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FINANCEMENT

La maladie intercurrente et l’imputation

Lyse Dumas1

Un travailleur qui exerce des tâches en assignation temporaire en raison d’une lésion professionnelle et qui cesse cette assignation temporaire en raison d’une maladie qui n’est pas en lien avec sa lésion, sera indemnisé tout de même par  la CNESST puisque cette dernière est Premier Payeur selon la loi.

L’employeur doit loger une demande au­ près de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) pour demander de créditer les sommes en lien avec l’indemnité qui aura été payée au travailleur durant cette période d’incapacité.

La CNESST avait instauré un moratoire sur toutes les décisions en lien avec les demandes logées conformément aux dispositions de l’ar­ticle 326  dont en autre les maladies intercurrentes, et ce jusqu’à ce que la cause de SUPERVAC 2000 inc. soit entendue.

Cette décision a été finalement rendue et la CNESST a donc recommencé à traiter toutes les demandes des employeurs. Plusieurs déci­sions qui avaient refusé les demandes logées ont été traitées par le Tribunal Administratif du Travail (TAT) en 2018 suite à cette importante décision.

Dans la décision de Supervac 2000, la cour d’appel suggère une interprétation plus large de ce délai et ceci sera repris dans plusieurs dé­cisions (1).

(54) Or, dans la décision rendue par la Cour d’appel dans l’affaire Supervac 2000, la plus haute Cour du Québec suggère des pistes de solution concernant l’interprétation du délai d’un an édicté au troisième alinéa de l’article 326 de la Loi. Elle propose une interprétation 
non littérale de cet article et elle rappelle que la procédure est la servante du droit et non sa maitresse. Elle s’exprime comme suit à ce sujet :

(75) J’ajouterais que la procédure prévue pour bénéficier de l’exception prévue au deuxième alinéa est de peu d’utilité pour déterminer le droit substantif d’un employeur à cette exception. La procédure est la servante du droit et non sa maitresse.

(76) Le délai d’un an n’est pas de rigueur. Il ne court que du jour où le droit à l’exception nait, soit, ici, à compter du congédiement.

(77) Bref, l’interprétation téléologique doit prévaloir sur toute interprétation simplement littérale du deuxième alinéa. (Le Tribunal souligne)

Dans la décision Sécurité­-Policiers Ville de Montréal (1), la juge commissaire, Maitre Carmen Racine, décortique la jurisprudence et considère que le délai commence au moment de la survenance de la maladie intercurrente. Plusieurs décisions en ce sens ont été rendues et cette décision a fait jurisprudence.

(60) Le Tribunal estime que ces enseignements de la Cour d’appel ne peuvent être écartés
du revers de la main, surtout lorsque celle-ci se penche sur l’interprétation d’un article
de notre Loi. Le Tribunal doit donc les prendre en considération. 

(61) Ainsi, le Tribunal croit qu’afin de réconcilier ces deux affirmations, il doit comprendre que le délai d’un an court à partir du moment où l’employeur a une raison d’invoquer qu’il est obéré injustement et que, s’il produit sa demande en dehors de cette année, il devra offrir un motif raisonnable justifiant son inaction.

(62) Le Tribunal constate que cette interprétation large et libérale proposée par la Cour d’appel s’inscrit dans un courant jurisprudentiel amorcé préalablement par lequel cette Cour rappelle au Tribunal qu’il doit faire preuve de souplesse et éviter de faire perdre
des droits aux justiciables sur des questions de procédure et de délai.

(63) Le Tribunal remarque, de plus, qu’il est logique de faire courir le délai d’un an
du jour où le droit à l’exception nait, surtout lorsque l’employeur soutient être obéré
injustement par les sommes imputées. En effet, si la demande est faite trop prestement après la naissance du droit, par exemple, en l’espèce, le lendemain de la cessation de l’assignation temporaire ou du travail allégé, le Tribunal aura de la difficulté à déterminer
si les couts générés par cette interruption sont significatifs et obèrent injustement l’employeur. Il vaut donc mieux qu’une certaine période s’écoule après la survenue
du motif sur lequel repose la demande de transfert des couts. 

(64) Bref, le Tribunal croit que la suggestion faite par la Cour d’appel afin de computer le  délai d’un an mérite qu’on s’y attarde. Le Tribunal est conscient qu’en retenant un délai d’un an de l’accident du travail, le législateur n’avait pas en tête tous les cas pouvant donner ouverture à une demande de transfert d’imputation au motif que l’employeur est obéré injustement. 

Les décisions rendues par le Tribunal sont majoritairement dans le sens de cette décision et les demandes en lien avec une maladie inter­currente sont acceptées à partir du moment où la preuve est faite par l’employeur, qu’il y a des couts étrangers à la lésion et qu’il est donc in­juste qu’il en soit imputé (2).

(28) Dans l’affaire Sécurité-Policiers Ville de Montréal, le Tribunal effectue une revue de sa jurisprudence portant sur l’interprétation des termes obérer injustement. Il indique que la
Commission d’appel en matière de lésions professionnelles préconisait d’abord une  interprétation restrictive de cette notion, mais que cette jurisprudence a évolué. Il ajoute ne pas retenir les critères plus restrictifs ou l’encadrement proposé dans une affaire selon laquelle, pour obtenir un transfert des couts au motif qu’il est obéré injustement, l’employeur a le fardeau de démontrer une situation d’injustice, c’est-à- dire une situation étrangère aux risques qu’il doit supporter et une proportion des couts attribuables à la situation d’injustice qui est significative par rapport aux couts découlant de l’accident du travail en cause. Il souligne cependant que l’employeur doit démontrer qu’il assume certains couts et qu’il est injuste qu’il les assume dans les circonstances.

(29) Se ralliant à cette position, le présent Tribunal constate que la travailleuse a reçu des prestations après le 15  décembre 2012 pour une raison tout à fait étrangère à son  accident du travail et qu’il est injuste pour l’employeur d’en être imputé. Puisque le retour au travail de la travailleuse fut autorisé le 26 juin 2013 alors que n’eût été sa chute, elle serait retournée au travail le 15 décembre 2012, dans les circonstances, il est injuste qu’il assume les prestations qu’elle a reçues après cette date.

Il est donc important que s’assurer que lors­qu’il y a un arrêt de l’assignation temporaire  pour une autre cause que la lésion, qu’il y ait une demande logée auprès de la CNESST afin que les sommes imputées durant cette période d’invalidité totale soient créditées au  dossier financier.

Il ne faut pas s’arrêter au délai d’un an édicté à l’article 326  de la loi et loger la demande conformément à l’article 326 deuxième alinéa. L’enjeu financier de ces sommes peut s’avérer plus important encore lorsque l’arrêt de l’assi­gnation temporaire survient durant certaines périodes. En effet, la lésion peut changer de statut et devenir une lésion active pour la CNESST, ce qui va engendrer l’application d’importants facteurs de chargement sur la to­talité des sommes imputées au dossier du travailleur.


1 – Lyse Dumas – CRIA, DIRECTRICE PRINCIPALE, SANTÉ ET SÉCURITÉ  DU TRAVAIL, ACT ACTUAIRES SST INC. [ldumas@actsst.com]

Références bibliographiques

1. TAT Montérégie, 5921170-62-1512, 10 aout 2018
2. TAT Richelieu-Salaberry, 54382862C 1406, 4 octobre 2018