Maitrise d’oeuvre – Inapplicable aux entreprises de compétence fédérale


Maitrise d’oeuvre – Inapplicable aux entreprises de compétence fédérale

En 2016, la Cour supérieure a rendu deux jugements importants qui ont été maintenus par la Cour d’appel et la Cour Suprême du Canada portant sur la notion de maitre d’œuvre, qui pourrait changer radicalement les interactions entre les différents intervenants au chantier.

Catherine Deslauriers

Dans les affaires Procureure générale du Québec c. Commission des lésions professionnelles (1) et Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail c. Commission des lésions professionnelles (2), la Cour supérieure confirme qu’une entreprise de compétence fédérale ne peut être déclarée maitre d’œuvre sur un chantier de construc­tion au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST). En conséquence, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) ne peut lui imposer de respecter les obligations liées au statut de maitre d’œuvre découlant de la LSST et ses règlements.

Mais qu’est-ce qu’une entreprise de compétence fédérale ?

Une entreprise de compétence fédérale est une entreprise qui exerce des activités dans un sec­teur qui relève de la compétence du gouverne­ment fédéral, notamment :

• les banques ;
• les entreprises de transport maritime ; les traversiers et les services portuaires ;
• les services de transport aérien, y compris  les aéroports, les aérodromes et les transporteurs aériens ;
• les entreprises de transport ferroviaire et routier interprovinciales et internationales ;
• les canaux, pipelines, tunnels et ponts (interprovinciaux);
• les réseaux de téléphone, de télégraphe  et de câble ;
• la radiodiffusion et la télédiffusion ;
• les entreprises d’extraction et de transformation de l’uranium ;
• la plupart des sociétés d’État fédérales.

Pourquoi ce jugement est-il aussi important au niveau des relations intervenant sur les chantiers  de construction ?

Au Québec, le maitre d’œuvre est responsable de l’exécution de l’ensemble des travaux sur un chantier de construction. C’est lui qui a le contrôle réel du chantier. Il est donc responsable de tous les travailleurs s’y trouvant, et ce, peu importe, qui les emploie. Ainsi, un pro­priétaire, un entrepreneur général ou même un entrepreneur spécialisé déclaré maitre d’œuvre peut se voir imposer de grandes responsabilités financières découlant de la gestion de la santé et de la sécurité du travail. En effet, il est le premier à devoir s’assurer que les travailleurs ne sont pas exposés à des risques ou des dangers en matière de santé et de sécurité du travail en étant pro actif dans la mise en place de procédures et de mesures pour prévenir ces risques et dangers. Ainsi, toute infraction, dérogation ou problématique en matière de santé et de sécurité au travail lui sera de prime abord imputée.

Ainsi, les juges de la Cour supérieure ont radicalement modifié une réalité tenue pour ac­quise depuis des années en statuant qu’une entreprise de compétence fédérale ne peut être déclarée maitre d’œuvre au sens de la LSST. Bien qu’elle demeure tout de même respon­sable de l’ensemble des travailleurs sous son contrôle au sens du Code canadien du travail, elle est par contre libérée des obligations dé­coulant de son statut de maitre d’œuvre au sens de la LSST.

Compte tenu de ce jugement, il est permis de s’interroger sur la question de savoir qui remplacera dorénavant l’entreprise de compétence fédérale dans ce rôle de maitre d’œuvre.

Cette question risque de faire couler beau­coup d’encre au cours des prochaines années. À titre d’exemple, plusieurs entrepreneurs spé­cialisés de compétence provinciale ont souvent des clauses de délégation de maitrise d’oeuvre dans leurs contrats. Ainsi, peut­il y avoir, sous forme de délégation contractuelle, plusieurs maitres d’œuvre sur un même chantier ?

Bien que les juges ne répondent pas direc­tement à cette question, un des juges indique tout de même dans sa décision que la déléga­tion contractuelle de la maitrise d’œuvre à plusieurs entrepreneurs sur le chantier créerait une confusion juridique, puisqu’en principe il est censé n’y avoir qu’un maitre d’œuvre par chantier de construction. Est-­ce à dire que la délégation contractuelle de la maitrise d’œuvre à un seul entrepreneur pourrait être reconnue comme valide et applicable ? La ques­tion demeure ouverte.

Alors qu’une délégation contractuelle de la maitrise d’œuvre n’a habituellement aucune portée officielle, un entrepreneur faisant af­faire avec une entreprise de compétence fé­dérale pourrait maintenant, en vertu d’une telle clause, se voir imposer des obligations pour lesquelles il n’a pas estimé les couts et en subir un préjudice. À titre d’exemple, en vertu du Code canadien du travail, une en­treprise de compétence fédérale n’a pas à en­gager un agent de sécurité sur un contrat de plus de 8 000 000 $. Cette responsabilité existant en vertu du Code de sécurité pour les travaux de construction serait alors dévolue à l’entrepreneur ayant une clause de délégation de la maitrise d’œuvre et des couts supplé­mentaires pourraient en découler si l’entrepreneur n’a pas envisagé cette situation lors de la soumission.

En somme, il est important, lorsque la mai­trise d’œuvre revient de facto à une entreprise de compétence fédérale de regarder le con­texte factuel et contractuel afin d’élucider la question de la détermination de la maitrise d’œuvre sur le plan de la législation provin­ciale. Les entrepreneurs devraient prendre en considération la responsabilité tant sur le plan civil que pénal ainsi que le risque financier au­quel ils s’exposent en acceptant une clause de délégation de la maitrise d’œuvre. Chaque cas est un cas d’espèce qui devra faire l’objet d’une analyse approfondie.