Promotion de la santé – Le futur est déjà présent


Promotion de la santé – Le futur est déjà présent

La révolution numérique modifie de plus en plus rapidement la réalité du travail humain, avec toutes les conséquences que cela implique. Mais elle s’accompagne aussi de l’opportunité d’opérer un virage nécessaire vers la promotion de la santé au travail.

Rita Naji

Bienvenue dans l’économie de cerveaux. La place des tâches cognitives a graduellement augmenté au fil des révolutions ayant bouleversé le monde du travail. On peut prévoir un accroissement exponentiel de la charge cognitive du travail humain avec l’évolution numérique et l’avènement d’algorithmes prédictifs se nourrissant de données massives.

La force cérébrale humaine demeure le moteur d’une organisation. Mais de nouveaux outils viennent amplifier cette force. Apprendre à travailler en synergie avec une nouvelle forme d’intelligence artificielle autonome sera un défi de taille pour l’humanité.

Or, cette évolution économique et technologique s’accompagne déjà d’une hausse des problématiques de santé mentale au travail (1,2). Plusieurs réalités s’y rattachent, notamment, le présentéisme, l’absentéisme, l’invalidité, le roulement de personnel, la dégradation du climat de travail, etc. (3). Des tâches aliénantes dans un environnement de travail pathogène n’est plus toléré : cette exigence augmente, d’ailleurs, inéluctablement, au fur et à mesure de l’alphabet des générations X, Y, Z.

Cultiver le capital santé, essentiel

La réussite d’une organisation repose sur le défi de pouvoir attirer des talents autonomes ayant, entre autres, la capacité d’adaptation, d’analyse et de créativité, indispensable dans le futur monde du travail. Ceci, tout en maintenant, dans la durée, ces précieux attributs chez les personnes.

Puis une nécessité s’impose désormais: celle de mettre les moyens afin d’améliorer la santé des individus et de l’organisation, pour faire fructifier le capital humain d’une organisation et fidéliser ses talents.

Comme solution, de plus en plus d’entreprises au Québec, et à travers le monde, mettent en place des programmes de promotion de la santé afin de répondre à ces nouveaux défis, rester compétitifs et cultiver leur image de marque auprès de leur clientèle (4).

Un virage vers la promotion de la santé

La promotion de la santé vise à donner la capacité aux individus d’atteindre une santé physique, psychologique et un bienêtre désiré (5). C’est une approche qui, simultanément, implique les individus et tend à modifier leurs environnements afin de favoriser leurs choix santé. Les personnes sont donc des acteurs proactifs, autonomes et experts de leurs besoins et des moyens pour les combler.

En somme, on souhaite l’autonomisation des travailleurs: les aider à acquérir et renforcer leurs habilités, leur sentiment de contrôle sur leur santé et leur vie (6). Ce qui favorise, in fine, leur estime personnelle, leur confiance en soi et leur esprit d’initiative. Des ingrédients d’un cercle vertueux qui nourrissent d’ailleurs les si précieux attributs des talents recherchés pour leur créativité, leur esprit critique et innovant.

Ce processus d’autonomisation est pertinent dans le contexte actuel. Les travailleurs doivent s’adapter de plus en plus rapidement à des nouveaux outils numériques, pour rester compétitifs. Dans cette zone d’apprentissage constante, en position d’équilibriste, lestée par des obligations de performance, notre santé mentale est plus vulnérable. De là, provient la nécessité de cultiver, de manière proactive, la santé psycho logique, pas uniquement pour les employés à risque ou de retour d’invalidité.

Pratiques exemplaires

La littérature en santé publique regorge de pratiques exemplaires de programmes de promotion de la santé qui détaillent les conditions de réussite d’initiatives santé en milieu de travail et dans les communautés (7,8).

Alors, autant s’appuyer sur ces connaissances avant d’investir de l’énergie et des ressources dans un programme de promotion de la santé. Et, qui sait, ce faisant, on pourrait aboutir à une prise à coeur de la santé et la sécurité par les employés, de manière intrinsèque, sans bâton, ni carotte.

En somme, le soutien et l’engagement de la direction constituent un facteur déterminant incontournable dans le succès d’initiatives de promotion de la santé. Mais cela n’est évidemment pas suffisant. Car, malgré la bonne volonté de la direction, le niveau de réussite d’une intervention va dépendre de plusieurs facteurs dont : le contexte d’application, la perception des employés, leur mobilisation, ou, encore du niveau d’adaptation du programme pour accompagner efficacement les changements de comportements (5,6).

Choisir ou créer le bon moment

On peut se demander si l’organisation est prête pour un programme de santé ? La réalité est qu’il y a rarement un contexte idéal d’implantation d’un programme de santé. Ce moment doit se créer et se préparer avec tous les acteurs concernés. Prendre en compte les changements déjà en cours et adapter le programme de promotion à cette réalité de l’organisation est central.

Lorsque les employés vivent déjà, par exemple, une restructuration organisationnelle ou une nouvelle implantation technologique, lancer un programme de promotion de la santé peut entrer en compétition avec les priorités et les ressources de l’organisation voire même être perçu négativement par les employés (9). En être conscient permet d’imaginer des moyens pour intégrer les changements demandés ou mieux préparer la direction et les employés à ce double changement de
pratiques et d’organisation du travail.

Il faut donc analyser la perception des employés quant à la motivation des dirigeants à mettre en place ce programme, à ce moment-là, pour éviter tout cynisme, sabordage ou désengagement. Sans les ressources ou l’engagement nécessaires à l’atteinte des objectifs, l’échec d’un programme de promotion est assuré (10).

