Soudage et cancer


Soudage et cancer

Jérôme Lavoué

Le 10 avril dernier, le Lancet Oncology rapportait les résultats de l’évaluation du potentiel cancérogène pour l’humain des émissions issues du soudage par un comité d’experts réunis pendant une se maine au Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’OMS à Lyon. Le groupe rassemblait des épidémiologistes, toxicologues et spécialistes de l’exposition venant du monde entier (1). À l’issue de la rencontre, à laquelle j’ai participé, les membres ont conclu à l’unanimité à l’existence de preuves suffisantes pour déclarer les fumées de soudage et les émissions ultraviolettes provenant du soudage cancérogènes pour l’Homme (groupe 1), principalement pour le cancer du poumon pour les fumées, et pour le mélanome oculaire, un type de cancer des yeux, en ce qui concerne les radiations ultraviolettes. Cette décision met à jour l’évaluation précédente du CIRC, qui en 1989, avait rendu un verdict de peut-être cancérogène pour l’Homme (groupe 2B). La monographie complète présentant l’ensemble des données utilisées et détaillant les réflexions du groupe de travail devrait être rendue publique dans les prochains mois.

Le soudage est une activité rassemblant un large éventail de procédés associé à une diversité des matériaux soudés et de moyens de prévention. Les grandes familles de procédés incluent le soudage à l’arc, pour lequel un arc électrique fournit l’énergie nécessaire pour faire fondre les métaux mis en oeuvre, et le soudage au gaz, pour lequel c’est la combustion d’un gaz qui est utilisée. Le plasma et le laser sont également mis en oeuvre comme source d’énergie dans des procédés de soudage  automatisés. Les contaminants émis par le soudage dépendent de nombreux facteurs, dont le procédé (arc, gaz, manuel, automatisé), les métaux soudés (acier doux, acier inox, aluminium), et d’autres produits présents sur les matériaux soudés (peinture, huile de coupe, solvant de nettoyage). Les émissions du soudage comprennent en général des fumées consistant en un mélange de particules majoritairement de tailles ultrafines, des gaz comme l’ozone et le dioxyde d’azote, et des rayonnements ultraviolets et infrarouges. Le groupe de travail, considérant en particulier le fait que les travailleurs mettent souvent en oeuvre de nombreux procédés et matériaux différents, a conclu que les données disponibles ne permettaient pas de rendre des évaluations de cancérogénicité spécifiques à des
combinaisons particulières.

La complexité des émissions liées au soudage rend difficile l’évaluation du risque en milieu de travail. Au Québec et dans de nombreuses juridictions il existe une valeur limite d’exposition pour les fumées de  soudage sous forme de poussières totales ou inhalables. Il est cependant important de considérer que si des éléments toxiques associés à des limites plus sévères sont présents, p.ex. chrome, nickel, cadmium, il faut agir en fonction de ces limites (2). À ce titre, il est à noter que la liste des valeurs limites de la très connue ACGIH ne contient plus depuis 2004 de valeur pour les fumées de soudage.

La gestion des facteurs de risque cancérogènes en milieu de travail est une problématique d’actualité. Dans un rapport de 2012, des chercheurs de l’IRSST avaient estimé à plusieurs centaines de milliers le nombre de travailleurs québécois exposés à des agents cancérogènes (3). Un récent mot du rédacteur scientifique de Travail et santé décrivait d’ailleurs une nouvelle politique établie par le National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH) pour ces agents (4). Plus récemment, l’IRSST a tenu un forum sur les cancérogènes professionnels durant lequel une équipe canadienne a présenté une recherche estimant que 100 cas de cancers du poumon sont potentiellement causés par les fumées de soudage chaque année au Québec. Considérant qu’il y a environ 20 000 travailleurs ayant le titre d’emploi de soudeur au Québec et que le groupe de travail du CIRC a estimé qu’il pourrait y avoir jusqu’à 10 fois plus de travailleurs effectuant des tâches de soudage sans être qualifiés de soudeur, la récente évaluation du CIRC représente un signal fort pour redoubler nos efforts de prévention afin de réduire le plus possible l’exposition, comme pour tous les cancérogènes, et limiter ainsi l’impact des activités de soudage sur la santé des travailleurs québécois.