Nous sommes ce mal nécessaire


Nous sommes ce mal nécessaire

La SST représente pour plusieurs gestionnaires une dépense voire une perte financière basée sur des économies d’évènements qui ne sont pas survenus. Qui dit d’ailleurs que ces évènements seraient survenus ? La SST n’est-elle alors qu’un mal nécessaire ?

Kathleen Côté

En octobre dernier, j’ai décidé de m’inscrire à un cours d’écriture offert par Marc Fisher pour le plaisir d’y découvrir des trucs qui pourraient éventuellement, je l’espère, me servir. Et pourquoi pas? Peut-être pouvais-je en tirer quelques conseils pour conserver l’intérêt de mes lecteurs au fil du temps, une fois l’effet de nouveauté dissipé. Impatiente d’en savoir plus sur les rudiments de la chose, j’ai quitté ma marmaille et la maisonnée à la bourre pour m’assurer d’une meilleure place. Évidemment, en bonne caféinomane que je suis, je ne peux quand même pas humainement penser assister à une formation sans un bon café. Dès ma sortie du métro et sur ma route vers le Centre Saint-Pierre, je pars en mission pour trouver cet élixir. Il faut bien combler cette rêveuse idéaliste un brin hyperactive qui fut distraite par cette faune urbaine bigarrée qui, ma foi, pourrait être un bon sujet d’études anthropologiques, sociales et culturelles. Parmi les premières arrivées, je m’attable, au milieu de la salle, face à l’écran. Je me joins à deux personnes m’ayant précédée. Une femme à ma droite et un homme à ma gauche. Je me présente, tout sourire, en offrant une poignée de main. La femme me répondit par un sourire timide et désintéressé alors que lui, me sourit plus franchement, appréciant définitivement d’être approché.

– Bonjour, qu’est-ce qui vous amène ici aujourd’hui ?– Je ne sais pas trop. J’essaie de trouver des trucs pour publier mon livre.

– De quoi parle votre livre ?

– De mon expérience de voyage. Je suis allé six mois en Amérique du Sud en moto avec un ami. J’ai vécu toutes sortes d’aventures. Quand je publiais sur Facebook mes histoires, mes amis m’ont demandé si je pensais vouloir écrire un livre. Comme ça les intéressait, j’ai pensé que d’autres motocyclistes pourraient aimer mon histoire.

– Qu’est-ce que vous faites dans la vie comme travail?

– Je suis surintendant.

– (…) Vraiment? Vous êtes surintendant? Donc, je comprends que sur les 200 personnes ici présentes, je suis assise à côté du (probablement) seul surintendant et qui écrit des livres en plus ?

– (…) Qu’est-ce que vous voulez dire? Et vous, qu’est ce qui vous amène ici?

– Comme vous, j’essaie de trouver des trucs. J’écris pour la revue Travail et santé. Je travaille en SST actuellement dans le domaine de la construction. Vous savez, celle qui vous dit de respecter le Code et de porter vos ÉPI. La fatigante, c’est moi. Aujourd’hui, je ne vous parlerai pas du port des lunettes ou des bottes.

– Pas de la SST. Et une fille en plus. Vous ne devez pas l’avoir facile tous les jours vous. Au moins, vous n’avez pas l’air du genre à vous en faire imposer trop. Tant mieux, il est temps que ça change dans le milieu. Moi, je crois en la SST. Le problème se sont les plus bas soumissionnaires. On a plein de responsabilités, surtout celle de faire plus vite avec moins, et sans perdre de l’argent.

– Je suis contente de vous l’entendre dire. Au Québec, on a du chemin à faire sur le plan de la SST sur les chantiers. Je ne comprends pas pourquoi nous sommes si en retard par rapport aux autres provinces. Pourtant, la SST c’est important. C’est un peu comme la qualité, dans le temps. On les haïssait, car elle ne rapportait pas de l’argent immédiatement et on ne voyait pas les retombées. De nos jours, c’est moi, ça. Celle qui coute de l’argent aux entreprises qui économisent sur le cout d’un non-évènement potentiel. Bref, ce mal nécessaire.

– Pourquoi tu n’en fais pas une chronique?

