Opinion sur la marijuana – Impact de la légalisation de la marijuana pour nos milieux de travail


Opinion sur la marijuana – Impact de la légalisation de la marijuana pour nos milieux de travail

Très prochainement, la législation sur la marijuana entrera en vigueur au Canada. Comment les milieux de travail vont-ils réagir ? Comment vont-ils se préparer ? Est-ce que les campagnes d’information et de sensibilisation seront à la hauteur des besoins des employeurs ? Beaucoup de questionnements sont actuellement sur la table.

Daniel Béchard

Bien entendu, avec la légalisation de la marijuana qui arrive à grands pas, je ne peux m’empêcher, suite à mon dernier article (1), de traiter du sujet. Un sujet quant à moi qui me laisse avec beaucoup de questions sans réponse et, selon mes années d’expérience dans la matière, laisse peu de temps pour s’y préparer. Malheureusement avec un sujet aussi complexe, je peux à peine effleurer les questionnements majeurs que nous retrouvons actuellement de la part des milieux de travail.

Effets du cannabis, un enjeu inquiétant

Les effets du cannabis sur la santé sont mal connus. Nous manquons de preuves scientifiques et il y a plein d’idées préconçues concernant ces substances. Même si les gouvernements veulent en contrôler la possession à des fins personnelles, ils semblent ignorer jusqu’à quel point il est facile de cultiver du cannabis et d’en faire des bombes hallucinogènes lors du traitement de croissance de la plante elle-même. Pour avoir moi-même travaillé dans le milieu de la désintoxication, je suis en mesure de savoir qu’une plante de cannabis peut être traitée avec des substances de croissance hallucinogène avant même qu’elle atteigne son âge de maturité. Il est question ici du LSD, PCP, Surplus OIL THC et je ne serais même pas surpris prochainement de voir
apparaitre dans les composés chimiques du cannabis le Fantanil.

La Dre Gabrielle Gobbi, de l’unité de psychiatrie neurobiologique du département de psychiatrie du Centre Universitaire  de santé de McGill à Montréal, disait un jour : Est-ce  que vous donneriez du Prozac à vos ados ?

Selon moi nous sommes loin de connaitre les vraies caractéristiques du cannabis et il y a un grand écart entre la consommation médi­cale et récréative. Car ceux qui consomment pour des fins récréatives ne manquent pas d’imagination pour rendre les substances de plus en plus fortes et de plus en plus hallucino­gènes. En 2017 nous sommes loin du même effet lors de la consommation que dans les an­nées 70. Autrefois les effets du LSD procurant des hallucinations étaient réduits par la mari­juana. Aujourd’hui, suite à une mutation ma­jeure de la substance, le cannabis est devenu comme le LSD.

Incidence de la légalisation de la marijuana

Nous assistons à un changement radical des valeurs psychosociales et des enseignements parentaux que nous avons reçus dans les années 70. Lorsque je pense à la légalisation de la marijuana, je vois s’écrouler sous mes yeux tous les efforts accomplis par nos parents afin de nous tenir à écart de cette substance qui, à l’époque, n’était pas si dommageable comparativement à ce qui se retrouve aujourd’hui.

Nos milieux de travail vont assister à une nou­velle mutation de consommateurs. Pour avoir travaillé moi-­même pendant plus de 15 années dans les milieux de travail, à la prévention des drogues et de l’alcool, je suis plutôt perplexe quant aux moyens mis en place pour éviter des accidents majeurs. Imaginez qu’il a fallu plus de 50 ans jour après jour pour éduquer les travailleurs à ne pas consommer de l’al­cool pendant les heures de travail. Combien de temps faudra­t­il pour le cannabis ? Nous allons également assister à une croissance de consommation d’alcool, car une consomma­tion de cannabis entraine un phénomène de déshydratation.

Une diminution des rendements au travail se fera sentir. En effet, on sait que la consom­mation de cannabis apporte une diminution majeure de l’attention et que cela diminue éga­lement la capacité de partager l’attention entre deux tâches. Nous assisterons également à des effets nuisibles sur la mémoire à court terme en plus d’une réduction considérable de la capa­cité  d’apprentissage du travailleur.

