques ou électriques.
• Le système de commande comme les arrêts d’urgence, les capteurs, ou autres automates programmables.
• Les mécanismes pour maitriser les énergies dangereuses à savoir les vannes et les sectionneurs n’ont pas été intégrés à l’équipement dans les règles de l’art afin de maximiser la sécurité des travailleurs.
• Des problèmes structurels au niveau de l’étanchéité, de la ventilation et du réchauffement du grain conduisent à la moisissure de celui-ci, entrainant des difficultés d’écoulement comme des galettes ou des ponts de grains.
• Les conditions de fonctionnement réelles de l’espace clos n’ont pas été prises en compte lors de la conception :
* les températures extérieures qui peuvent créer des congélations à l’intérieur des canalisations l’hiver ;
* le sous-dimensionnement qui conduit à des blocages ou à des bris.

Ces éléments recensés dans les rapports d’accident sont des exemples concrets que les concepteurs d’espace clos devraient prendre en compte afin de prévenir les accidents du travail liés.

Conclusion

Les activités en espace clos lors des accidents mortels étudiés étaient largement improvisées, quels que soient les travaux effectués. Un problème d’identification des dangers et de sous-évaluation des risques a été soulevé à de nombreuses reprises dans les rapports d’accident. De plus, la conception des espaces clos a été déficiente concernant : l’accès à l’espace clos, la localisation du point d’intervention, l’intégration du système de commande et des mécanismes pour maitriser les énergies dangereuses, la protection des zones dangereuses accessibles, l’étanchéité des silos à grain, et la prise en compte des conditions réelles de fonctionnement. Ce bilan illustre bien l’importance d’effectuer avant chaque intervention une gestion des risques structurée, allant de l’identification des dangers jusqu’au choix des moyens de réduction du risque. Enfin, une conception sécuritaire des espaces devrait toujours être le moyen privilégié pour réduire les risques à la source.