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PROTECTION RESPIRATOIRE

Respirer pourrait TUER

Ulysse Mc Carthy1

Martin est hospitalisé pour une insuffisance respiratoire. Il était loin de se douter que malgré le port de son masque respiratoire il courrait un risque sévère pour sa santé.

L’interaction entre l’humain et les produits dangereux est plus complexe qu’il n’y parait. Les conditions d’entreposage des produits, en passant par leur élimination et les pratiques de récupération en cas de déversement représentent autant de facteurs qui doivent être considérés pour assurer la sécurité des travailleurs.

De tous ces facteurs, l’utilisation sécuritaire d’un produit dangereux lors des opérations est celle qui demande le plus de préparation. Martin l’a appris à ses dépens.

Obligation de l’employeur

L’employeur de Martin savait qu’en vertu de l’article 45 du Règlement sur la santé et la sécurité du travail (RSST), il devait fournir gratuitement à ses travailleurs un appareil de protection respiratoire tel que prévu au Guide des appareils de protection respiratoire utilisé au Québec, publié par l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) (1) (2). Et c’est exactement ce qu’il a fait.

Par contre, il ne suffit pas de fournir un ap pareil de protection respiratoire (APR) pour garantir une protection suffisante. Encore faut-il s’assurer que l’appareil soit choisi, ajusté et entretenu conformément à la norme CSA Z94.4-93 intitulée Choix, entretien et utilisation des respirateurs.

Pour dire toute la vérité, l’accident de Martin aurait été évité si un programme de protection respiratoire conforme à cette norme avait préalablement été élaboré et mis en application.

Programme de protection respiratoire

Un programme de protection respiratoire (PPR) permet de s’assurer que, pour toutes situations nécessitant une protection, le bon appareil a été choisi en tenant compte du niveau d’exposition. Cela doit être fait pour tous les contaminants qui présentent un risque pour la santé des travailleurs qu’ils soient sous forme de poussières, fibres, fumées, brouillards, vapeurs ou gaz. Pour élaborer ce programme, toute
une gymnastique s’impose. Il faut tout d’abord déterminer dans quelle circonstance et pour quel produit un APR sera requis. En effet, choisir une protection respiratoire adéquate n’est pas une mince affaire.

Inventaire des contaminants potentiels

L’employeur de Martin aurait dû dresser un inventaire des contaminants potentiels présents dans son entreprise. Il faut se rappeler que la plupart des produits dangereux utilisés au travail sont des mélanges de plusieurs composants chimiques. Certains peuvent être nocifs pour la santé. Afin de les connaitre, on n’a d’autre choix que d’éplucher les fiches de données de sécurité provenant du programme SIMDUT pour en extraire les informations.

Exposition des travailleurs

Une fois l’inventaire des contaminants potentiels complété, l’employeur de Martin devra évaluer, pour chacun d’eux, le niveau d’exposition réel de ses travailleurs. Cela correspond à la concentration du contaminant dans l’air de travail à la hauteur des voies respiratoires. Pour ce faire, il devra avoir recours à des échantillonnages et des évaluations réalisées selon les bonnes pratiques reconnues en hygiène industrielle.

Choix d’un APR

En premier lieu, il faut savoir que chacune des catégories d’APR comporte un facteur de protection qui lui est propre et qui représente son niveau d’efficacité. Plus ce facteur est élevé, meilleur sera son niveau de protection.

En comparant le niveau d’exposition réel de ses travailleurs pour chacun des contaminants aux valeurs d’expositions admissibles retrouvés à l’annexe I du RSST (1), l’employeur de Martin pourra déterminer la catégorie d’appareils de protection respiratoire adéquate. En effet, cette comparaison permet de déterminer ce qu’on appelle le coefficient de risque qui représente le facteur de protection minimale que devra offrir l’APR pour que le travailleur  demeure en sécurité.

Essai d’ajustement et morphologie du visage

Une fois que la catégorie d’APR requis a été déterminée pour chacune des situations à risque, et cela en fonction de la concentration dans l’air ambiant des contaminants présents dans le milieu de travail, il est possible de procéder au choix de la marque, du modèle et de la taille du masque destiné aux travailleurs. Ce choix dépend de plusieurs facteurs, Notamment de la morphologie du visage de chacun.

Ainsi, pour protéger complètement Martin, son APR aurait dû être ajusté adéquatement et former un joint étanche avec son visage pour qu’il n’y ait pas d’infiltration du contaminant dans son masque. Afin de s’en assurer, il aurait simplement fallu procéder à un essai d’ajustement. Il s’agit de soumettre Martin à une atmosphère contenant un agent connu, souvent le Bitrex®, la saccharine ou de la fumée irritante et vérifier qu’il n’y est pas exposé lorsqu’il porte son masque.