Par exemple, il est important pour un tra­vailleur d’être en pleine possession de ses capa­cités motrices pour faire fonctionner de la machinerie. Or la consommation réduit les fonctions psychomotrices. Le temps de réac­tion et la coordination nécessaires au fonction­nement d’une chaine de montage seront réduits ainsi que le temps de la réaction cogni­tive vis-­à-­vis un accident potentiel.

Aspect légal

Les aspects légaux auxquels les employeurs devront faire face, incluant celui de la diligence raisonnable, pourraient bien prendre un tout autre sens. De plus, ont-ils les outils nécessaires pour gérer cela ? La Loi telle qu’elle est, leur accorde-t-elle la marge de manœuvre pour se protéger.

Qu’en est-­il également de la responsabilité des employés dans le contexte d’une diligence raisonnable ? Comment allons­nous doréna­vant appliquer la loi C­21, sur la négligence en cas d’accident majeur ? Toutes ces questions demeurent sans réponse laissant les organisa­tions du travail à elles-­mêmes. Avec la légalisa­tion de la marijuana, ne sommes-­nous pas assis sur une petite bombe à retardement ?

Attitude des consommateurs

Durant mes années de consultation dans les milieux de travail, j’ai côtoyé beaucoup de travailleurs qui étaient aux prises avec des problèmes d’alcool chronique, ce qui était parfois très problématique pour leur environnement de travail. La majorité se cachait derrière le fait que fumer de la marijuana c’est bien pire que l’alcool parce que c’est illégal et criminel. Cette façon de penser leur donnait une impression de minimisation de leur consommation puisque celle-ci était légale.

Avec la légalisation du cannabis, nous assisterons à l’éclosion de plusieurs types de consomma­teurs. Plus particulièrement, il y aura ceux qui ont toujours eu envie d’essayer de consommer de la marijuana, mais qui ne le faisaient pas dû au fait que cela était illégal. Mais, de plus en plus, certains employés ont déjà compris que dans le cas de la marijuana, c’est plus difficile à la dé­tecter, puisqu’aucun moyen d’expertise solide n’existe encore.

Le test de dépistage urinaire permet le dépis­tage rapide d’une consommation de cannabis et cela jusqu’à deux à sept jours après une prise occasionnelle. Chez les consommateurs chro­niques, les taux de THC­COOH y étant très élevés, les tests peuvent les révéler beaucoup plus longtemps après la dernière consomma­tion. Mais, au Canada, et sauf exceptions, ces tests ne peuvent être faits sans l’accord de la personne concernée.

Notons l’exemple des travailleurs exposés à des tests aléatoires obligatoires. Ils sont beaucoup plus portés à la prévention et à l’arrêt de con­sommation que ceux qui se cachent derrière la charte des droits de la personne, sous prétexte que l’employeur n’a pas le droit de procéder à des tests aléatoires.

Le consommateur de cannabis constate que la substance contribue à modifier considérable­ment son humeur, fait disparaitre ses com­plexes, le stimule à la détente et lui permet de faire face plus paisiblement aux problèmes quo­tidiens. Une nouvelle génération d’employés naitra, ceux qui vont méditer sur les heures de travail.

Il ne faut également pas oublier l’effet d’en­grenage, qui amène le consommateur occa­sionnel à une consommation régulière qui crée une dépendance. Bien que d’autres substances soient plus toxicomanogènes que la marijuana, celle-­ci demeure toutefois à craindre. Même si la dépendance est moins violente, elle est tout aussi sournoise. Elle se développe peu à peu sans même que le consommateur ne s’en rende compte.

Quant à moi, les milieux de travail seront rapidement envahis par différentes probléma­tiques rattachées à la consommation. Pour n’en nommer que quelques­-unes :

• baisse de production ;
• hausse d’accidents du travail mineurs et majeurs ;
• absentéisme ;
• présentéisme ;
• désocialisation des groupes de travail ;
• formation de groupes de distribution au travail ;
• isolation du consommateur de cannabis au travail ;
• dépression majeure ;
• etc., etc.

Secteur hautement à risque

Certaines compagnies pétrolières canadiennes ont exprimé ouvertement leurs inquiétudes par rapport aux dangers occasionnés par des ouvriers intoxiqués.