– De quoi?

– Du mal nécessaire? Il me semble qu’il y aurait beaucoup à dire pis ça fait un bon titre accrocheur.

– Ouais… pourquoi pas? Déjà qu’on m’a autrefois  qualifiée de menteuse, fouteuse de troubles et de jalouse, je pourrais rajouter l’épithète « mal nécessaire» à ma longue liste de compliments et de maux doux.

– J’ai hâte de vous lire, vous êtes tout un numéro.

– Merci. D’habitude on me dit que je suis farfelue.

Perception négative de notre métier, vraiment?

La perception négative de notre métier est le reflet d’une réalité plus que certaine. Pour une entreprise, on ne se le cachera pas, la SST est considérée comme étant principalement un poste de dépense. La SST rapporte sur un potentiel évènement évité, sur ce non-évènement qu’on aura pu contrôler avant qu’il devienne un évènement. Oui et même en quasi prédisant les Act of God (évènement naturel rendant complètement impossible le respect d’une obligation légale ou contractuelle) tel un oracle, ces imprévus qui viennent gâcher votre plus beau plan de contingence et de continuité des affaires. Ceux-là qui vont permettre aux gestionnaires de se justifier de toute mise en place de mesures correctives et renverser vos projections par un couperet digne d’une politique d’austérité gouvernementale.

Mise en situation

– M. Lalicorne, la gravité de cette tâche est évaluée à catastrophique. Puis, en fonction de la fréquence et de l’exposition, la probabilité de survenance fait que le risque est tel que la compagnie pourrait écoper d’une amende sérieuse. Pire encore, voir un de ses dirigeants accusé de négligence criminelle. Cette tâche est critique et fait partie intégrante de nos opérations quotidiennes. Soit nous modifions notre procédure de travail, soit nous investissons dans un nouveau système ou dispositif de sécurité.

– Quoi? Qu’est-ce que vous dites ? Il n’est jamais rien arrivé en 20 ans alors pourquoi j’investirais une cenne sur des mesures correctives ?

– Pourtant, je vous assure que SI nous avions un accident mortel ou alors s’il y avait une atteinte permanente grave, les conséquences pour l’entreprise pourraient être désastreuses.

– Vous autres de la SST, vous êtes juste des malades. Vous coutez de l’argent, vous empêchez la production puis c’est quand même la rentabilité de l’entreprise qui paye votre salaire. (…)

Avouez que cette situation est loin d’être rarissime dans notre domaine. C’est un peu comme dans cette comédie Le jour de la marmotte où Phil Connors, ce présentateur météo sur une chaine de télévision régionale de Pittsburgh, revit le même jour jusqu’à ce qu’il ait donné un sens à sa vie, soit devenir une personne accomplie et empathique. En SST, c’est donc le même genre de situation et d’opposition qui se répète à l’infini comme cette spirale du cercle de qualité totale (Planifier – Développer – Contrôler – Ajuster) que revit le professionnel de la SST. Par contre, pour ce qui est de trouver le sens à notre vie, des fois j’admets qu’il y a des jours où je me plais à rêvasser d’une vie de barista d’un sympa café de quartier sans me farcir les sempiternelles excuses maintes fois remâchées pour se déresponsabiliser et se justifier de toute inaction.

Notre valeur ajoutée

Pourtant, le professionnel de la SST devrait être en mesure de démontrer sa valeur ajoutée autrement qu’en passant par les traditionnels indicateurs de performances réactifs. De toute façon, ils sont si souvent galvaudés pour se conforter et dépeindre un portrait maquillé qui plait tant aux administrateurs et aux clients. Paradoxalement, ces indicateurs visent une diminution des accidents du travail et des maladies professionnelles par une réduction des couts directs alors que d’autres actions proactives se traduisent plutôt par de la réelle prévention au travail. Pourtant, ces actions atteindraient l’objectif de réduire le nombre d’accidents par un meilleur diagnostic posé.