Ces essais sont obligatoires lors de la sélection d’un APR. Ils doivent être effectués au moins tous les deux ans et lorsqu’on doit changer d’APR ou que notre physionomie change.

Test d’étanchéité

Maintenant que la catégorie d’APR nécessaire est déterminée pour chacune des tâches à risque et que chaque travailleur connait la marque, le modèle et la taille du masque qui lui est approprié, il faut maintenant s’assurer que leur masque soit positionné correctement sur leur visage, et cela à chacune de leurs utilisations. Martin devra donc faire un test d’étanchéité afin d’être certain que le masque est correctement positionné et bien ajusté avant une exposition aux contaminants. Il faut éviter que le masque soit mal positionné faisant en sorte qu’il ne puisse pas remplir sa fonction de façon hermétique. La technique est fort simple. Chaque fois qu’il met son masque, il suffit à Martin d’obstruer l’entrée d’air du masque et d’inhaler légèrement pour créer un vide. Martin devrait alors constater que son masque s’affaisse vers son visage. Par la suite, il obstruera la sortie d’air et soufflera doucement de l’air dans le masque. Son masque se bombera légèrement. Dans les deux cas, aucune fuite ne doit être apparente.

Barbe, chevelure et lunettes

Un des éléments qui est ressorti lors de l’enquête de cet accident est que le rasage de Martin n’était pas frais du matin, mais plutôt du soir précédent. Les poils ont alors contribué à la perte d’étanchéité de son masque. Bien que cela semble une évidence pour plusieurs, il faut rappeler qu’un rasage quotidien est nécessaire pour garantir l’efficacité du port de l’APR. Dans certaines conditions, de longs favoris pour un homme, une longue chevelure ou des boucles d’oreilles trop imposantes pour la femme peuvent aussi interférer dans leur efficacité. Le port de lunettes a des conséquences lorsqu’il est question de garantir qu’un masque complet soit hermétique. Dans ce cas précis, il est possible de fixer les lunettes directement au masque ou de maintenir celles-ci en place en les attachant aux oreilles par de minces rubans spécialement conçus à cet effet.

Claquage des cartouches

Martin, comme bien des travailleurs, ignorait qu’il devait compiler le temps de service des cartouches à épuration lui servant à se protéger contre les contaminants. Comme dans bien des établissements au Québec, le temps de remplacement de ces cartouches était déterminé de manière bien arbitraire. Il croyait ne devoir les changer que lorsqu’il détectera une odeur, un gout ou une irritation malgré le port de son masque. Cette approche est risquée, car la capacité olfactive n’est pas identique d’un travailleur à l’autre
et la toxicité d’un contaminant n’est pas liée à l’intensité de l’odeur, certains étant même
inodores. La meilleure pratique est l’utilisation de cartouches munis d’un indicateur de fin
de services. Si cela n’est pas possible, il faudra compiler manuellement le temps d’utilisation de celle-ci à l’aide d’un registre d’utilisation et vérifier auprès du fabricant quelle est la durée maximale d’utilisation des cartouches. De plus, la tenue d’un calendrier
de remplacement des cartouches devrait permettre leurs remplacements avant que la date de vie utile de celles-ci ne soit dépassée. Le calendrier inclut généralement les indicateurs de fin de vie utile, la durée maximale d’utilisation.

Inspection fonctionnelle

Selon les informations recueillies lors de l’enquête accident Martin inspectait, comme il se doit, toutes les composantes de son APR avant chaque utilisation. C’est très bien, car l’article 47 du RSST le prescrit. Cet article prévoit aussi que les APR doivent être inspectés par l’employeur au moins une fois par mois. Il doit aussi en être ainsi chaque fois qu’un travailleur signale à son employeur qu’il est défectueux.

Entretien et entreposage

Les membres du comité santé et sécurité (CSS) de l’établissement avaient mis en place une procédure de nettoyage, d’entretien et d’entreposage permettant de conserver l’efficacité initiale des APR. Elle décrit les méthodes de nettoyage et de désinfection et donne certaines consignes concernant leur entretien et entreposage. Elle fait partie intégrante du PPR. Elle prévoit que lorsque plusieurs travailleurs partagent le même APR, il
doit être nettoyé et désinfecté entre chaque utilisation. Cependant, puisque le masque de Martin est pour son utilisation exclusive, il peut se permettre de le nettoyer et le désinfecter une fois par jour.

