LE DROIT à la déconnexion


LE DROIT à la déconnexion

La prestation de travail se déroule de moins en moins dans un lieu défini comme tel grâce au fait que les outils connectés sont à la portée de plus en plus de personnes. Certes, cette métamorphose contribue positivement à un meilleur équilibre vie professionnelle et vie personnelle, mais peut, à certains égards, augmenter la pression en regard à la disponibilité et à l’exigence de réactivité de la part de la personne en dehors des heures habituelles de travail.

Marie Laberge

Abordons ensemble et sans prétention, les effets possibles de ce décloisonne­ment et quelques pistes de solutions en  termes de gestion et de prévention des consé­quences sous l’angle de la santé mentale.

L’exemple de la France

La France est réputée pour être progressiste en matière de droit du travail. Depuis le début de l’année 2017, elle s’est dotée d’une nouvelle loi en faveur du droit à la déconnexion. Il s’agit du droit à des périodes pendant lesquelles les sala­riés peuvent ne pas répondre aux sollicitations pour le travail.

De façon simplifiée, l’application de la loi française passe par l’obligation pour les entre­prises de plus de 50 salariés de négocier avec les représentants salariés, afin de mettre en place des moyens pour permettre la mise en œuvre du droit à la déconnexion. Il est un peu tôt pour faire l’analyse et la critique de cette nouvelle pratique. Cependant, on peut d’ores et déjà faire quelques observations à l’effet qu’il s’agit là d’une mesure qui vise à améliorer la qualité de vie au travail, et par conséquent, la performance organisationnelle et qu’il semble par ailleurs et selon l’information disponible à ce jour, que l’accent soit porté sur l’outil comme tel plutôt que les pratiques organisationnelles.

Mais accordons à la France le temps néces­saire de faire ses preuves à cet égard et d’ap­porter les ajustements nécessaires au besoin. En attendant, voyons ensemble à comprendre les causes à l’origine de cette revendication et la gestion de la prévention des conséquences dans un cadre sans législation.

Avantages de la connexion

Le travail en mode connecté présente une mul­titude d’avantages, tant pour les organisations que les personnes. C’est en partie ce qui ex­plique cette hausse fulgurante du phénomène depuis quelques années. Je me souviens d’il n’y a pas si longtemps, qu’à l’étape de négocier un contrat de travail, la fourniture d’un téléphone mobile était présentée comme un privilège pour la personne ! L’appareil n’était pas consi­déré dans la catégorie des outils de travail tels que le bureau, la chaise, l’ordinateur de bureau, etc. Dorénavant, les organisations sont tout à fait conscientes que les outils de connexion à distance font partie de la catégorie des outils indispensables au bon fonctionnement organisationnel, un peu à l’image des outils précédem­ment énumérés, et ce, pour la plupart d’entre elles et pour plusieurs fonctions.

En effet, qu’il s’agisse du téléphone mobile, de la tablette ou de la connexion à distance au bureau via un ordinateur portable ou un ordi­nateur personnel, tous ces outils facilitent sans contredit la vie des organisations et des per­sonnes pour certaines fonctions. Des gains majeurs sont effectivement observés d’une part en termes d’optimisation de l’exécution du tra­vail, et par conséquent, de la productivité, et d’autre part en termes d’équilibre vie profes­sionnelle et vie personnelle. Voici présentés quelques exemples de ces avantages.

• L’accès au bureau et aux collaborateurs sans considération géographique ou du moment de la journée permet plus de flexibilité, no­tamment, lorsque le travail implique des déplacements, que la présence auprès d’un proche soit nécessaire sporadiquement ou qu’il fasse tempête de neige.
• De plus, cet accès permet des gains de temps et d’efficacité, notamment dans la rapidité des prises de décisions et l’amélioration des processus de travail et relationnels.
• L’accès au serveur facilite la conservation des données à un seul adroit, l’administration des mises à jour et de la sécurité par le dépar­tement des technologies de l’information, ainsi que la gestion documentaire par les utilisateurs.
• La formule de télétravail réduit quant à elle considérablement les couts immobiliers et mobiliers et élimine les déplacements dans les cas où cela est applicable. Dans les cas où le télétravail ne l’est que partiellement, cela réduit les frais de déplacement et limite les inconvénients reliés aux déplacements.

