FINANCEMENT

L’article 326 et la notion d’obérer

 

Lyse Dumas1

L’embauche d’un travailleur qui omet de mentionner ses limitations fonctionnelles permanentes constitue-t-elle une injustice donnant ouverture à la notion «d’obérer» de l’article 326,2 ?

 

L ’article 326 (1) détermine la règle géné rale d’imputation. Par contre, le deuxième alinéa de cet article stipule que cette règlepeut être modifiée s’il est démontré qu’il y a une injustice du fait d’imputer la réclamation au dossier de l’employeur (2).

[339] Il ressort de ce qui précède qu’en application de l’article 326 de la loi, plusieurs facteurs peuvent être considérés en vue de dé­terminer si l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le cout des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers, soit:
• les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient;

• les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, par exemple les cas de guet­apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, règlementaire ou de l’art;
• les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.

[340] Selon l’espèce, un seul ou plusieurs d’entre eux seront applicables. Les faits particuliers à chaque cas détermineront la pertinence ainsi que l’importance relative de chacun.

Lorsqu’un travailleur omet de déclarer ses limitations fonctionnelles permanentes, la jurisprudence du Tribunal Administratif du Travail (TAT) a déterminé que cela constitue une injustice pour l’employeur qui, s’il avait su, n’aurait fort probablement pas embauché cette personne (3).

La notion d’obérer injustement n’est pas dé­finie par la Loi, mais il est généralement admis que pour obtenir un tel transfert, l’employeur doit démontrer une situation d’injustice, c’est­-à­-dire une situation étrangère aux risques qu’il doit supporter et que les couts attribuables à la situation d’injustice sont significatifs par rapport aux couts découlant de l’accident du travail en cause.

L’omission d’une travailleuse de déclarer, à l’embauche, l’existence de limitations fonctionnelles résultant d’une lésion professionnelle survenue antérieurement chez un autre employeur peut constituer une telle injustice si l’employeur établit, de façon prépondérante, que:
• les limitations fonctionnelles antérieures sont incompatibles avec l’emploi exercé au moment de la lésion professionnelle;
• la travailleuse a délibérément omis de dé­noncer ses limitations fonctionnelles;
• l’employeur n’en avait aucune connaissance avant la survenance de la lésion  professionnelle ;
• l’employeur n’aurait pas embauché la travailleuse s’il avait été informé de ses limitations fonctionnelles;
• la transgression de ses limitations fonctionnelles a joué un rôle dans la survenance de la lésion professionnelle.

Dans une situation semblable, il est reconnu que même si les limitations fonctionnelles n’ont pas d’incidence sur l’accident, le fait que l’employeur n’aurait pas embauché ce travailleur en raison de limitations fonctionnelles incompatibles avec l’emploi constitue l’injustice (4) :

[70] En l’espèce, l’employeur prétend qu’en raison de fausses déclarations du travailleur à l’embauche, il a subi une injustice.

[71] Son raisonnement est à l’effet que s’il avait su, lors de l’embauche, que le travailleur n’avait pas la capacité d’occuper l’emploi de camionneur à la suite d’une lésion professionnelle antérieure, l’employeur ne l’aurait pas embauché et n’aurait donc pas eu à assumer les frais liés à la lésion professionnelle survenue le 6 aout 2007.

[72] Toutefois, la particularité du présent dossier réside dans le fait que les limitations fonctionnelles, dont était porteur le travailleur avant la lésion professionnelle du 21 février 2008, ne sont pas en lien direct avec la lésion subie.


[73] Cependant, il apparait tout de même injuste pour l’employeur d’être exposé à un risque auquel il aurait pu être soustrait, s’il n’avait pas embauché le travailleur.
[…]

[75] Il est vrai que rien ne laisse entendre que la chute qu’a subie le travailleur, le 21 février 2008, soit reliée à la limitation fonctionnelle antérieure dont il est porteur, soit de ne plus conduire ou être passager d’un véhicule lourd sur la route. Néanmoins, si cette limitation fonctionnelle avait été dénoncée à l’employeur dans le cadre du questionnaire préembauche, il est clair que le travailleur ne se serait pas retrouvé au volant d’un camion dé­tenu par l’entreprise et n’aurait pas risqué de se blesser en descendant dudit véhicule.

Conclusion

Il importe donc de démontrer que le travailleur a omis d’informer son nouvel employeur sur ses limitations fonctionnelles et que ces limitations étaient incompatibles avec l’emploi postulé. Une déclaration assermentée de l’employeur à l’effet qu’il n’aurait pas embauché cette personne s’il avait été informé des limitations fonctionnelles permanentes peut être déposée avec une argumentation écrite auprès du Tribunal Administratif du Travail.

 


 

1 – Lyse Dumas – CRIA, DIRECTRICE PRINCIPALE, SANTÉ ET SÉCURITÉ DU TRAVAIL, ACT [ldumas@actsst.com]

Références bibliographiques

    1. Art. 326 de la LATMP.
    2. Tribunal Administratif du Travail, GSF Canada TAT Montréal, 551462-71-1409, 19 avril 2016. [http://t.soquij.ca/x3TSr], vérifié le 11 novembre 2019.
    3. Tribunal Administratif du Travail, IGA Extra Pierre Michaud, TAT Laval, 683970-61-1812, 15 juillet 2019. [https : //soquij.qc.ca/fr], vérifié le 11 novembre 2019.
    4. Transport Bernières inc., C.L.P. 382735-03B-0906, 22 mars 2010.