Quand LE RÉGIME s’en mêle


Quand LE RÉGIME s’en mêle

Nul ne peut le nier : un accident du travail ou une maladie professionnelle n’est jamais un évènement agréable dans la vie d’un travailleur. Pourtant, lorsque cela survient, celui-ci doit non seulement guérir, mais il doit également confronter un système administratif parfois difficile à comprendre.

Virginie Maloney

Ces tracas administratifs, combinés aux douleurs, aux limitations physiques et aux conséquences financières de l’accident du travail, peuvent devenir un élément aggravant de plus dans la voie vers la guérison. Il n’est pas rare que la santé mentale du travailleur en soit affectée et que celui-ci en développe une maladie, par exemple une dépression. Toutefois, la reconnaissance de l’état mental en relation avec l’accident est difficile à faire, ce qui peut priver le travailleur du remboursement des traitements. Au surplus, les tracas administratifs ne sont pas reconnus par les tribunaux. Comment faire reconnaitre cette nouvelle lésion et être indemnisé auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) (1)? Comment les tribunaux analysent-ils la présence de ces angoisses administratives?

Reconnaissance du diagnostic psychiatrique

Tout d’abord, il importe de distinguer la simple déprime d’une maladie psychiatrique. Pour ce faire, un diagnostic doit être posé par un médecin. En effet, lorsque l’humeur du travailleur est affectée, il doit dans un premier temps en aviser son médecin traitant, qui déterminera la présence ou non d’un diagnostic psychiatrique. S’il conclut qu’effectivement, le travailleur présente désormais une maladie psychiatrique, il devra absolument l’indiquer sur un rapport médical à l’attention de la CNESST. Pour mettre toutes les chances du côté du travailleur, le diagnostic doit être précis et identifié.

Trop souvent, on retrouve sur le rapport médical uniquement le traitement ou une référence en psychologie, sans la détermination d’un diagnostic. Cependant, en l’absence d’un diagnostic reconnu et accepté par la CNESST, les traitements ne seront pas autorisés (2). Afin d’autoriser le remboursement de ces traitements, le diagnostic doit être en relation avec la lésion initiale. Il importe donc d’analyser le lien direct avec la lésion physique initiale. Pour ce faire, la CNESST devra identifier les facteurs de stress vécus par le travailleur. Les douleurs, les limitations physiques, la perte de capacité, les difficultés au travail, la perte de confiance en soi, le deuil de l’emploi prélésionnel ou la perte d’emploi, seront des facteurs retenus pour accepter la relation (3).

À moins d’une évidence frappante, la reconnaissance d’un diagnostic psychiatrique est difficile à effectuer pour le travailleur, puisque la cause est souvent multifactorielle. Il devient donc impératif de distinguer l’ensemble des facteurs et de séparer les facteurs dits «personnels» des facteurs découlant de la lésion professionnelle.

Dans ce contexte, bien que le régime d’indemnisation des travailleurs accidentés prévoit la réparation de l’ensemble des conséquences faisant suite à une lésion professionnelle, en matière de santé mentale, ce n’est pas toujours le cas.

Conséquences de la procédure administrative

Dès la survenance d’un accident, le travailleur se retrouve dans un système administratif complexe qui lui demande de l’énergie et lui cause bien souvent des questionnements. De surcroit, les formulaires à transmettre, les contestations, les convocations, les rencontres avec la CNESST combinés aux problèmes personnels et financiers peuvent contribuer à aggraver la maladie psychiatrique. Par exemple, une simple convocation à une expertise médicale peut devenir une source majeure d’angoisse. Il n’est pas exagéré de considérer ces éléments comme des conséquences directes de la lésion professionnelle. En effet, en l’absence de celle-ci, le travailleur n’aurait assurément pas eu à se transformer en gestionnaire de dossier administratif! Malheureusement, les tribunaux ne reconnaissent pas les «tracas administratifs» comme étant en relation avec la lésion professionnelle. Par exemple, les troubles découlant du processus de contestation légale sont considérés comme faisant partie des aléas normaux d’un dossier et n’engendrent pas de relation avec la lésion professionnelle (4). Au même titre, le refus de la réclamation, la fi n de la réadaptation professionnelle ou les recours judiciaires sont des tracas administratifs qui ne permettent pas la reconnaissance de la lésion (5). Si ces éléments se retrouvent dans le dossier médical du travailleur, ils auront pour effet de rompre la relation entre la maladie psychiatrique et la lésion initiale.

Ainsi, puisque ces derniers sont quasiment toujours présents, l’exercice délicat de départager les causes de la maladie psychiatrique doit être entrepris.

Évolution jurisprudentielle ?

Cette tendance semble cependant évoluer au niveau jurisprudentiel. Désormais, certains commissaires admettent la lésion psychique même lorsque le processus administratif a contribué à l’apparition de la maladie. Dans la décision Auger et Bellemare (6), sous la plume du commissaire Daniel Therrien, un diagnostic de trouble d’adaptation est reconnu alors que la procédure administrative et la perte de l’emploi sont des facteurs contribuant à la maladie du travailleur. Malgré le courant majoritaire, de plus en plus de commissaires ne rejettent plus d’emblée un diagnostic psychiatrique même en présence de tracas administratifs. Ils évalueront toutefois quels sont les facteurs principaux causant la maladie et il est impératif que les tracas administratifs ne soient pas la seule origine de la lésion psychologique.

Conclusion

En conclusion, il devient ardu de départager tous les facteurs causals puisque le travailleur est une seule et unique personne. Dans l’esprit du travailleur, sa lésion professionnelle a engendré une multitude de conséquences, que ce soit administratives, financières ou physiques ; mais espérer faire une distinction parfaite entre tous ces éléments demeure illusoire. Heureusement, les tribunaux sont de plus en plus ouverts à reconnaitre les lésions psychologiques, ce qui permet au travailleur d’avoir des soins et de se concentrer sur la guérison.