MOT DE LA RÉDACTION SCIENTIFIQUE

Les valeurs limites d’exposition professionnelle face au paritarisme

Denis Bégin

 

La qualité de l’air en milieu de travail est l’une des préoccupations importantes de l’hygiéniste du travail. Pour juger s’il y a surexposition à un contaminant donné, ce dernier mesure sa concentration dans l’air des lieux de travail et compare les données recueillies à la valeur limite d’exposition professionnelle (VLE) de référence. Au Québec, plus de 900 substances possèdent une VLE dans l’Annexe I du Règlement sur la santé et la sécurité du travail (RSST). Un des problèmes avec l’Annexe I est que de nombreuses valeurs limites sont désuètes si on les compare aux recommandations de l’American Conference of Governmental Industrial Hygienists (ACGIH), organisme professionnel internationalement reconnu. En outre, plusieurs substances dont l’effet cancérogène est démontré chez l’humain selon le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) ne sont pas classées comme telles dans le RSST. Cet état de fait limite les actions de prévention, car il est difficile de convaincre les entreprises de limiter les expositions professionnelles au-delà de la règlementation en vigueur.

Lors de la première révision majeure des VLE québécoises en 1994, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST, maintenant Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, CNESST) avait mis sur pieds un comité paritaire permanent chargé de la révision de l’Annexe I (1). Ce comité n’a cependant fait que quelques ajouts ou changements en plus de vingt ans. Le Vérificateur général du Québec a d’ailleurs critiqué la CSST l’année dernière parce que le comité technique en question ne s’était pas réuni depuis trois ans en raison de mésententes (2).

La CNESST a publié en début d’année la planification de ses travaux législatifs et règlementaires pour 2016 (3). On y apprend qu’elle envisage d’analyser « la faisabilité de recourir au principe de synchronisation avec un ou des organismes scientifiques de normalisation reconnus » tels que l’ACGIH et le CIRC pour la mise à jour d’une partie de l’Annexe I du RSST. Les fonctionnaires de la CNESST doivent documenter cette problématique afin de permettre au comité technique chargé de la révision de l’Annexe I de prendre une décision d’ici au 31 décembre 2016.

Il faut certainement saluer cette initiative de la CNESST. Mais l’on peut craindre le risque de mésentente en raison du fonctionnement du comité paritaire chargé de la révision de l’Annexe I. En effet, celle qui avait piloté ce comité dans les années 1990 déplorait que le climat fût « encore souvent à la négociation plutôt qu’à la concertation » (4). C’est peut-être hélas ! la raison du peu de résultats concrets de ce comité depuis longtemps.

À notre avis, il y aurait deux mesures à mettre en œuvre pour s’assurer que les travaux du comité technique soient un succès. Il faudrait premièrement que le comité fasse appel aux scientifiques tels que les toxicologues qui pourraient donner des avis indépendants, sur des bases sanitaires quant aux valeurs limites à réviser. Deuxièmement, en cas de mésentente, le président du comité paritaire devrait utiliser son droit de vote pour trancher les questions litigieuses dans l’intérêt supérieur de la santé et de la sécurité du travail.


Références bibliographiques
  1. Bouchard A, Guillemette M, Lemieux C (1994) La première révision de l’annexe A du Règlement sur la qualité du milieu de travail. Travail et santé 10(2): 41-44.
  2. VGQ (2015) Lésions professionnelles : indemnisation et réadaptation des travailleurs. In : Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2015-2016, printemps 2015. Vérification de l’optimisation des ressources, pp. 1-50. Vérificateur général du Québec, Québec.
  3. CNESST (2016) Planification des travaux législatifs et règlementaires-Année 2016. DC1000-218 (2016-02). Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, Montréal.
  4. Lemieux C (1992) Le défi du paritarisme dans la règlementation en santé-sécurité au Québec : l’exemple de l’annexe A. In : Actes du 14e Congrès de l’Association pour l’Hygiène Industrielle au Québec, pp. 188- 191. Association pour l’hygiène industrielle au Québec, Montréal.