GESTION SST

PROGRAMME DE PRÉVENTION OU PLAN D’ACTION SST – Est-ce la même chose ?

Alain Daoust1

Il y aurait un intérêt certain à remplacer le programme de prévention, perçu comme étant trop rigide, par une approche par plan d’action, une formule plus dynamique, centrée sur l’identification, la correction et le contrôle des dangers en milieu de travail.

Vous êtes propriétaire ou dirigeant d’une petite entreprise d’une vingtaine d’employés.
Selon votre perception des choses, vous n’êtes pas dans un groupe à très haut risque. Vous vous dites donc : « C’est bien, on n’a pas à développer de plan d’action SST ou de programme de prévention ! » Mais en êtes-vous bien certain ?

En effet, plusieurs semblent croire qu’il n’est pas nécessaire pour toutes les entreprises d’élaborer un plan d’action spécifique à la santé et à la sécurité. Ils sont convaincus que seules les entreprises des groupes prioritaires (1) ont une obligation semblable, en l’occurrence, celle de développer et de présenter à la CNESST un Programme de prévention de l’établissement. Mais l’ensemble des entreprises est-elle vraiment dispensée d’une obligation similaire ou à tout le moins de développer un plan d’action qui oriente les activités SST ?

Le programme de prévention

Le Programme de prévention de l’établissement est une obligation légale pour les entreprises qui ont été jugées à risques élevés. Au Québec, les entreprises des secteurs privés et publics ont été répertoriées en six catégories d’établissements. Grosso modo, celles des trois premières catégories sont visées entre autres par l’obligation de mettre en oeuvre un programme de prévention. L’article 58 de la LSST en souligne l’obligation :

58. L’employeur dont un établissement appartient à une catégorie identifiée à cette fin
par règlement doit faire en sorte qu’un programme de prévention propre à cet établissement soit mis en application (…).

Ce programme est assujetti à un règlement spécifique et à la LSST qui en précisent le contenu (2). Il doit être déposé auprès de la CNESST et être mis à jour régulièrement, notamment en matière d’adaptation aux normes règlementaires :

60. L’employeur doit transmettre (…) à la Commission ce programme et sa mise à jour
(…), dans les délais prescrits par règlement.

Le rapport Camiré

Un rapport présenté à la CSST d’alors en décembre 2010, le rapport Camiré (3), précisait ce qui suit au sujet du Programme de prévention de l’établissement :
(…) il y aurait un intérêt certain à remplacer le programme de prévention, perçu comme étant trop rigide, par une approche par plan d’action, une formule plus dynamique, centrée sur l’identification, la correction et le contrôle des dangers en milieu de travail.

Outre ce commentaire sur la rigidité du programme de prévention, le rapport Camiré parlait de l’immobilisme qui a prévalu au Québec depuis l’adoption de la LSST sur le fait que l’obligation de produire un tel programme ne s’est pas étendue aux autres secteurs d’activité économique (4). Cet immobilisme a d’ailleurs fait perdre à la province ses acquis en « matière de mécanismes de prévention et de participation à la prise en charge » SST face aux autres provinces canadiennes qui maintenant, sont en avance sur les réalisations québécoises (5).

Pourtant, les obligations prévues à l’article 51 de la LSST sont semblables aux exigences retrouvées à celles du Programme de prévention de l’établissement à l’article 59. Les différences essentielles se retrouvent dans l’obligation de dépôt du programme et de ses mises à jour à la CNESST. Lorsque l’on compare chacune des obligations des articles 51 et 59 qui incitent à la prise en charge, il n’y a guère de différence en matière d’obligations règlementaires.

La recommandation du rapport Camiré, à l’effet de remplacer le programme de prévention, perçu comme étant trop rigide, par une approche par plan d’action tombe sous le sens. En effet, un Plan d’action, centré sur l’identification, la correction et le contrôle des dangers en milieu de travail demeure le meilleur moyen pour toutes les entreprises de protéger les travailleurs et d’instaurer la prise en charge.

Mais au juste, où les participants au groupe de travail Camiré ont-ils pris cette notion de prise en charge via l’identification des dangers et des risques adossée à des actions concrètes de suivi ? N’est-elle pas déjà enchâssée aux articles
51.3 et 51.5 de la LSST ?

51. L’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique du travailleur. Il doit notamment :
3 ° s’assurer que l’organisation du travail et les méthodes et techniques utilisées pour l’accomplir sont sécuritaires et ne portent pas atteinte à la santé du travailleur ;
5 ° utiliser les méthodes et techniques visant à identifier, contrôler et éliminer les risques pouvant affecter la santé et la sécurité du travailleur ;

Intéressant n’est-ce pas ? Cet article 51, qui comporte quinze éléments obligatoires et qui s’adresse à tous les employeurs, est le point d’ancrage de la démarche SST de l’entreprise.

