La maitrise des risques – Cette incomprise


La maitrise des risques – Cette incomprise

La plupart des organisations sont aujourd’hui à l’aise avec le concept d’analyse de risque au sens managérial. Elles ont compris l’utilité d’une telle démarche en termes de planification santé et sécurité du travail et de l’environnement (SSE) sur les plans de la diligence et financier. Toutefois, lorsqu’on scrute leur processus, on s’aperçoit souvent que les moyens de maitrise des risques sont souvent laissés pour compte. On tient pour acquis que les moyens de contrôle sont en place et qu’ils y resteront. Erreur !

Marie Laberge

Dans une perspective de gestion performante en SSE, il s’avère stratégique pour une organisation de compléter la démarche d’analyse de risque selon une approche menant à la maitrise. La maitrise est le concept de gestion qui réfère à la capacité d’une organisation à prévenir les aléas, qu’il s’agisse d’accidents et de maladies professionnelles, de non conformités à une exigence, de nuisances ou tout autre évènement indésirable ou préjudiciable pour l’organisation et les personnes qui la composent. On dépasse ici la notion de contrôle. Et plus le niveau de maitrise d’une organisation est élevé, plus la compréhension des enjeux et des résultats sera considérée intégrée au management.

Dépasser la notion de contrôle

Rappelons que le processus d’analyse de risque consiste à :
• identifier tous les dangers présents dans le milieu de travail, ainsi que les facteurs de risques qui pourraient causer un évènement;
• analyser le risque associé aux dangers ;
• déterminer les moyens de contrôle des dangers en fonction du risque, y compris la maitrise des risques.

L’exercice de détermination des moyens de contrôle s’avère crucial en prévention et ces contrôles sont catégorisés selon leur efficacité. Dans l’ordre, on parlera alors d’élimination du danger comprenant la substitution, les moyens d’ingénierie, administratifs et personnels. Ce qui est important de comprendre à cette étape, c’est que plus le niveau de contrôle des dangers sera efficace, plus le niveau de maitrise anticipé sera élevé. À titre d’exemple, un danger ayant été complètement éliminé nécessitera peu de gestion, tandis qu’un danger ayant fait l’objet d’un moyen de contrôle dit administratif devra être soumis à un ensemble d’actions pour s’assurer qu’il soit toujours efficace dans le temps.

Moyens de maitrise

En gestion de risque, le défi réside donc dans la pérennité des moyens de contrôle des dangers effectifs ou potentiels. En effet, une multitude de facteurs, qu’ils soient humains ou organisationnels, peuvent influencer la fiabilité des moyens de contrôle des dangers définis en analyse de risque. En voici deux exemples typiques qui démontrent la fragilité du processus de gestion de risque et la nécessité d’envisager des moyens de maitrise.

Cas # 1

Une organisation ayant procédé à l’identification des dangers aux cabines de peinture avait déterminé que le meilleur moyen de contrôle du risque d’exposition aux diisocyanates présents dans les peintures était de les éliminer. Ils ont donc substitué le produit de peinture visé par un autre moins nocif. Trois années plus tard, au moment de la révision des exercices d’analyse de risque, ils réalisent qu’une peinture du même type que celle substituée quelques années auparavant est utilisée à l’occasion. Après enquête, ils découvrent qu’un des responsables du secteur a pris la décision d’essayer un produit à la recommandation du fournisseur suite à différents problèmes rencontrés à l’égard de la qualité. On comprend rapidement que cette nouvelle introduction a mis en danger pendant une période non négligeable, les travailleurs dont les moyens de protection personnelle n’étaient plus adaptés à ce nouveau danger ; simples composés organiques volatils vs diisocyanates. Un post mortem leur a permis par ailleurs d’identifier un moyen de maitriser la survenue d’un tel évènement et d’en prévenir bien d’autres. Il s’agit d’une procédure de gestion du changement. Tout le personnel a été informé de cette nouvelle méthode et parmi eux, un certain nombre ont été formés à procéder à une analyse de risque avant changement. Ainsi, qu’il s’agisse d’introduire un nouveau produit, de modifier une machine, d’augmenter ou réduire le personnel, de modifier l’environnement, dorénavant, ces changements font l’objet d’une analyse avant changement. Cet exercice permet alors de déterminer non seulement s’il y a impact sur ce qui est déjà en place, mais s’il y a introduction de nouveaux dangers et par la suite, de décider si oui ou non on va de l’avant et de quelle façon. En plus d’agir sur la prévention des accidents et des maladies professionnelles, cette analyse s’avère un investissement de temps considérant qu’elle évite d’avoir à réparer les pots cassés.