Risques inhérents à la connexion

Si tous s’entendent pour dire que le fait d’être connectés en dehors des heures habituelles de travail présente des avantages, il n’en demeure pas moins qu’il se peut que l’équilibre souhaité entre la vie professionnelle et la vie personnelle se précarise dans le temps, tant pour les per­sonnes que pour l’organisation : employeur déplorant l’utilisation des réseaux sociaux sur les heures de travail ; perturbation de la vie privée ; qualité de vie générale affectée par le stress ; augmentation des absences et des couts d’assurances. Ces problèmes sont d’ailleurs, sans être exhaustifs, à l’origine des revendica­tions pour le droit à la déconnexion en France.

Parmi ces problèmes, la question de la santé mentale attire plus particulièrement notre atten­tion en raison de la gravité de ses effets sur les plans humains et économiques dans les mi­lieux de travail et dans la société en général (1). Au Canada, les données nous informent que (2) (3) :

• chaque année, 20 % des travailleurs cana­diens souffrent d’une maladie liée au stress ;
• le tiers des réclamations d’invalidité au tra­vail est lié à la maladie mentale ;
• 500 000 canadiens, chaque semaine, sont incapables de travailler en raison d’un pro­blème de santé mentale ;
• 70 % des couts liés à l’invalidité sont attri­buables à la maladie mentale.

Bien que nous convenons que les ques­tions de santé mentale et leurs conséquences sont le résultat d’une interaction complexe de différents facteurs de risque dont les anté­cédents familiaux, le stress lié à toutes sortes d’évènements, les maladies chroniques, la con­sommation d’alcool, de drogues ou autres subs­tances, l’âge et le sexe, le milieu de travail n’en demeure pas moins un facteur de risque non négligeable. Et parmi les causes provenant du milieu de travail et pouvant contribuer à la détérioration de la santé mentale de la per­sonne ou exacerber un problème latent, le stress causé par les attentes élevées de réactivité de la part de l’employeur à l’égard du salarié disponible en tout temps grâce aux outils de connexion en est un.

La gestion de risque en santé mentale

Partant du principe que la connexion au mi­lieu de travail puisse avoir des effets sur la santé mentale, l’approche préconisée pour gérer ce risque ne doit pas être différente de celle mise de l’avant pour les risques plus documentés ou traditionnels tels que le travail en hauteur, l’en­trée en espace clos ou l’ergonomie. La rigueur de prévention se voudra la même soit :

• une méthode structurée d’identification et d’analyse des facteurs de risque et des causes ;
• l’implication des personnes de tout horizon au sein de l’organisation, dont le CSS, ainsi que des intervenants externes aux besoins tels que des intervenants spécialisés, consul­tants, etc.;
• la prévoyance d’un processus d’implantation de mesures d’élimination et de contrôle en fonction de la criticité du phénomène, ainsi que de surveillance de l’efficacité des mesures de contrôle ;
• où la plus haute instance veille à la surveillance de la performance, et ce, à une fréquence régulière dans une volonté d’amélioration continue et de diligence.

Cette façon de structurer la gestion du risque relatif à la connexion en dehors des heures ha­bituelles de travail, permet non seulement aux organisations qui le désirent d’identifier le phé­nomène, mais aussi de comprendre de quelle façon et à quelle hauteur il agit négativement sur les personnes et la productivité et par con­séquent, se doter des moyens pour en garantir les résultats attendus, et ce, selon un ordre de priorités cohérent.