Le plan d’action SST

Le plan d’action SST est-il donc obligatoire pour toutes les entreprises ? Pour nous aider à y répondre, consultons le Tableau 1 de cet article, lequel reprend l’article 51 de la LSST. Cet article énonce les obligations et les responsabilités des employeurs en matière de santé et de sécurité au travail (SST). Ces obligations sont nombreuses et ne peuvent être laissées au hasard. D’ailleurs l’article 51 donne la possibilité à la Commission d’élaborer des règlements qui détaillent davantage les énoncés généraux prévus à l’article 51. C’est pourquoi 48 règlements ont été prévus pour l’application de la loi (6). Comment un employeur, petit, moyen ou grand, peut-il mettre en place tous ces éléments autrement qu’en élaborant un plan d’action précis ? D’autant plus qu’il a une obligation de diligence raisonnable l’enjoignant de démontrer son devoir de prévoyance, d’efficacité et d’autorité.

En résumé, l’article 51 oblige l’employeur à :
• Faire l’inventaire des dangers et des risques du milieu de travail et des tâches incluant les
contaminants ponctuels ;
• Produire une liste des contaminants et la communiquer ;
• S’assurer que les lieux et les équipements soient sécuritaires ;

• Entretenir les équipements ;
• Procéder à la surveillance du milieu de travail ;
• Former et informer le personnel ;
• Désigner du personnel responsable des questions de SST ;
• Superviser adéquatement le travail ;
• Etc.

Lorsqu’une entreprise laisse au hasard la gestion SST et néglige de repérer les dangers et les risques du milieu de travail, elle joue en quelque sorte avec le feu. Est-il donc possible de mettre tout cela en place sans développer un plan d’action spécifique à l’établissement ? La jurisprudence en matière de SST répond d’un non catégorique. Le bon sens aussi.

Le dilemme des petites entreprises

Les petites et très petites entreprises font face à un dilemme : comment faire ? En réalité, la démarche prévue par la loi doit s’adapter à la dimension et aux ressources de chacun. Développer et maintenir un plan d’action SST qui soit viable est possible, même avec peu de ressources. Que vous soyez petit ou grand, vous pouvez faire l’inventaire de vos dangers et vos risques ainsi que mettre en place des mesures de prévention efficaces, cela fait partie des couts d’opération d’une entreprise. Ces couts doivent être prévus. De nombreux employeurs l’ont déjà fait avec succès.

Par exemple, dans le cadre d’un des cours que j’ai l’occasion d’enseigner à l’Université du Québec (7), les étudiants doivent effectuer un travail pratique consistant à faire l’inventaire des dangers et des risques d’un employeur et élaborer un plan d’action qui s’y rattache. Ils doivent ensuite présenter ce plan d’action en classe. Au cours des années des centaines d’étudiants ont sollicité de petits employeurs et leur ont offert de faire cet exercice avec eux. Résultat ? Des dépanneurs, des salons de coiffure, des restaurants, des garages du coin et j’en passe, on bénéficié de cette démarche et ont vu comment c’est possible et pas si couteux finalement !

Conclusion

Pour conclure, revenons au rapport Camiré. Ce dernier, nous l’espérons verra quelquesunes de ses recommandations être appliquées par la CNESST. Le rapport est passé inaperçu dans plusieurs milieux qui auraient bénéficié de ses observations. Il ne faudrait pas que celles-ci demeurent lettre morte, surtout en ce qui concerne l’obligation claire pour tous les
employeurs de mettre en place un plan d’action SST concret, suivi et permettant une véritable prise en charge du milieu de travail.


1 – Alain Daoust – CRIA; CRSP, CHARGÉ DE COURS, UNIVERSITÉ DU QUÉBEC EN
ABITIBI-TÉMISCAMINGUE [alain.daoust@uqat.ca]

Références bibliographiques

    1. Les catégories ou groupes prioritaires sont déterminés en vertu de la LSST et de ses règlements. Il s’agit des secteurs d’activités à plus haut risques et auxquels des obligations supplémentaires sont attribuées, telles que la mise en place obligatoire d’un comité santé et sécurité, de la nomination d’un représentant à la prévention pour les travailleurs, de l’élaboration d’un programme de prévention spécifique à l’établissement et d’un programme de santé.
    2. Voir la Loi sur la santé et la sécurité au travail du Québec (LSST) article 58 et Règlement sur le programme de prévention (S-2.1, r.10).
    3. LSST, article 51.
    4. Le Rapport Camiré, page 60, paragraphe 1.
    5. Le Rapport Camiré, page 60, paragraphe 3. Voir aussi page 10, paragraphe 1 du rapport.
    6. Sans compter le Règlement sur les normes minimales de premiers secours et de premiers soins qui découle de la LATMP, A-3.001, r.10.
    7. Il s’agit du cours SST 1014 dispensé à l’UQAT. Le soussigné enseigne également au premier cycle en sciences de la gestion et au second cycle en sciences de la santé.