Enform, une organisation qui s’occupe des questions de sécurité au travail dans l’Ouest canadien, en collaboration avec les pétrolières et l’industrie gazière s’est penchée sur beau­coup de ces questionnements. Une question de­meure : où sont les études qui dressent la liste des effets ressentis de 24  heures à 48  heures après l’absorption de l’ingrédient actif du THC ?

Les réflexions des entreprises portent sur des moyens de détecter efficacement et à tout mo­ment la présence de substances psychoactives dans le sang des employés. Plusieurs tests exis­tent déjà soit à l’embauche ou lors d’un acci­dent de travail.

En conclusion

De mon point de vue personnel, je crois que nous ne sommes pas prêts pour la légalisation de la marijuana. Le gouvernement fédéral ne tient nullement compte des impacts négatifs majeurs tant du côté du milieu de travail que sur notre génération actuelle en rapport avec les substances toxicogènes.

Les études scientifiques sont encore loin de comprendre le phénomène de la consomma­tion du cannabis et d’en connaitre ses réels composants, puisque les producteurs ne man­quent pas d’imagination pour en faire une substance de plus en plus forte d’une fois à l’autre. Et ce n’est pas parce que le fédéral va en prendre le contrôle qu’ils vont le contrôler pour autant. Au contraire. Selon moi, nous ve­nons ouvrir une boite de Pandore qui sera difficile à refermer et à contrôler, lorsque la porte sera toute grande ouverte.

Les provinces seront aux prises avec la problématique et devront mettre en place les mesures de contrôle appropriées. Il est bien beau de définir des balises en termes de quantité, de hauteur et de qualité, mais cela va bien au deçà de la réalité. La sécurité de la population sera mise en cause. Pour faire pousser quatre plants de cannabis, il faut utiliser des systèmes de lumière et d’arrosage sophistiqués. Nous allons retrouver des installations artisanales par manque de budget de la part des consomma­teurs et ces installations de fortune peuvent mettre en danger la vie des individus. Il ne faut pas oublier non plus les propriétés à loge­ments qui seront parfois aux prises avec de la culture de cannabis, ajoutant de l’humidité aux immeubles.

Pour ce qui est des milieux de travail, je pré­fère parler de mutation plutôt que d’un retour en arrière de 20 ans. Et quand je dis mutation, je fais  référence à une toute nouvelle généra­tion de consommateurs. Dans l’édition du samedi 23  septembre 2017, du Journal de Montréal à la page 34, on pouvait lire que le gouvernement allait évaluer le prix du marché noir pour déterminer le prix de la marijuana. Qui aurait dit que le marché noir de la drogue contribuerait un jour à aider le gouvernement dans une planification de budget pour devenir eux­-mêmes des marchands de rêve. Il est un peu drôle de voir qu’il n’y a pas plus d’un an le gouvernement parlait de guerre contre les trafiquants et que maintenant nous parlons de compétition. Voilà ce qui m’apparait une mu­tation majeure.

Comme je le mentionnais dans mon dernier article (1), ayant moi­-même dû faire face à mes propres démons intérieurs et ayant subi l’in­fluence sociale qui m’a conduit vers une consommation abusive, nous sommes loin d’une solution. Si depuis quelques années nous avons réussi dans les milieux de travail à nous éloigner des méthodes d’intervention radicales, pour faire place à de la sensibilisation et pré­vention, nous assisterons à un retour à la source, soit la possibilité d’appliquer des interventions radicales, pouvant aller jusqu’au congédiement immédiat.

Plus que jamais les entreprises doivent prendre au sérieux la légalisation de la mari­juana. Même si les gouvernements veulent mettre en place les mesures nécessaires afin de tenter d’obtenir un équilibre, les lois devront être adaptées à la nouvelle réalité. La responsa­bilité en matière de santé et sécurité appartient à l’employeur et il en va de même concernant le contexte de travail dans lequel les employés évoluent.

Sur ce, je continue de croire que cette légali­sation est prématurée et qu’elle devrait être beaucoup mieux encadrée. Il faudrait aussi en évaluer globalement les impacts avant sa mise en application.