La santé dans chaque décision

Plus les objectifs de la promotion de la santé des employés sont imbriqués dans la mission et les orientations d’affaires, plus les changements de comportements et de pratiques, dans l’organisation, seront réels et pérennes (5).

La raison d’être d’un programme de santé doit être multiple, cohérente et fédérer l’en semble des acteurs. Il faut que les leadeurs croient fondamentalement au lien entre la santé et la productivité ; mais aussi leur motivation doit être habitée par une réelle volonté d’améliorer la santé et le bienêtre au travail des employés.

Pour éviter des conflits de valeurs au sein de l’organisation, qui peuvent paralyser les actions, la nécessité des changements doit être éthique, et être perçue comme telle par les bénéficiaires du programme.

Les expériences de programmes de santé basés sur la collaboration ont montré qu’ils suscitent la créativité et l’engagement des participants. Ceci permet d’aboutir à des interventions ancrées dans la réalité de l’organisation, plus efficaces, moins couteuses et au pouvoir mobilisant plus grand (6).

Une occasion en or

La création d’un programme de santé repré sente une occasion en or pour mobiliser.

Le soutien indéfectible de la direction est aussi important que l’implication constante des employés. L’approche itérative ascendante et descendante est incontournable en santé. Ce constat est le fruit des apprentissages conduits sur plus de 100 ans de programmes en santé publique.

Pourquoi la participation des employés figure-t-elle comme un aspect si critique pour la réussite d’un programme intégré de santé ? Parce qu’elle permet justement cette autonomisation, au coeur de l’approche de la promotion de la santé (7). La meilleure façon de susciter l’implication des intéressés est de les inclure tout au long de la décision d’implanter un programme de santé, de sa création jusqu’à son évaluation.

La rétroaction grâce aux avis et perceptions des personnes touchées par les interventions force l’amélioration continue. Avec cette approche on construit un programme évolutif, sur mesure, et qui s’adapte à la réalité de l’organisation. Il s’agit de caractéristiques incontournables pour atteindre les objectifs décidés conjointement avec les employés.

La théorie, c’est aussi pratique

Plusieurs facteurs bonifient ou affectent la santé. Pour atteindre les changements escomptés, connecter nos expériences humaines aux théories aboutit à des interventions de promotion de la santé, holistique, plus efficaces.

Face à la complexité, les théories aident beaucoup. Par exemple, le modèle des croyances relatives à la santé, à la base de l’approche d’éducation à la santé, sert à orienter le message et les interventions en fonction de la perception de vulnérabilité, de la gravité, des bénéfices et des barrières à l’action des individus. Quant à la théorie sociale cognitive, elle aide à prioriser les actions en détaillant les interactions entre les facteurs personnels, environnementaux et les comportements humains. Rajoutons, si nécessaire, le modèle de gestion de la peur relative à la santé. Il permet de réajuster les messages de sensibilisation lorsqu’il s’agit d’un danger de mort. Cette théorie clarifie les mécanismes de défense face à un message trop confrontant qui peut, paradoxalement, être un frein au changement de comportement (11,12).

Enfin, le modèle PRECEDE-PROCEED est un outil précieux pour qui veut mettre en place un programme de santé. Multidisciplinaire et multidimensionnel, il repose sur une approche participative et permet d’intégrer, de manière pragmatique, plusieurs théories pertinentes (13).

Changer les comportements est-il réaliste ?

Les comportements humains sont complexes, mais complexe ne veut pas dire compliqué. Les pratiques exemplaires en santé, se basant sur les théories de plusieurs champs disciplinaires, sont très claires sur les leviers efficaces de changement de comportements.

Une arme redoutable, qui a fait ses preuves, est de personnaliser les messages et les interventions en fonction du niveau de sensibilisation des individus. Cela permet de proposer différentes interventions selon les cibles, avec des messages adaptés et évolutifs (7).

Les personnes changent de manière progressive et cyclique, avec des rechutes, des besoins de renforcement des comportements. Dès le début, et à travers le temps, le programme doit se réajuster en fonction de cette dynamique. À cet égard, le modèle transthéorique du changement de Prochaska et DiClemente, est incontournable en promotion de la santé. Sous forme de stades ou d’étapes de changements ce modèle permet d’identifier le niveau d’intention à l’action (précontemplation, contemplation, préparation, action, maintien, et terminaison) (14).

Dans cette optique, on veut faire cheminer les employés vers les étapes de conscientisation pour les mener à l’action. Donc c’est un objectif double soit celui d’augmenter la conscience face à la nécessité de changement et de nourrir le sentiment d’efficacité personnelle et collective face à l’action.

Le futur des interventions

Les interventions basées sur les technologies numériques permettent d’atteindre un niveau de personnalisation des messages très élevés. Ces outils novateurs s’avèrent puissants pour amener des changements de comportements, du moins, lorsqu’intégrés à un programme global de promotion de la santé au travail (14,15).

Par exemple, via une application web ou sur téléphone, on peut sonder directement les besoins des employés, leur niveau de sensibilisation et suggérer les ressources ou les outils les plus appropriés en fonction de la réalité de leur environnement de travail.

Le futur ? Pousser plus loin la personnalisation des messages et l’autonomisation par l’automesure de nos risques à la santé. Les objets connectés permettent de générer des données sur nos habitudes de vie, nos paramètres de santé et de bien être. Les travailleurs pourraient ainsi utiliser des outils d’évaluation de leur risque sur leur santé qui ne cesseront de se raffiner, grâce aux algorithmes analytiques exploitant les données personnelles.

On n’est qu’au début de cette révolution, un défrichage éthique est clairement nécessaire face à ce nouveau territoire de santé numérisée.

Mais le potentiel est immense !