La reconnaissance d’une lésion invisible


La reconnaissance d’une lésion invisible

La plupart du temps, lors de rencontres à l’occasion d’ateliers et de conférences de l’Association de la Fibromyalgie de la Montérégie, on retrouve des personnes se questionnant sur l’apparition de leur maladie. Dotées de peu d’informations sur son impact légal et ses implications dans le cadre d’un dossier de la CNESST, de la SAAQ ou de Retraite Québec, ces personnes se sentent souvent à bout de souffle.

Virginie Maloney

La fibromyalgie est une maladie qui se caractérise par une douleur corporelle diffuse qui s’accompagne de fatigue, de troubles du sommeil, de changements neurocognitifs, de perturbations de l’humeur et autres manifestations somatiques (1). Cette dernière est dite invisible, puisque le diagnostic peut uniquement se faire par élimination et pour laquelle des marqueurs biologiques observables n’ont pas encore été découverts.

Mal connue et souvent diagnostiquée tardivement, cette maladie peut néanmoins être considérée comme une lésion professionnelle si elle survient ou est déclenchée par un accident du travail ou une maladie professionnelle. Parfois, la maladie survient à la suite d’une lésion initiale ou se déclare dès le traumatisme. Vu le caractère généralisé et débilitant de cette maladie, l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles qui en découlent sont bien souvent invalidantes. Il est donc primordial pour la qualité de vie future du travailleur affecté que la maladie soit reconnue comme lésion professionnelle lorsque c’est le cas.

Cependant, une question demeure: comment est-il possible de démontrer la causalité entre cette maladie et le travail alors que les causes mêmes de la fibromyalgie ne sont pas connues?

Reconnaissance du diagnostic

Les causes de la fibromyalgie ne sont pas connues. Certaines études soulèvent un lien entre un traumatisme, un choc émotif ou une atteinte virale, la ou les causes spécifiques de la maladie ne sont pas connues à ce jour (2). Ainsi, dans le cadre de la démonstration de la relation entre le diagnostic et le travail, il importe de mentionner que les tribunaux n’exigent pas la certitude scientifique, mais bien seulement la probabilité statistique (soit 50 % + 1) (3). Comme représentant du travailleur, il devient important de marteler ce fardeau de preuve, car certains médecins ou même la CNESST négligent ce fardeau. Pourtant, la Cour d’appel a été ferme à cet effet : il faut analyser le diagnostic dans le contexte des connaissances scientifiques actuelles. On ne peut exiger la démonstration hors de tout doute (4).

La question du délai est également pertinente. La fibromyalgie est un diagnostic d’exclusion et, par conséquent, cela peut prendre plusieurs mois, voire des années, avant qu’un médecin ne pose le diagnostic. On mentionne un délai en moyenne de cinq ans (5). Entre autre, la CNESST soulève très fréquemment le délai d’apparition pour rejeter la fibromyalgie comme lésion professionnelle. Pour contrer cet argument, la littérature médicale sera assurément d’un soutien appréciable devant le Tribunal administratif du travail. Il faut être en mesure d’expliquer médicalement au juge administratif que les signes et symptômes de la maladie étaient présents avant même l’identification du diagnostic (2).

Ensuite, la reprise chronologique de l’apparition des symptômes depuis l’évènement déclencheur nous aidera à démontrer la relation causale. En effet, si le diagnostic peut être posé des années après l’accident du travail, il importe de documenter ce délai. Souvent, les symptômes apparaitront très rapidement dans le dossier, mais ne seront pas perçus comme des signes de la fibromyalgie. C’est en rétrospective qu’il sera possible de démontrer qu’ils sont rattachés au diagnostic et que c’est bel et bien l’accident du travail qui est la cause.

Dans tous les cas, la documentation médicale et des expertises médicales seront essentielles. En l’absence de ces précieux éléments de preuve et à moins de cas évidents, la démonstration sera ardue.

Atteinte permanente

Les symptômes de la maladie sont difficilement quantifiables. La nature même des symptômes, autant invalidants soient-ils, rend difficile la détermination de l’atteinte permanente.

Au surplus, le Barème ne prévoit aucune catégorie pour indemniser l’atteinte permanente qui découle de la fibromyalgie, ce qui augmente la difficulté à indemniser la lésion à sa juste valeur. Rappelons que cette maladie n’était pas connue lors de l’élaboration du Barème. Dans ce contexte, les tribunaux procèdent par analogie pour déterminer le pourcentage d’atteinte.

Plusieurs méthodes sont utilisées. Certains utilisent l’atteinte correspondant aux troubles du système nerveux périphérique. Par contre, cette analogie est difficile d’application, puisqu’il importe de se référer à une racine nerveuse spécifique, ce qui est impossible lors du diagnostic de la fibromyalgie. La seconde méthode, plus fréquente, est d’utiliser la catégorie qui correspond aux atteintes du système nerveux central (6). Ainsi, on attribuera souvent une atteinte de 45 % qui correspond à la catégorie sur le syndrome cérébral organique cognitif (7).

À certaines occasions, la CNESST n’a retenu qu’un mince 2 % pour atteinte des tissus mous, soit la même atteinte attribuée aux personnes ayant une entorse lombaire… ce qui semble nettement insuffisant par rapport à l’importance des symptômes (7).

Capacité de travail

La fibromyalgie peut être une maladie assez incapacitante au quotidien, selon le degré de gravité. En jurisprudence, les limitations fonctionnelles attribuées seront souvent sévères, empêchant le travailleur de reprendre son emploi. Ainsi, il n’est pas rare qu’une classe IV soit attribuée, soit :

Classe IV : Restrictions très sévères
Le caractère continu de la douleur, son effet sur le comportement et sur la capacité de concentration sont incompatibles avec tout travail régulier (6).

Évidemment, certaines personnes sont capables de travailler malgré la maladie et selon les accommodements offerts par l’employeur. Ceci étant dit, la grande variabilité dans les symptômes fait en sorte que la capacité du travailleur est imprévisible. L’état peut être stable pendant un certain temps puis se détériorer par la suite.

Un élément primordial à ne pas négliger: la fibromyalgie cause des troubles de la concentration, de l’attention et de la mémoire (1). Ainsi, un travailleur atteint peut se retrouver dans l’impossibilité d’occuper un emploi qui est pourtant léger. L’équipe traitante ou le médecin traitant doit donc absolument noter cet aspect dans les rapports médicaux pour éviter qu’il ne soit écarté. En effet, il s’agit bien souvent du symptôme le plus incapacitant pour les personnes atteintes.

Conclusion

Les personnes atteintes de fibromyalgie souffrent énormément et ont bien souvent l’impression de ne pas être entendues par les organismes ni par les équipes traitantes. Ils sont souvent à bout de souffle lorsque le débat sur la reconnaissance doit se faire.

Heureusement et grâce aux avancées scientifiques, la fibromyalgie est de plus en plus connue par le Tribunal administratif du travail, ce qui facilite sa reconnaissance à titre de lésion professionnelle.