GESTION SST

Le tableau de bord en SST | La construction du TBG

Les tableaux de bord de gestion (TBG) sont trop peu utilisés dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail (SST).

Trop, c’est comme pas assez. Ce dicton populaire s’applique également aux tableaux de bord de gestion (TBG), en santé et sécurité au travail (SST) ou dans tout autre domaine de fonctionnement de l’organisation. Les désagréments et inconvénients des lacunes en informations de gestion sont largement connus. À l’autre extrémité, il y a trois façons principales d’en faire trop.

Premièrement, la tentation peut être forte de vouloir se doter d’indicateurs de gestion sur tout et n’importe quoi. Tel que précisé dans l’article précédent (1), l’important en cette matière n’est pas le nombre d’indicateurs, mais leur qualité et leur pertinence. La « règle du pouce » dans ce domaine veut qu’on vise entre cinq (5) et huit (8) indicateurs.

La deuxième tentation d’en faire trop, c’est celle de vouloir être très tendance, très techno, de se donner un nouveau jouet informatique. Effectivement il existe des solutions informatiques très attrayantes pour construire un TBG. Par contre, et sans vouloir déprécier ces solutions informatiques, dans une majorité de cas des outils informatiques simples et à la portée de tous sont amplement suffisants ; ce point sera repris plus en détail ci-­dessous.

Finalement, on peut être tentés de faire de cette démarche un gros projet, quelque chose de très élaboré. Si c’est le cas, la référence en matière de TBG est le livre de Pierre Voyer, professeur retraité de l’École Nationale d’Administration Publique (ÉNAP) (2). L’auteur y présente une démarche complète et très élaborée qui s’applique à l’ensemble des préoccupations d’une grande organisation. Par contre, pour une grande majorité d’organisations une démarche plus simple conviendra parfaitement. Le présent article présente donc un condensé des principales étapes décrites par Voyer.

Les étapes de construction du TBG

La démarche générique de développement et d’implantation d’un TBG comporte typiquement six (6) étapes, qui sont les suivantes :

  1. La préparation;
  2. L’approbation;
  3. Le désign des indicateurs et des pages;
  4. Le choix des supports informatiques;
  5. La mise en œuvre et l’utilisation;
  6. La fermeture de boucle;

Les sections ci-­dessous reprennent ces étapes une à une pour les examiner plus en détail. Avant d’aller plus loin, toutefois, il convient d’émettre une mise en garde. La démarche proposée ici semble organisée dans un ordre logique et séquentiel. Dans la « vraie vie », cependant, rien n’est jamais aussi simple et bien ordonné. Il est donc courant que, durant la démarche, on doive faire marche arrière, revenir à l’étape précédente et apporter des ajustements avant de reprendre la progression. C’est une question de patience…

1- La préparation

Le stade de la préparation comporte essen­tiellement deux choses. Premièrement, il faut bien déterminer les besoins ; mais les besoins de qui, au fait ? Les besoins des usagers, bien sûr. Car pour servir, un TBG doit s’adresser à des usagers bien ciblés. Quels sont alors les besoins de ces usagers en termes d’informations de gestion ? Quelle carence informationnelle les empêche de dormir le soir ? Quelles in for mations leur permettraient d’être plus
efficaces ? Répondre à ce genre de questions fournit des pistes très concrètes pour assurer la pertinence et l’utilité du TBG.

Tel que mentionné dans l’article précédent (1), les besoins de la direction doivent également être tenus en compte dans la planification du projet de TBG. Alimenter les décideurs en informations de gestion peut s’avérer d’une très grande importance stratégique. Dans la même ligne de pensée, tout cela fait partie de la démarche d’identification des besoins.

La deuxième facette de la préparation consiste à vérifier la faisabilité du projet. En fait, on doit s’assurer qu’il n’y a pas d’obstacle organisationnel, logistique, financier ou humain. L’obstacle le plus souvent rencontré est la crainte qu’ont certaines personnes que le TBG serve à évaluer les performances individuelles et donc que cela entraine des conséquences fâcheuses pour leur emploi ou leur carrière. Ceux qui pensent perdre quelque chose par cette démarche, ou qui se sentent menacés par elle, sont susceptibles d’agir comme des freins, d’introduire de la lourdeur et donc, à terme, de provoquer l’abandon du projet. Il est dès lors très important d’expliquer le projet, sa portée, ses limites, son utilité réelle et surtout ce à quoi il ne servira PAS. Corriger les obstacles d’entrée de jeu peut prévenir de sérieux problèmes à une étape ultérieure de la démarche.