Si la SST est négligée, tout le monde y perdra. Les avantages économiques d’une bonne SST pour les petites et grandes entreprises sont considérables. Le professionnel de la SST apporte ainsi les bénéfices suivants à l’entreprise par :

  • la création de meilleures conditions de travail possibles au sein de l’entreprise ;
  • l’identification des dangers et la mise en place des contrôles pour leur gestion par l’analyse des risques selon des scénarios vraisemblables ;
  • la mobilisation et la motivation du personnel avec des conditions de travail meilleures et plus sures ;
  • la démonstration de sa conformité auprès des clients et des fournisseurs ;
  • une réduction des pertes matérielles ;
  • la favorisation des bonnes pratiques ;
  • le meilleur suivi des exigences légales et règlementaires appropriées ;
  • la meilleure maitrise de l’impact de la responsabilité pénale ;
  • le rehaussement de la culture sécurité au sein de l’entreprise ;
  • en donnant le moyen de contrôle supplémentaire de la gestion en place.

Cette fameuse culture SST

Une culture SST se définit par les principaux déterminants de l’entreprise en question ce qui sous-entend sa mission, ses valeurs et stratégies qui influencent ses structures organisationnelles comme son style d’opération, de sélection et de développement du personnel et leurs qualifications (Modèle McKinsey’s) (6). Si nous sommes ce mal nécessaire, il ne faut pas perdre de vue que chaque entreprise possède sa culture SST, qu’elle soit positive ou neutre, tout comme ses leaders, qu’ils soient positifs ou négatifs.

Les gestionnaires, et surtout la haute direction, entretiennent la croyance que les professionnels SST représentent un cout net difficilement évaluable et que leur apport stratégique dans les entreprises est difficile à estimer à sa juste valeur. Ces gestionnaires qui embauchent les professionnels en SST pensent plus souvent qu’autrement, et à tort, que ces derniers abattront le sale boulot, seront les seuls agents du changement et pourront, grâce à eux, se soustraire en quelque sorte, de leur obligation SST, car, après tout, nous sommes payés pour ça. Or, dans le milieu de travail, chacun, tant les employeurs que les employés, est responsable d’assurer sa propre sécurité et celle des collègues de travail.

Je dois confesser que je trouvais terriblement cliché qu’on ose affirmer que la haute direction doive prêcher par l’exemple et être l’instigatrice en matière de SST. Cliché certes, mais c’est LA condition essentielle pour le succès de l’implantation d’un système de gestion de la SST. En effet, si ces derniers ne font que reformuler des phrases creuses pour bien paraitre devant la présidence et le CA, alors l’implantation est quasi vouée à l’échec. Bon, plusieurs objecteront en disant : Bien non Kat, voyons, c’est la communication qui est LA condition essentielle, car sans communication, rien ne passe. L’oeuf ou la poule ? Je maintiens que le leadership est le plus important, car la communication non verbale est cohérente et parle tout autant surtout pour les employés de plancher devant leur supérieur immédiat. On copie les comportements de la masse, qu’ils soient positifs ou négatifs.

Et le mot de la fin

Si la haute direction ne voit ni les bénéfices qu’un système de gestion de la SST peut apporter ni son professionnel en SST, elle croira également que seul ce dernier doit faire vivre ce système, sans réel appui de sa part ni de ses cadres intermédiaires. Bref, dans ce type de culture SST déficiente, on ne retiendra que ce qui fait notre affaire tant que ça ne demande pas un effort et des ressources supplémentaires. En cas de résistance, d’évènements fâcheux ou encore d’accidents, on dira alors que le professionnel de la SST n’a pas bien communiqué les changements ni fait son travail adéquatement. Bref, vous deviendrez cette tête de Turc plutôt que d’avoir été cet éveilleur de conscience collective ou ce stratège béhavioriste.

Maintenant, qui oserait encore nous qualifier de mal nécessaire au juste ?

NB : Au moment de mettre mon article sous presse (rédigé en novembre 2016), une publication de Bernard Fort, datée du 16 décembre 2016, Stop au HSE bashing ! circulait sur le réseau social LinkedIn et utilisait cette même expression Mal nécessaire en plus de traiter du même sujet (7). Belle coïncidence ou similitudes entre la réalité sur le terrain des professionnels de la SST de la France et du Québec ?