La procédure spécifie que les APR doivent être entreposés de façon à les protéger des dommages, de la poussière, des rayons du soleil, des températures extrêmes, de l’humidité excessive et des produits chimiques nocifs. Il faut enlever les cartouches et les isoler dans un sachet de plastique afin d’éviter leur contamination. En effet, si le masque est laissé à l’air libre et sans protection dans un endroit contaminé, les cartouches vont continuer à absorber un contaminant jusqu’à saturation.

Formation des travailleurs

Les travailleurs appelés à utiliser un APR doivent évidemment recevoir une formation leur permettant de comprendre les risques auxquels les exposent les contaminants. Cette formation, qui fait aussi partie du PPR doit permettre à Martin de développer les compétences lui permettant d’utiliser efficacement son APR de façon sécuritaire. Elle devrait traiter aussi de l’entretien, de l’inspection et du nettoyage des APR.

Évaluation médicale

Pour terminer, il est bon de se demander si tous les travailleurs sont aptes à porter un APR. Pas nécessairement, car certains respirateurs augmentent la résistance respiratoire. Dans d’autres cas, il est possible qu’un travailleur ait de la difficulté à supporter son APR en raison d’un trouble médical ou d’une condition physique. Pour cette raison, un professionnel de la santé devrait vérifier la forme physique et psychologique des travailleurs avant qu’ils soient autorisés à porter un APR. Par ailleurs, la norme CSA Z94.4-93 précise qu’il faut qu’une personne qualifiée détermine si un employé est en mesure de porter un respirateur. De plus, on peut y lire que si l’administrateur du programme considère que, en raison de la santé  ou de la condition physique d’une personne, on doit obtenir l’avis d’un médecin avant qu’elle puisse porter un respirateur, cette personne doit consulter un médecin qui connait le genre de travail qu’elle a à accomplir, ainsi que les conditions dans lesquelles le travail est exécuté.

Conclusion

L’essence même de la Loi sur la santé et la sécurité du travail est la réduction à la source des dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs. Avant de recourir à la protection respiratoire individuelle, il est donc essentiel de s’assurer que tous
les moyens possibles pour éliminer l’exposition des travailleurs ont été pris.

S’il demeure nécessaire d’y recourir, le choix du type d’appareil de protection respiratoire à fournir aux travailleurs doit tenir compte de plusieurs facteurs et ne peut se faire qu’en respectant une méthode bien définie par la règlementation en vigueur. Le Guide pratique de protection respiratoire de l’IRSST est un incontournable qui décrit de façon rigoureuse cette méthode (2).

La marque, modèle et grandeur appropriés pour chacun des travailleurs ne peut se définir que par l’exécution d’un essai d’ajustement. Le programme de protection respiratoire est obligatoire si des travailleurs doivent utiliser un tel appareil. La norme CSA Z94.4-93 en définit clairement le contenu. S’il est bien conçu, il permet à l’employeur d’identifier les situations de travail comportant des risques. Il est le seul outil de gestion permettant de garantir la protection des travailleurs exposés à un contaminant. Il doit rassembler les différentes procédures relatives au port, l’ajustement, le nettoyage, la désinfection, l’entretien et l’entreposage des APR.

Les travailleurs doivent adéquatement être formés et avoir les capacités physiques et psychologiques pour exécuter des tâches qui nécessitent de protéger leur santé avec le port d’un APR. Martin et son employeur en savent maintenant quelque chose.


1 – Ulysse Mc Carthy – DIRECTEUR GÉNÉRAL, OPÉRATIONS SST INTERNATIONAL INC., ENSEIGNANT À L’INSTITUT DES PROCÉDÉS INDUSTRIELS DU COLLÈGE DE MAISONNEUVE, PRÉSIDENT DU RÉSEAU D’ÉCHANGE EN SANTÉ SÉCURITÉ ENVIRONNEMENT (RESSE) PROFESSIONNEL DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ/MESURES D’URGENCE/SIMDUT 2015 [umccarthy@operationssst.com]

Références bibliographiques

  1. Règlement sur la santé et la sécurité du travail [http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/showdoc/cr/S-2.1, %20r.%2013] Vérifié le 2 octobre 2018.
  2. Guide des appareils de pression respiratoire utilisés au Québec, IRSST [https : //www.irsst.qc.ca/media/documents/PubIRSST/R-319.pdf ] Vérifié le 2 octobre 2018.