2- L’approbation

Il n’y a rien de plus frustrant que de constater qu’on a travaillé pour rien. Pour éviter cela, on ira chercher l’approbation de la direction et des usagers potentiels, et ce le plus rapidement possible dans la démarche. À cette étape il y a une façon de procéder qui présente de nombreux avantages. Une fois les besoins identifiés, il s’avère très utile de présenter un prototype, une esquisse ou une maquette à la direction et aux futurs usagers.

Les deux principaux avantages de cette façon de faire sont les suivants. Premièrement, subrepticement le processus d’appropriation du TBG par ses éventuels destinataires commence tout doucement. Ensuite, bien sûr, la consultation permet d’apporter des retouches et des ajustements qui permettront de rendre le produit encore plus attrayant, à condition que la consultation ait été menée de bonne foi, évidemment.

3- Le désign des pages et des indicateurs

Une fois l’approbation obtenue, le moment est venu de passer à l’étape « bricolage » de la démarche. Il s’agit de l’étape où l’on conçoit le fonctionnement et le mode de présentation du TBG. Deux principaux aspects de sa structure retiennent l’attention à ce stade­ci : les pages et les indicateurs.

Conception des pages

Dans un TBG, ce qu’on appelle une page est l’équivalent d’une page dans un document écrit ou du contenu d’un écran à l’ordinateur. C’est une façon condensée de présenter les résultats obtenus pour les indicateurs compilés.

Dans une organisation d’une certaine complexité, typiquement on compilera d’abord les données par équipe, puis par département, ensuite pour l’ensemble de l’usine, enfin pour l’ensemble de l’entreprise s’il s’agit d’une société qui a plusieurs sites d’opération. Dans une telle structure, on s’attend normalement à retrouver d’abord une page-synthèse pour l’ensemble de l’entreprise, mais également une page pour chaque niveau qui a été agrégé et qui a ainsi contribué aux résultats de l’ensemble. En d’autres mots, sous­-jacentes à la page­-synthèse on retrouvera une page par usine, puis une page par département, puis une page par équipe.

La première page à être publiée sera donc la page­synthèse. Par contre il faut prévoir une capacité de forage, c’est­-à-­dire la possibilité pour un usager de partir de la page­-synthèse pour naviguer, pour descendre progressivement au besoin jusqu’à la plus petite unité – l’équipe, en l’occurrence ici – afin de pouvoir consulter les différents niveaux d’agrégation des résultats. On comprend donc que plus une entreprise est complexe, plus la construction du TBG l’est aussi. Dans ces circonstances le soutien des collègues du service des technologies de l’information s’avère indispensable.

Par contre, pour des TBGs plus simples dans des entreprises moins complexes, souvent la page-­synthèse est suffisante. À titre indicatif, au Tableau 1 on retrouve un exemple de TBG relativement simple, contenant des indicateurs de résultats et d’activités. Les codes de couleurs sont importants ; ce point est repris dans la prochaine section.

Conception des indicateurs

Pour ce qui est de la conception des indicateurs, le sujet a déjà été partiellement traité dans l’article précédent (1). Par contre, au-­delà du fond et des critères de choix des indicateurs, il importe d’examiner plus en détail certains aspects plus techniques de leur construction.

Premièrement, une fois qu’on a décidé des aspects dont on veut assurer le suivi au moyen des indicateurs, tel que rapporté par Voyer (2) il existe trois voies menant à l’inclusion d’indicateurs dans le TBG. On peut d’abord construire de toutes pièces un indicateur en fonction des besoins de gestion spécifiques à l’organisation. Ou encore il est possible d’examiner ce qu’il est possible de faire sur la base des données déjà disponibles au sein de l’entreprise. Enfin, il peut s’avérer très utile de consulter des banques d’indicateurs génériques qui contiennent généralement les indicateurs les plus couramment utilisés dans un domaine de référence quelconque.

