Transfert de couts Possible suite à un congédiement?


Transfert de couts Possible suite à un congédiement?

Le droit au transfert des couts reliés à un accident du travail, suite à un congédiement pour une cause juste et suffisante est-il possible ? Quelles sont les démarches et les conséquences ?

Catherine Deslauriers

Jules est au service d’un employeur depuis cinq mois à titre de journalier lorsque le 3 janvier 2017, il se blesse dans le cadre de son travail. La réclamation est acceptée par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). L’employeur décide d’assigner temporairement Jules à des tâches administratives qui ne nécessitent aucun effort physique. Jules, voulant se faire un coup d’argent rapide, décide de voler un objet de valeur appartenant à l’entreprise. En raison de la rupture du lien de confiance, l’employeur congédie Jules.

Dès lors, plusieurs conséquences découlent de cette décision sur le plan de la gestion de la lésion professionnelle. En effet, ne pouvant plus être assigné temporairement, Jules a alors droit à la reprise du versement de l’indemnité de rem placement du revenu. Au surplus, advenant que Jules conserve des limitations fonctionnelles l’em pêchant de reprendre son emploi, l’employeur ne pourra évidemment pas lui offrir un emploi convenable au sein de l’entreprise. S’il ne conserve pas de limitation fonctionnelle, Jules pourrait avoir droit à une année pleinement compensée de recherche d’emploi si le droit de retour au travail est expiré. Bref, les couts de la lésion professionnelle au dossier de l’employeur peuvent exploser et, selon le régime de cotisation auquel est soumis l’employeur, entrainer une augmentation du mon tant de cotisations qui sera perçu par la CNESST.

Pour tenter de remédier à cette situation, il est important que l’employeur dépose immédiatement une demande de transfert de couts en vertu de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) puisque la reprise des indemnités n’est pas en lien avec la lésion professionnelle, mais bien due à des circonstances extrinsèques à celle-ci.

Dans une cause récente (1), le juge administratif Danis, dans des circonstances similaires au cas de Jules, a reconnu qu’il serait injuste pour un employeur de prendre en charge les couts découlant d’un congédiement lorsque :
• celui-ci est fondé sur une cause juste et suffi sante;
• il ne découle pas de la simple discrétion et/ou volonté de l’employeur;
• il est conforme aux règles générales de droit du travail; et
• il est conforme aux politiques de l’employeur, lorsqu’applicable.

Le juge administratif reconnait au surplus qu’il ne peut être imposé à un employeur de garder à son emploi une personne qui commet des actes inacceptables simplement pour pouvoir l’assigner ou le maintenir temporairement à des tâches plus légères. L’employeur a donc eu droit à un transfert des couts liés à l’indemnité à partir de la date du congédiement.

Ainsi, pour remplir les quatre critères établis par le juge administratif Danis, et ce, que le congédiement soit contesté ou non par le travailleur, l’employeur devrait s’assurer qu’il n’impose pas un congédiement qui va à l’encontre de l’article 32 de la LATMP et/ou de la Loi sur les normes du travail. Un employeur conserve son droit de gérance, malgré le fait qu’un salarié bénéficie du régime d’indemnisation de la LATMP, mais il doit tout de même imposer la mesure disciplinaire appropriée puisque le juge administratif saisi d’une demande de transfert de couts analysera les fondements de la décision prise par l’employeur.

Dans une autre cause (2), le juge administratif Lemire, contrairement au juge administratif Danis, a refusé un transfert de couts à un employeur qui a congédié un travailleur pour retards et manque d’assiduité. Fait important : le congédiement n’avait aucunement été contesté par le travailleur. Dans cette décision, le Tribunal retient que l’employeur pouvait demander une suspension des indemnités en vertu de l’article 142 de la LATMP au lieu de congédier le travailleur. Au surplus, le juge administratif est d’avis que le congédiement, qu’il soit justifié ou non, ne découle pas de circonstances qui sont indépendantes de la volonté de l’employeur, puisque l’employeur prend, en toute connaissance de cause, la décision de congédier le travailleur. Le transfert a donc été refusé. Cette décision fait présentement l’objet d’un contrôle judiciaire, mais il est important de comprendre que le transfert de couts pourrait être refusé et que l’employeur assumera alors tous les couts liés au versement de l’indemnité. D’ailleurs, un raisonnement analogue a aussi été appliqué dans un contexte de retraite d’un travailleur dans une autre décision (3).

Ceci étant, il est à noter que selon les circonstances du congédiement, l’employeur devrait aussi demander à la CNESST de suspendre les indemnités de remplacement du revenu en vertu de l’article 142 de la LATMP lorsque, par exemple, le travailleur a fait de fausses déclarations quant à son état de santé et qu’il y a une preuve médicale qui confirme qu’il serait apte au travail. Ceci permettra à l’employeur de ouvrir tous les angles possibles pour tenter de réduire les couts imputés à son dossier.

Finalement, en vertu de la LATMP, lors qu’une mesure disciplinaire est imposée dans les six mois suivant la date où le travailleur a été victime d’une lésion professionnelle ou de la date où il a exercé un droit que lui confère la LATMP, l’employeur est présumé avoir imposé la mesure disciplinaire parce que le travailleur a été victime d’une lésion professionnelle ou en raison de l’exercice de son droit. Ainsi, advenant que le travailleur dépose une plainte en vertu de l’article 32 de la LATMP, l’employeur aura le fardeau de démontrer que le congédiement a été fait pour une autre cause juste et suffisante.