Cas # 2

L’autre cas concerne un programme de mieux-être qu’une organisation a mis en branle il y a de cela à peine deux ans. Les motivations premières pour adhérer à cette démarche étaient certes, de bonifier la qualité de vie au travail et de réduire les couts d’assurances, mais il a été identifié un peu plus tard qu’il pourrait également s’agir d’un argument supplémentaire pour attirer du personnel spécialisé de haut niveau, ressources soumises à une pénurie sur le marché depuis quelques années. On décide alors d’en faire la promotion lors des campagnes de recrutement, ainsi que chez les firmes partenaires de chasseur de tête qui réfèrent allègrement à ce qui est inscrit sur le site Internet à cet égard. Lors d’un épisode plutôt agressif de recrutement, les personnes responsables des entrevues préliminaires constatent qu’elles sont questionnées par la majorité des professionnels sollicités, et ce, à propos du programme de mieux être et de son application au sein de l’entreprise. Prises au dépourvu, elles ne savent quoi répondre et se confondent en explications floues et peu crédibles jusqu’à ce qu’elles soumettent l’enjeu à leur directeur. Force est alors de constater que concrètement, peu de choses ont été faites depuis la décision de mettre en place ledit programme. Les efforts investis ne sont pas à la hauteur des intentions de départ, et le fait d’utiliser cet argument met visiblement l’organisation dans l’embarras et nuit à son image corporative, tout le contraire recherché au point de départ. C’est alors que le décideur en question soumet à nouveau le programme au comité de direction dans le but de réexaminer la décision prise il y a de cela près de deux ans. Allons-nous ou non de l’avant avec ce programme et si oui, comment le mettons-nous en oeuvre?

Maitriser la fiabilité

Ces exemples illustrent bien l’importance de dépasser le simple fait de contrôler un danger, mais d’en maitriser la fiabilité en termes de gestion des aléas effectifs ou potentiels, et ce, peu importe qu’il soit à l’égard des personnes, du matériel ou de l’organisation. Les moyens de maitrise se traduisent en trois catégories :
• moyens de surveillance des contrôles, comme l’inspection des lieux de travail ;
• moyens de réexamen, comme la révision des analyses de risque ;
• moyen de conformité aux décisions, comme la revue de direction.

Plus d’un moyen peut être nécessaire à la maitrise d’un danger. Dans le but de ne pas alourdir le processus de gestion de risque, il est recommandé de traiter la démarche d’analyse de risque dans un tout: identification, analyse et maitrise. On préconisera alors l’utilisation d’un document unique qui inclura toute l’information à un seul endroit, histoire de minimiser le nombre d’interventions nécessaires à l’obtention d’une information complète et qui répond à l’intention soit, celle de protéger et de gérer les risques.

Autres moyens de maitrise

Les cas spécifiés précédemment réfèrent à ce qu’on appelle en langage système, la maitrise opérationnelle et la maitrise organisationnelle. Un troisième niveau de maitrise essentiel est celui de la maitrise documentaire qui se résume par la capacité de l’organisation à fournir de la documentation approuvée, conforme à la réalité, et par conséquent, mise à jour. Et le dernier niveau, mais non le moindre, est celui de la maitrise des enregistrements qui établit les exigences en matière de conservation de la documentation. Mais pourquoi aurions-nous besoin de conserver de la documentation remplacée? Notamment, pour faire la démonstration que ce qui était effectif à une certaine époque était géré conformément à ce qui était applicable. À titre d’exemple, un produit qui aujourd’hui est banni était effectivement utilisé à une période donnée au sein d’une organisation donnée. Toutefois, cette utilisation se faisait dans un cadre documenté et conformément à ce qui était prescrit à cette époque; preuve à l’appui.

Conclusion

La maitrise n’est donc pas un concept utopique. Il s’agit d’une méthode structurée qui permet de capturer les failles au système de gestion qui nuisent à la performance humaine et économique de l’organisation. Ce qui est important de retenir des expériences relatées précédemment, c’est la relation constructive qu’ont ces organisations avec les aléas. Être capable de comprendre sa performance pour consolider les acquis et améliorer ses processus, voilà le point de départ à la maitrise, c’est-à-dire, y aspirer.