Le fait d’utiliser des données déjà existantes dans l’entreprise, comme le propose la deuxième voie ci­dessus, présente bien sûr un avantage précieux. En effet, la construction du TBG nécessitera la cueillette de moins d’informations additionnelles, donc représentera un fardeau administratif moindre. Par contre, on a les défauts de nos qualités : il se pourrait que, pour pouvoir importer des données de divers systèmes dans l’entreprise, le « bricolage » informatique soit plus compliqué. Dans certains cas, comme pour l’entreprise qui produit le TBG dans le Tableau 1, les sources de données sont peu nombreuses, le TBG porte essentiellement sur des données déjà compilées par le professionnel SST qui construit le tableau, et la seule donnée externe est le nombre d’heures travaillées durant le trimestre ; la construction est alors relativement simple.

Le deuxième aspect important de la construction des indicateurs dont il faut absolument parler ici, c’est le mode de présentation. Dès le stade de développement du TBG, il faut déjà prévoir des façons de faire « parler » l’information. En effet, un bon TBG présente les indicateurs avec un certain niveau de « prédigestion ». Qu’est-­ce qu’on entend par là ? On veut transmettre un maximum d’information avec un minimum d’efforts pour l’usager. On veut aider l’usager du tableau à se faire une idée à partir des chiffres communiqués. Tel indicateur est-­il bon, moyen ou pas bon ? Est-­ce qu’on s’en va dans le bon sens ou est­-on en train de perdre la partie ? Nos efforts donnent-­ils des résultats ou travaille­t­on pour rien ?

Il existe divers trucs et astuces pour aider l’usager à décoder le message. Le premier et le plus évident est celui qui est utilisé dans le Tableau 1, à savoir le code de couleurs. Le fait qu’une cellule dans le tableau soit colorée en vert, en jaune ou en rouge pour dire que ça va bien, moyen ou pas très bien est généralement décodé au premier coup d’œil par la quasi­ totalité des gestionnaires. La fonction « mise en forme conditionnelle » dans la plupart des chiffriers est un outil précieux pour traduire les simples valeurs numériques en messages.

En plus du code de couleurs, on peut penser à plusieurs autres façons d’encoder un maximum d’informations dans le TBG. Parmi les moyens les plus utilisés, on retrouve les icônes : main avec le pouce par en haut ou par en bas, « petit bonhomme sourire, neutre ou triste », flèches vers le haut ou vers le bas, cadrans en forme d’odomètres avec une zone verte, une jaune et une rouge, et ainsi de suite. On pense aussi aux graphiques de tendances, aux histogrammes et autres outils de représentations statistiques, qui parlent toujours plus que des chiffres seuls. Dans son livre sur les TBG, Alain Fernandez (3) présente plusieurs moyens de rendre un TBG plus parlant..

4- Le choix des supports informatiques

Comment les données seront-­elles recueillies et consolidées ? Comment les indicateurs seront-­ils calculés ? Comment nous y prendrons-nous pour transmettre le TBG et les in formations qu’il contient ? On réalise facile ment que le fonctionnement du TBG appelle certaines décisions d’ordre logistique, et que la majorité d’entre elles pointent vers l’utilisation d’outils informatiques.

Évidemment, dans une grande organisation, et pour un TBG d’une certaine complexité, l’entreprise devra envisager un certain investissement à cet égard. Par exemple si, aux fins du calcul de certains indicateurs, le TBG doit aller puiser des informations dans diverses banques de données, on n’a pas le choix. Par contre cela vient augmenter le cout du projet.

Heureusement l’expérience démontre que, spécifiquement aux fins de la SST, un chiffrier électronique standard, comme pratiquement tout le monde en a un dans son ordinateur, fait très bien l’affaire. Dans la mesure où tous ceux qui ont à alimenter le TBG fournissent au responsable les informations dans le même gabarit dans ce chiffrier, la consolidation des données et le calcul des indicateurs se font très facilement sans représenter un travail excessif pour qui que ce soit.

