Les 60 ans de la pompe d’échantillonnage


Les 60 ans de la pompe d’échantillonnage

Maximilien Debia

Il y a tout juste 60 ans, en 1957, Jerry Sherwood, employé au sein de l’Atomic Energy Research Establishment (AERE) à Harwell au Royaume-Uni a eu l’idée de développer une pompe permettant de faire des prélèvements des contaminants de l’air directement sur les travailleurs. Un prototype permettant des prélèvements durant 8 h à un débit de 0,5 L/min fut présenté en septembre 1957. Les travaux de Monsieur Sherwood, lui permettront
avec son collègue Don Greenhalgh, de publier en 1960, dans le volume 2 de la revue The Annals of Occupational Hygiene, le premier article décrivant une pompe personnelle d’échantillonnage (1). Le professeur John Cherrie résumait les principaux éléments de cette publication en 2003 dans le même périodique britannique (2).

Cette invention est importante pour l’hygiène du travail puisqu’elle marque le début d’une période qui a généré un grand nombre de données permettant de mieux comprendre l’exposition des travailleurs, de mieux estimer les risques potentiels à la santé et in fine de mieux les maitriser. Ces données d’exposition ont aussi permis de comprendre les notions de variabilité de l’exposition entre travailleurs, de jour en jour, de semaine en semaine, de saison en saison et d’identifier de nombreux déterminants de l’exposition. Toutefois, l’âge d’or du mesurage des expositions en hygiène du travail semble avoir pris fin dans plusieurs pays et Cherrie notait que depuis les années 1990 très peu de données d’exposition étaient ajoutées à la base de données britannique HSE National Exposure Database (NEDB) (2). Les raisons évoquées pour justifier la diminution des mesurages sont nombreuses telles que leur cout élevé, les délais souvent longs à obtenir les résultats et le fait que l’exploitation des données d’exposition est sujette à interprétation (3). Toutefois, le Québec se distingue par un nombre élevé de mesurages et le maintien relativement constant des données générées durant les années 2000 (4).

Ces dernières années ont vu apparaitre le concept de l’hygiène du travail sans nombre (occupational hygiene without numbers). Il s’agit de diverses stratégies de gestion graduée du risque (control banding) permettant d’évaluer les risques sanitaires et de les maitriser sans passer par l’étape de mesurage ou encore avec un nombre restreint de données. Le professeur Hans Kromhout a récemment fait ressortir plusieurs limites de ces stratégies et a livré un vibrant plaidoyer en faveur du mesurage (3). En termes de méthodes de mesurage, l’auteur souligne notamment le besoin de développer des outils moins onéreux et faciles d’utilisation qui permettraient de maintenir la collecte des données de mesure en milieu de travail et l’alimentation des bases de données d’exposition. On voit en effet apparaitre divers instruments à lecture directe, plus ou moins spécifiques, pour une panoplie de contaminants. Ces outils peuvent générer de nombreuses données à moindres couts.

Récemment John Howard, le directeur du NIOSH, s’amusait à dire que les progrès spectaculaires dans la technologie des capteurs auront un impact énorme sur les hygiénistes industriels d’ici l’an 2089!  À ce moment, ces nouveaux outils permettront de surveiller les expositions de façon complètement autonome alors que les hygiénistes deviendront des gestionnaires de données massives. Selon Howard, les hygiénistes industriels du futur seront confrontés au défi important de donner un sens à toute cette information (5).

Est-ce la fin de l’utilisation des pompes personnelles d’échantillonnage ? En tout cas, nous pouvons être fiers d’être, au Québec, le petit village d’irréductibles pour qui la mesure des expositions professionnelles est encore omniprésente. Alors, bon échantillonnage !