Engagement et bénéfices

Lorsqu’une personne, peu importe sa fonction, est continuellement ou du moins fréquemment perturbée dans le cadre de sa vie personnelle, donc en dehors des heures planifiées de travail, cela est signe qu’elle est indispensable au bon fonctionnement des opérations, et ce, sur une durée irréaliste et extrêmement contre perfor­mante. La mise en œuvre des activités en fonc­tion des ressources disponibles, dont celle du temps, n’est pas planifiée. On est en présence de pratiques de gestion à la pièce et à la journée, où les pensées magiques du genre on trouvera bien du temps pour faire ceci ou cela et en faire moins avec plus dominent dans le discours. En résumé, le processus ne fonctionne pas, impo­sant aux organisations et aux personnes de réagir dans l’urgence plutôt que d’agir et de planifier.

À cet effet, une des causes observées dans les milieux de travail relativement aux conséquences de la sollicitation en dehors des heures habituelles de travail, excluant les situations exceptionnelles et les périodes de disponibilités usuelles il va de soi, est sans contredit l’orga­nisation du travail. Dans un contexte de mon­dialisation où l’efficience permet aux plus astucieux de durer dans le temps en demeurant compétitifs et innovants, il devient donc essen­tiel pour les organisations de prendre conscience du phénomène et le comprendre pour en pré­venir les conséquences. Posez-­vous la question à savoir : mais qu’est-ce qui engendre ces perturbations dans le fonctionnement et cette nécessité de recourir à la personne à des moments non planifiés ? D’autant que la récurrence de cette pratique peut avoir comme effet collatéral chez la personne de développer un sentiment d’indispensabilité et de réflexes de réactivité non nécessaires. Voilà donc le point de départ à l’identification des solutions appropriées à mettre de l’avant pour accéder à l’efficience et au mieux­ être au travail.

Pour chapeauter cette démarche de prévention en santé mentale, il est essentiel que la démarche soit envisagée de façon intégrée, en misant sur l’engagement organisationnel et des personnes. Pour ce faire, voici quelques exemples de condi­tions gagnantes et de bénéfices y étant associés.

Conditions gagnantes

• Se doter d’une politique d’engagement à l’égard du respect des temps de repos et des congés du personnel, incluant le personnel­ cadre et la promouvoir.
• Optimiser les processus d’affaires, incluant les volets organisationnels et opérationnels.
• Planifier le temps de travail et aménager le travail, puis évaluer et apporter les ajustements nécessaires à l’amélioration des processus.
• Mesurer le degré de satisfaction au travail et en surveiller la progression au fil des implan­tations, puis apporter les ajustements néces­saires à l’optimisation de la performance humaine et économique.
• Implanter des programmes de promotion de la santé et créer les conditions favora­bles à l’adhésion des personnes aux straté­gies préconisées.
• Implanter des programmes d’aménagement du travail pour les personnes ayant des pro­blèmes de santé mentale.
Bénéfices
• Baisse de la pression sur la ressource hu­maine (niveau de maitrise faible) et augmen­tation de la pression sur le processus (niveau de maitrise fort), ayant comme effet d’aug­menter la productivité et la rentabilité.
• Amélioration de la qualité de vie et de la satisfaction au travail.
• Augmentation de la présence effective du personnel au travail.
• Diminution des couts d’assurances associés aux problèmes de santé mentale.
• Couts très faibles des aménagements au tra­vail liés à la santé mentale, estimés à moins de 500 $/cas (4).
• Rehaussement du profil organisationnel et meilleure acceptabilité sociale.
• Attraction et rétention de personnel de qualité.

Conclusion

Dans une perspective d’efficience et de mieux­ être au travail, nonobstant qu’il y ait ou non un encadrement légal, la flexibilité de la connexion au travail gagnera à être traitée selon un partage équitable entre les avantages et les inconvé­nients de part et d’autre… et respectée. Res­pectée en ce sens où des réflexes de réactivité non désirés peuvent s’installer chez les personnes, nécessitant par la suite l’imposition d’une dis­cipline personnelle difficilement gérable par l’organisation. Alors prendre un temps d’arrêt pour revoir ses pratiques comme organisation et comme personne devient salutaire. Il en va de la productivité et de la qualité de vie au tra­vail et personnelle.