5- La mise en œuvre et l’utilisation

Et puis un jour vient le moment de commencer pour de vrai. À ce sujet, quelques trucs utiles s’imposent. D’abord, pour que le TBG serve à quelque chose, il faut s’assurer que l’information se rend bien à ceux et celles à qui elle est destinée. Ça peut sembler évident, mais on a parfois des surprises à ce niveau. Un jour que je travaillais avec des personnes d’une grande entreprise québécoise, ces dernières me présentèrent un TBG vraiment très bien fait en matière de SST. Par contre elles se plaignaient qu’elles n’avaient jamais de retour, et que les résultats, dont certains étaient alarmants pour dire le moins, ne semblaient pas produire de réaction de la part de la direction. Vérification faite, il s’est avéré que, une fois le TBG mis à jour pour un trimestre donné, il était envoyé à leur patron en pensant que celui­ci le présenterait en réunion de direction ; ce dernier, toutefois, s’imaginait qu’il le recevait comme tous les autres membres de la direction et ne réalisait pas qu’il avait une action à prendre. Résultat net : un très bel outil tombait entre deux chaises, une information cruciale ne se rendait pas aux membres de la direction et donc les fruits d’un patient labeur ne servaient à rien du tout. L’architecture du réseau de distribution est donc d’une importance primordiale.

Il peut s’avérer utile d’aider les usagers à bien comprendre les messages que le TBG veut véhiculer. Cette aide peut prendre deux formes. D’abord, on peut prévoir, au besoin, de les former sur les aspects plus complexes du tableau ou sur l’interprétation de certains indicateurs. Ensuite, Voyer (2) préconise de fournir des outils, comme un manuel ou des fiches-indicateurs, qui servent d’aide­-mémoire en
expliquant le fonctionnement du TBG et la structure de ses indicateurs.

Finalement, dans le cas de grandes entreprises ou d’entreprises complexes, il peut s’avérer sage de procéder à un projet-pilote et de procéder à des ajustements avant de déployer le TBG à grande échelle. On est toujours mieux de commettre nos erreurs à petite échelle…

6- La fermeture de boucle

Une fois le TBG en usage, comme dans tout bon processus de gestion il convient de fermer la boucle de celui-ci. Cette étape comporte en fait trois types d’actions.

Premièrement, on va procéder à une validation du TBG. Les usagers – pour qui on fait ça, après tout – sont-ils satisfaits ? L’information qu’on leur fournit est-elle utile ? Pertinente ? Les aide-t-elle dans leur prise de décision ? On vérifiera également le bon fonctionnement du TBG : facilité d’accès, clarté, lisibilité, et ainsi de suite.

Deuxièmement, l’utilité d’un tableau de bord est intimement liée à la qualité des informations qui y sont versées. Comme le veut l’adage anglophone : « Garbage in, garbage out ». Il est donc important de vérifier périodiquement la qualité des données qui sont entrées dans le TBG.

Finalement, tel que déjà mentionné dans l’article précédent (1), un TBG ne devrait jamais être un outil statique, figé dans le temps. Avec le temps certains indicateurs finissent par indiquer en permanence que ça va bien, que la situation est bel et bien sous contrôle, en somme que ce domaine particulier n’est plus une préoccupation inquiétante. Quand c’est le cas, il est temps de mettre cet indicateur en veilleuse – on pourra toujours y revenir au besoin – et d’introduire un autre indicateur plus collé aux préoccupations actuelles des gestionnaires. Ce type de révision se produit typiquement tous les deux ans, environ.

Conclusion

L’expérience a démontré à plusieurs reprises que l’introduction d’un TBG en SST a entrainé une plus grande prise en charge des enjeux en la matière. Le phénomène qui se produit est le suivant. L’exercice de construire le TBG amène à mieux cerner quelles sont les préoccupations prioritaires en SST. La circulation de l’information, sous forme d’indicateurs, entraine la prise de conscience que « tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes », même si les résultats en termes de fréquence et de gravité des lésions ne sont pas catastrophiques. Après tout, c’est tellement humain de penser que, s’il n’y a pas de signaux d’alarme, c’est que ça va bien…

Les meilleures décisions, dit-on, sont celles qui sont prises en toute connaissance de cause. Il nous appartient donc de nous assurer que les décisions qui seront prises en SST seront les meilleures.